© Vitolda Klein (unsplash)

La crise de la protection de l’enfance

Télécharger l'article

Résumé :
L’auteur dénonce ici de façon synthétique et poignante la situation des enfants mal protégés par les pouvoirs publics. Les professionnels et les structures d’accueil sont en grande souffrance comme les enfants.

Abstract :
The author denounces here in a concise and poignant manner the situation of children poorly protected by public authorities. Professionals and reception structures are in great suffering, like the children.

Faire le constat de la crise de la protection de l’enfance, c’est ouvrir la boîte de Pandore. Les causes sont multifactorielles, le manque de moyens extrême, et s’entrechoquent dans cette crise les conséquences des politiques d’austérité que nous subissons depuis des décennies. Quelques exemples pour illustrer mon propos : des mesures de placement ou de milieu ouvert prononcées par la justice mais non effectuées, des listes d’attente interminables, de nombreux postes non pourvus… Déjà fragilisée par la pandémie, la protection de l’enfance s’enfonce toujours un peu plus loin dans la crise.

« Il n’y a tellement plus de places que des enfants passent des castings pour un lit en foyer. Des sortes de pré-admissions, dans plusieurs établissements. Et si le profil de l’enfant n’est pas retenu, il reste au sein même de cette famille dont le juge des enfants a décidé de l’éloigner afin de l’en protéger » explique Gisèle Delcambre, juge des enfants au tribunal de Lille et présidente de l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille ( AFMJF) . Dans le département de la Loire- Atlantique, habilité pour 1972 mesures d’aides éducatives en milieu ouvert ( AEMO) et d’action éducatives à domicile ( AED), le service compte 800 mesures en attente, dont 423 sont au delà de l’habilitation du service, et 5 postes de travailleurs sociaux à temps plein sont vacants, et ce, depuis juillet.

Des professionnels de la protection de l’enfance à bout de souffle

Le travail social est en crise , et en particulier, le secteur de la protection de l’enfance. Voilà le triste constat qui ressort du monde du terrain : éducateurs spécialisés, assistantes sociales, familles d’accueil, techniciens de l’intervention sociale et familiale… pour preuve, les grèves organisées par les professionnels afin de dénoncer leurs conditions de travail : turnover incessant, difficultés de recrutement, surcharges de dossiers, perte de sens, bas salaire. À Toulouse, une partie des professionnels du CDEF ont ainsi débrayé pendant 3 jours en mars dernier pour dénoncer une situation jugée intenable. « Nous faisions face à des accidents de travail récurrents et quotidiens, avec de plus en plus d’agressions, voire de passages à tabac, une accumulation de violences », décrit une auxiliaire de puériculture de formation et représentante du personnel ( Sud Santé Sociaux).

Or, comment peut-on assurer un travail de qualité auprès de la population vulnérable que constituent les 312 500 mineurs et 24 700 jeunes majeurs pris en charge par l’ASE, dont la moitié environ fait l’objet d’une mesure de placement ( chiffres 2019) lorsque l’on se sent soi-même fragilisé par ses conditions de travail. L’un des problèmes majeurs réside dans le manque d’effectifs. Pour y remédier, il arrive que des établissements sociaux, et médico-sociaux prenant en charge les mineurs et jeunes majeurs fassent appel à des intérimaires ou à des personnes non qualifiées. Un recours à l’intérim qui progresse, des dispositifs saturés et non adaptés aux besoins des enfants, des assistants familiaux toujours précarisés : après un été difficile en protection de l’enfance et une situation de crise qui s’ancre durablement, les alertes se multiplient. Nombre d’établissements n’arrivent tout simplement plus à recruter et restent en sous-effectifs, répercutant la charge de travail sur l’équipe en place, la situation et le constat sont les mêmes qu’à l’hôpital public.

Chez les assistants familiaux, professionnels agréés (famille d’accueil) qui reçoivent les jeunes à leur domicile, la situation n’est pas meilleure : beaucoup sont en surcapacité d’accueil, le dépassement « exceptionnel » du nombre d’enfants accueillis, à savoir 3, devenant la norme. La vague de départs en retraite qui s’annonce ne va pas améliorer la situation. C’est ainsi que pour les enfants s’ajoute à la maltraitance familiale une forme de maltraitance institutionnelle, et le personnel ressent le même sentiment de maltraitance dans ses conditions de travail, les injonctions inhérentes à sa fonction, ses missions impossibles à atteindre. La réalité de la protection de l’enfance a de quoi décourager les professionnels les plus aguerris.

Les charges budgétaires auxquelles sont soumises les départements notamment depuis la mise en place du revenu de solidarité active en 2009, constituent le poste de dépenses le plus important pour les collectivités. Elles ne permettent plus d’assurer la totalité de leurs missions de protection de l’enfance.

Comment expliquer à un enfant qu’il est en danger auprès de ses parents mais qu’il n’est pas possible d’assurer immédiatement sa protection ? De plus, les profils des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance ont évolué, reflet de la société, et des changements géopolitiques, climatiques, etc. La France fait face aux flux migratoires et à l’arrivée des mineurs non accompagnés, sans avoir les moyens adéquats pour assurer la prise en charge matérielle de ces presque 20 000 enfants ( chiffres 2021), d’où des placements à l’hôtel avec les dérives que cela peut générer.

En outre, certains enfants accueillis dans des structures de protection de l’enfance souffrent de problèmes médicaux : en 2011, l’Inspection générale des affaires sociales relevait qu’un quart des enfants pris en charge au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance étaient concernés par des troubles psychiques. Aujourd’hui, dans un article du 12-10-2023 de France Info PACA, un pédopsychiatre marseillais alerte les pouvoirs publics : « Un enfant sur 2 confié à la Protection de l’Enfance souffre de trouble mental ».

« Au quotidien, il nous faut plus de structures d’accueil et plus de personnel, parce que nous voulons éviter d’en arriver au pire : réduire le temps de prise en charge des enfants, qui est de 6 mois en moyenne. Il faudrait aussi des lieux de répit pour accueillir des enfants agités dont personne ne veut et qui vont de foyer en foyer. Pour que l’on puisse s’occuper d ‘eux. Car notre objectif dans tout ça, c’est que ces enfants maltraités par la vie, aillent mieux. » : Jokthan Guivarch, responsable de l’Unité mobile de soins psychiatriques pour enfants vulnérables.

Une société abîmée, en perte de repères, dont les services publics sont peau de chagrin, voilà la photo de la protection de l’enfance à l’instant T, domaine au carrefour de toutes les impasses, celle de tous les renoncements, les désengagements de l’État ( santé, justice, éducation, handicap, psychiatrie, prévention).

La course au profit, du toujours plus, se fait au détriment des plus faibles, des enfants déjà blessés par la vie, des enfants pour qui égalité et fraternité ne voudront rien dire, parce que nous aurons failli aux valeurs de la République, malgré nous. Les professionnels, première ligne de cette catastrophe annoncée, se sentent démunis, découragés, en perte de sens de leur travail, et ce n’est pas la prime SEGUR, qui aura changé leur reconnaissance salariale, encore moins avec l’inflation. Il faudra bien plus que quelques « mesurettes » pour l’attractivité de ces métiers, pour redonner les lettres de noblesse que le travail social et éducatif mérite. Dans ce contexte où les lieux d’accueil d’urgence sont saturés, les professionnels travaillant dans des conditions dégradées, une lettre ouverte a été adressée à la secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel, par 24 présidents et présidentes de départements dirigés par la gauche. Voir l’article du HuffPost : https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/pour-la-protection-de-l-enfance-nous-appelons-a-des-etats-generaux-en-2024_222444.html