© Camilo Jimenez

Peut-on réorganiser le système de soins sans moyens financiers supplémentaires?

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Résumé :

Alors que certains misent pour sortir le système de santé de la crise sur de simples mesures de réorganisation et sur une réduction des dépenses remboursées (panier de soins), l’auteur propose d’augmenter les dépenses de santé (prévention comme soins), de recruter massivement, de développer la formation des professionnels et de promouvoir le service public. Il s’agit ici de dénoncer les fausses bonnes solutions et d’ouvrir des perspectives nouvelles.

Abstract :

While some are betting to get the health care system out of the crisis on simple reorganization measures and a reduction in reimbursed expenses (health basket), the author proposes increasing health expenses (prevention as well as care), to recruit massively, to develop the training of professionals and to promote public service. This is about denouncing false good solutions and opening up new perspectives.

L’hôpital public est dans une situation catastrophique et les soignants le quittent. Trouver un médecin traitant est de plus en plus difficile et si les revendications des médecins généralistes libéraux à l’occasion de la négociation avec la CNAM sont non recevables pour les salariés qui triment, elles témoignent d’un profond malaise d’une profession qu’elle ne sait exprimer que sous la forme financière. Notre pays, réputé le 1er au monde pour son système de soins en 2000, court à la catastrophe sanitaire. Face à un gouvernement qui veut continuer à restreindre les dépenses publiques de santé et ne fait confiance qu’à la main invisible du libéralisme pour réformer notre système de santé, des propositions de réorganisation fleurissent. Elles ignorent souvent la question des moyens financiers ou veulent limiter l’ampleur des besoins, s’appuyant sur d’hypothétiques gâchis, faisant appel aux notions de justice sociale, comme celle du juste soin pour se limiter à un panier de soins.

Cet article fera donc le point sur ces gâchis, de plusieurs ordres, ceux liés à l’absence de véritable prévention, à la désorganisation, y compris les retards de prises en charge, et ceux liés à la captation d’argent public par le secteur privé. Puis il s’attachera à la notion de juste soin. Faut il bannir tous les soins de confort ? Qu’est ce qu’un panier de soins ?

Enfin il fera des propositions : ouvrir le robinet financier, comment ? Réorganiser par le service public et la formation.

Y-a-t-il des gâchis? Lesquels?

Depuis des décennies les personnels hospitaliers demandent des moyens financiers supplémentaires et la réponse qui leur est apportée est « réorganisation ». De fait, la désorganisation de l’hôpital public, de l’ensemble du système de soins est à l’origine de gâchis comme les examens paracliniques prescrits avant tout véritable examen clinique du malade pour « gagner du temps » car on en manque : ce n’est pas avec une Xème réorganisation que l’on réglera cette question mais bien en embauchant !

Le deuxième gâchis, ce sont toutes les maladies que l’on pourrait éviter, ou soigner avant des complications lourdes, onéreuses pour la société et surtout maltraitantes pour les femmes et les hommes qui les subissent. Le remède est donc de développer la prévention, en particulier à l’école et au travail, et de faciliter l’accès aux soins, raccourcir les délais de prise en charge, que ce soit pour les soins primaires ou l’hôpital. L’anonymat de la prise de rendez-vous sur internet et la régulation par un centre 15 débordé de l’accès aux services d’urgence contribuent à des retards de prise en charge majeurs.

Il y a un troisième groupe de gâchis : ceux liés à un système de santé lié à des intérêts financiers privés :

– dans le système de soins déjà avec la multiplication d’actes. C’est à cela seulement que la notion développée par certains du juste soin peut s’appliquer : un soin approprié, adapté aux besoins des patients, conforme aux meilleurs standards cliniques et sans dépense superflue.

– et c’est tout ce gâchis lié aux profits fait par l’industrie pharmaceutique, les fabricants de matériels…

Panier de soins?

Certains voudraient limiter les soins pris en charge au strict nécessaire, ce qui définirait un panier de soins remboursés par la Sécurité sociale, excluant en particulier des soins de confort avec comme exemple emblématique les cures thermales. Ce panier de soins pourrait évidemment être complété par une complémentaire santé, en fonction des garanties recherchées et parallèlement donc des cotisations versées, renforçant les inégalités sociales.

À l’heure de la transition épidémiologique, avec le vieillissement de la population et le développement des maladies chroniques, les soins de confort, l’accompagnement pour l’autonomie (qui devrait être pris en charge avec la maladie) sont pourtant essentiels ! Mais plus grave : l’absence de prise en charge financière, c’est aussi la non reconnaissance officielle, effaçant toute différence entre soins de confort efficaces, validés par la science, et charlatanerie. Ce n’est donc pas avec un panier de soins que l’on ira vers une meilleure santé de la population et la réduction des inégalités !

Quelles solutions?

Au terme de cet inventaire deux lignes de force apparaissent :

– il faut augmenter les dépenses de santé (avec une efficacité qui sera d’ailleurs amplifiée par tout ce qui est dépenses actuellement majorées par le manque de prévention, les retards de prise en charge, la désorganisation du système de santé). Une part majoritaire des dépenses étant des dépenses de personnels, il faut évidemment former !

– le service public est plus économique et plus efficace que le privé !

Augmenter les dépenses de santé, c’est nécessaire et possible.

C’est nécessaire, car les enveloppes fermées actuelles justifie une gestion des établissements de soins tournée vers la seule « rentabilité », sans égard pour les soignants, ni pour la qualité des soins, à l’origine des départs massifs de soignants, qui ne retrouvent plus le sens du travail, de l’humain qui avait justifié leurs choix professionnels. La surveillance gestionnaire est une perte de temps pour les soignants, que ce soit dans les établissement ou en libéral.

C’est possible ! La crise énergétique avec les superprofits de Total, les débats sur l’inique réforme des retraites en ont d’ailleurs convaincus la majorité de la population ! Comment ? Avec deux innovations, impliquant un cercle économique vertueux :

– la création d’une cotisation sur les revenus financiers des entreprises, les invitant à investir plutôt qu’à boursicoter

– une augmentation des cotisations sociales pour les entreprises en les modulant selon les politiques sociales et environnementales, pénalisant celles qui détruisent l’emploi et l’environnement et freinent les salaires et la formation.

Le président de la République a annoncé réduire la part de la T2A (tarification à l’activité), mais sans augmentation de l’ONDAM, cela ne changera rien, pas plus que de la limiter à certaines pathologies : c’est le mécanisme même de réduction des dépenses qui est condamnable.

La répartition financière doit faire appel à beaucoup plus de démocratie : analyse des besoins du terrain avec les usagers, les élus, les professionnels, véritables instances décisionnelles dans les établissements, avec des pouvoirs pour les élus, les représentants du personnel avec leurs organisations syndicales, les représentants des usagers. C’est indissociable d’une re-démocratisation de la Sécurité sociale, avec l’élection des représentants des salariés dans les conseils d’administration.

Et bien sûr, il faut aller vers la prise en charge à 100 % de tous les soins prescrits, essentielle pour réduire les inégalités de santé en lien avec le développement de la prévention : une Sécurité sociale pour toutes et tous, universelle (et cela ne passe pas par l’extension du régime local d’Alsace Moselle, ne s’adressant qu’aux salariés du privé, et reposant exclusivement sur leurs cotisations, sans participation patronale, même si dans l’immédiat ce régime doit être gardé dans l’intérêt de ceux qui en bénéficient.)

Former !

Pour certaines formations, comme celles d’aide-soignante, l’amélioration des conditions de salaires et de travail en remettant au premier plan l’humain est sans doute un préalable : il y a des places vacantes dans les écoles ! Pour ces métiers du soin le débat actuel sur le travail est essentiel : travailler moins, mais mieux avec un salaire digne. Loin des débats sur la fin du travail, il y a dans le soin et le social d’énormes besoins !

Donner un salaire aux étudiants en échange d’un engagement dans le service public aiderait à recruter, tout en étant une réponse à la misère étudiante. Ce n’est pas le choix actuel du gouvernement, qui préfère développer l’apprentissage, sans objet dans des professions où le compagnonnage lors des formations a toujours existé mais donnant à des structures privées une main d’oeuvre bon marché qui sera formée à minima.

Notons l’urgence de supprimer Parcoursup : il n’y a jamais eu autant d’abandon dans les études d’infirmières : ce n’est pas une profession que l’on peut embrasser par défaut !

En ce qui concerne les formations médicales, la suppression du numerus clausus en mot, sans conséquence pratique sur le nombre de médecins formés est une aberration. Si rien n’est fait en urgence, dans 10, 15 ans la situation aura encore empirée. Il faut ouvrir largement des places dans les facultés, en créer de nouvelles, démocratiser les études : là aussi un salaire étudiant en échange d’un engagement de service public est essentiel. En permettant à des étudiants issus des quartiers ou zones loin des grands centres universitaires d’y accéder, ce serait un facteur essentiel pour favoriser une meilleure répartition des professionnels sur tout le territoire comme le prouvent des études internationales. L’urgence de former de nouveaux professionnels ne doit pas en rabattre sur l’exigence d’un haut niveau d’études scientifiques et humaines. L’irruption de l’intelligence artificielle dans notre société, dans la médecine, nécessite tout particulièrement un apprentissage critique des nouvelles technologies pour les utiliser, sans s’y soumettre.

Développer le service public!

Ne soyons pas craintifs : c’est bien par le service public que la France peut retrouver sa place au sein des nations ayant un bon système de santé. Le scandale Orpéa a mis en lumière toutes les dérives possibles, mais sans même aller jusque là, le privé, c’est par définition la captation de ressources publiques pour un enrichissement privé. Même la cour des comptes s’inquiète de l’opacité des montages financiers des cliniques privées. La soi-disante meilleure santé financière alléguée dans certains cas n’est liée qu’au tri des pathologies arbitrairement rentabilisées par la fixation arbitraire des tarifs de la T2A. Ne soyons pas frileux : la notion développée par l’Europe des Services d’Intérêt Général (SIG) a comme seul but celui de laisser la concurrence libre et non faussée jouer en sous-traitant à des associations ou entreprises privées mises en concurrence ! La santé a besoin de services publics, de solidarité, pas de mise en concurrence.

En ce qui concerne l’hospitalisation, les ESPIC (sauf sans doute les centres anti-cancéreux) sont actuellement le cheval de Troie pour faire entrer en scène des capitaux privés. Ils contribuent à la mise en concurrence des établissements dans le recrutement de médecins. Des conventions de coopération seraient suffisantes, dans l’état actuel, pour assurer la cohérence de l’hospitalisation sans faire entrer davantage le privé à l’hôpital public.

Pour les soins primaires il y a urgence au développement d’un véritable service public, impulsé par l’État, créant des centres de santé dans l’ensemble des territoires, coordonnant les initiatives déjà engagées par des communes, des départements ou des régions, évitant le mise en concurrence de ces centres, des territoires par un statut public unique des professionnels : pour les médecins, ce pourrait être un statut identique à celui de praticien hospitalier rénové. Des conventions de coopération pourraient également être faites avec des médecins libéraux en secteur 1 qui ne souhaitent pas intégrer ces centres de santé ou avec d’autres structures à caractère associatif, en tout cas à but non lucratif. C’est à cette condition que l’on pourra faire régresser les déserts médicaux par une meilleure répartition sur le territoire. C’est aussi dans ce cadre de service public que des infirmières de pratique avancée et d’autres nouveaux métiers peuvent contribuer à dégager du temps médical, tout en améliorant les prises en charge. C’est dans ce cadre que peut s’organiser une véritable permanence des soins que le libéral est, par nature, incapable de faire, surtout sans le retour qui serait nécessaire à l’obligation de gardes pour tous.

Enfin, c’est évidemment la création d’un pôle public du médicament : cela nécessiterait en soi un nouvel article !