«Le système de santé français aujourd’hui: enjeu et défis» de Thomas Barnay, Anne-Laure Samson et Bruno Ventelou

NOTE DE LECTURE PAR MICHELE LEFLON

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Alors qu’Arcelor Mittal annonce la fermeture de la cokerie de Florange dès 2022-2023, soit Le système de santé français aujourd’hui : enjeux et défis est publié à l’occasion des 30 ans du Collège des Économistes de la Santé sous la coordination de Thomas Barnay, Anne-Laure Samson et Bruno Ventelou.

La richesse de la documentation, des données chiffrées, de la bibliographie, en fait un livre incontournable pour qui s’intéresse à ces questions. Pas de naïveté par contre sur les propositions qu’il pourrait avancer : il se situe dans un cadre économique orthodoxe ! Et par exemple dans le chapitre consacré aux médicaments, Gérard de Pouvourville se contente d’écrire : « des modèles économiques alternatifs au modèle dominant actuel existent, […] mais ils sont à l’heure actuelle minoritaires ou ciblés sur des domaines spécifiques »

Certains chapitres sont plutôt des panoramas de l’évolution de la médecine et de l’organisation des soins à destination d’un public extérieur au monde de la santé, comme celui sur la génomique ou celui sur la télémédecine. Ils sont néanmoins bien documentés et on y apprend par exemple que selon une enquête de l’Assurance maladie, « en janvier 2020 67 % des téléconsultations avaient lieu dans des communes denses en professionnels et 42 % des médecins télé-consultants étaient installés dans des communes favorisées. » Une preuve supplémentaire que la téléconsultation peut être un plus, mais en aucun cas la solution au manque de professionnels !

Deux chapitres méritent une attention particulière.

Le chapitre 3, sur la place d’une assurance privée concurrentielle en complément de la Sécurité sociale, présente tous les arguments pour rejeter le développement de l’assurance privée : la maladie ne répond pas aux caractéristiques d’un « risque » qui pourrait être assuré par le marché. Il n’est pas seulement individuel, comme en témoigne la pandémie actuelle, et le risque n’est pas purement aléatoire (maladies chroniques). Rajoutons à cela le fait que les plus pauvres sont en moyenne en moins bonne santé et seraient soumis, en l’absence de régulation, à des primes leur rendant l’assurance inaccessible. S’appuyant sur une étude états-unienne des années 1970, l’auteure confirme que l’élévation des restes à charge a un effet médiocre sur la réduction globale des dépenses de santé mais que les patients souffrant de maladies chroniques couverts par les plans d’assurance les moins généreux ont une évolution plus défavorable de leur état de santé. C’est le choix de maîtriser les dépenses publiques plutôt que les dépenses totales de soins qui explique le développement du marché de l’assurance complémentaire et l’auteure reprend tout l’historique des dernières décennies et des contradictions des réformes. Il manque malheureusement une conclusion tirant la conséquence des éléments fournis : il faut aller vers le remboursement à 100% des soins prescrits par la Sécurité sociale !

C’est en fait le premier chapitre de l’ouvrage qui ouvre le plus vers des propositions. Mais quelles propositions ! En ne sortant pas des dogmes admis par les politiques ultralibérales européennes, l’auteure, B. Dormont, propose, pour sortir de l’impasse, d’en créer de nouvelles. Pour elle, il est juste d’avoir un ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) et il faut gagner en efficience car la part du PIB consacrée à la santé est une des plus importantes d’Europe alors que les inégalités sont particulièrement prégnantes dans notre pays. Pour elle, le problème vient de la division en sous objectifs, hôpital et ville. Les hôpitaux ont été étranglés alors que l’on a laissé courir les dépenses de ville. Il faudrait donc supprimer ces sous-objectifs pour les remplacer par une gestion décentralisée : allouer à des structures type ARS mais à un niveau infra régional les budgets correspondant à la population du territoire. Cette idée pourrait être séduisante : mieux répartir (car comme le dit l’auteure, en ville, les dépenses sont inégalement réparties, plus importantes là où l’offre de soins est plus présente), développer les relations ville hôpital et favoriser des pratiques démocratiques. Mais avec le maintien de l’enveloppe fermée de l’ONDAM, les échanges ville hôpital risquent surtout d’être à qui remportera la mise et la réduction des inégalités territoriales le nivellement par le bas de la consommation de soins ! Notons que les avancées démocratiques seraient réservées aux professionnels de santé car les usagers ne sont pas, pour B. Dormont, des citoyens capables de dire leurs besoins mais simplement des consommateurs. La répartition des enveloppes financières affectées à chaque territoire se ferait par appel à projet, faisant jouer la concurrence alors qu’il y a tant besoin de coopération entre les professionnels. Nulle notion de service public de soins primaires : c’est pourtant le développement d’un tel service public, autour des centres de santé déjà existants qui pourrait répondre aux besoins en assurant la coopération entre les différents professionnels et avec le service public hospitalier.

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Dr Michèle Leflon, «Note de lecture : Le système de santé français aujourd’hui : enjeux et défis » de Thomas Barnay, Anne-Laure Samson et Bruno Ventelou », Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, n°38, septembre 2021.