Résumé :
L’auteur conteste ici les déclarations de la première ministre qui affirme qu’avec sa réforme, les handicapés partiront en retraite à 55 ans. Elle décrit la situation réelle et complexe des handicapés qui n’auront aucune chance de bénéficier de ce départ anticipé. Leur situation de pauvreté basculera vers une extrême pauvreté. Les propos de la première ministre sont un écran de fumée destiné à donner le change pour essayer de masquer les effets néfastes de la réforme sur des personnes déjà abimées par la vie.
Abstract :
The author contests here the declarations of the Prime Minister who affirms that with her reform, the disabled will retire at 55 years old. It describes the real and complex situation of disabled people who will have no chance of benefiting from this early departure. Their situation of poverty will switch to extreme poverty. The words of the Prime Minister are a smokescreen intended to deceive to try to hide the harmful effects of the reform on people already damaged by life.
Elisabeth Borne affirme qu’avec sa réforme, les personnes handicapées pourront, comme aujourd’hui, partir à la retraite à taux plein à 55 ans. Or dans la réalité les situations sont très variées ; le handicap peut se décliner selon le type (moteur, sensitif, cognitif, psychique) ou le mode d’entrée (de naissance, par accident, par maladie) ou encore l’âge de début. Le handicap se définit dans le code de l’action sociale comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentale, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant » (article L114).
Cette limitation de la capacité de faire peut arriver à n’importe quel âge mais il est incontestable qu’il y a plus de risque d’avoir eu un « accident de la vie » en avançant dans l’âge !
La loi de 2005 sur le handicap prenait acte des multiples possibilités d’entrée dans le monde du handicap en reconnaissant comme bénéficiaires de la loi, au même titre que les personnes reconnues handicapées par la MDPH (maison départementale de la personne handicapée), les accidentés du travail ayant une incapacité (IPP : incapacité permanente partielle) supérieure à 10% et les titulaires d’une pension d’invalidité (donc victimes d’une dégradation importante de leur santé en raison d’une maladie occasionnant une perte de capacité de revenus).
Cette limitation de la capacité de faire a, bien évidemment, un impact sur les possibilités de choix dès la scolarité (choix et accès compliqué à certaines formations), puis dans le monde du travail (choix d’un métier et d’un emploi). De ces restrictions découlent des difficultés majorées pour trouver un emploi : le chômage des personnes handicapées est environ le double que celui de la population générale. En 2022 le taux d’emploi des travailleurs handicapés était de 38% contre 67% pour la population générale ; ils représentaient 59% des chômeurs de longue durée alors qu’ils représentent 9% de la population. L’étape suivante est donc la capacité à cotiser pour la retraite surtout si l’on tient compte qu’en moyenne, leurs emplois sont moins rémunérateurs. De plus, leurs problèmes de santé peuvent être source d’interruptions de travail plus fréquentes et plus longues pouvant là encore limiter leur capacité de cotiser pour la retraite.
De même, le handicap en soi comporte souvent une pénibilité : fatigabilité, besoin de concentration pour compenser, complexité pour contourner les obstacles, moindre accès à certains services destinés à faciliter la vie, nécessité de rendez-vous médicaux plus fréquents (sans parler des frais et dépenses supplémentaires non compensées) … Les employeurs de leur côté ont du mal à se tourner vers les salariés handicapés car la logique de l’entreprise reste la rentabilité et elles recherchent des personnes handicapées pouvant tout faire, ce qui relève de la quadrature du cercle !
La réforme des retraites Macron /Borne, qui prétend tenir compte de la pénibilité tout en rallongeant la vie au travail, n’évoque même pas le cas des travailleurs handicapés. La première ministre arrive même à dire qu’ils pourront partir à 55 ans « comme aujourd’hui ». Mais aujourd’hui pour être dans ce cas, il faut avoir 30 ans de reconnaissance en tant que travailleur handicapé (RQTH) c’est-à-dire avoir été reconnu avant l’âge de 25 ans. Cette condition exclue déjà les personnes abimées par le travail ou un accident de la vie ou par une maladie après cet âge-là. Il faut également une carrière complète. Ceci correspond donc à une personne ayant eu un handicap avant 25 ans, qui a renouvelé sa demandé de RQTH aussi souvent que nécessaire et sans interruption, dont le handicap ne provoque pas d’arrêts de travail prolongés, qui a pu trouver un emploi adapté. Il est évident compte tenu de ce qui précède que c’est loin d’être le cas le plus fréquent !
Quant aux personnes en invalidité ou en inaptitude (le second étant souvent la conséquence du premier), le départ à taux plein à 62 ans est tout aussi illusoire puisqu’il est subordonné à une carrière complète commencée suffisamment tôt. Or l’invalidité arrive rarement sans qu’il y ait eu des arrêts de travail, souvent longs, entrecoupés de tentatives de reprise d’un poste plus ou moins adapté.
En tant que médecins du travail, nous constatons les réticences des salariés à demander ou accepter la mise en invalidité. Il faut reconnaître que réduire ses revenus à 30% environ du salaire (en catégorie 1, ou 60% en catégorie 2) est difficilement envisageable surtout pour les personnes payées au niveau du SMIC ou souvent au-dessous comme pour la plupart des aides à domicile ; ceci conduit souvent sous le seuil de pauvreté.
On voit bien que les propos de la première ministre sont un écran de fumée destiné à donner le change pour essayer de masquer les effets néfastes de la réforme sur des personnes déjà abimées par la vie.