Résumé :
L’auteur en mission à Mayotte présente la situation sanitaire de l’île. Bien que département de la République française, l’île ne possède pas les mêmes droits que la métropole. L’AME n’existe pas. Le code de la Sécurité sociale ne s’applique pas. La population très pauvre n’accède pas aux soins par manque de médecins et d’infrastructures. Beaucoup d’enfants vivent dans des situations intenables. La population est divisée. Et l’action de police du ministre de l’intérieur aggrave tout. Cette île devient une bombe sociale. La présentation simple et directe faite par l’auteur est saisissante.
Abstract :
The author on a mission to Mayotte presents the health situation on the island. Although a department of the French Republic, the island does not have the same rights as the metropolis. The AME does not exist. The Social Security code does not apply. The very poor population does not have access to care due to a lack of doctors and infrastructure. Many children live in untenable situations. The population is divided. And the police action of the Minister of the Interior makes everything worse. This island is becoming a social bomb. The simple and direct presentation made by the author is striking.
Depuis quelques semaines nous vivons à Mayotte au rythme des sirènes de police, de gendarmerie, de pompiers. Le centre de santé où je travaille est au Rond-Point SFR (à Mayotte les ronds-points sont désignés par le bâtiment le plus remarquable qui s’y trouve) à l’entrée du quartier de Kaweni, où se trouve un des plus importants bidonvilles de la capitale, Mamoudzou. C’est sur les hauteurs qui surplombent la route nationale 1 qui monte vers le Nord de l’ile que s’entassent les « bangas » en tôle ondulé, un des matériaux les plus vendus sur l’île. Le rythme de passage des véhicules qui passent toutes des sirènes hurlantes est de 10 à 15 par heure. C’est une noria incessante de véhicules qui vont et qui reviennent, on s’habitue aux bruits…
Le Préfet l’a annoncé le 22 mai, cette opération « Wuambushu » qui vise à lutter contre l’habitat insalubre, et de préciser qu’un grand nombre de Français et d’étranger en situation régulière « vivaient dans des conditions insupportables, ils mettent leur vie en danger ». !? Quel aveu pour ce représentant de l’État qui reconnait que de très nombreux compatriotes vivent depuis des années dans des conditions insupportables, par défaut d’une politique de construction à la hauteur des besoins. En réponse on rase d’abord au bulldozer et « Les travailleurs sociaux reviendront ensuite pour réaliser des enquêtes sociales dans le but de proposer des solutions de relogement aux familles”, a assuré la responsable en charge de la résorption de l’habitat insalubre à la préfecture.
Imaginez à La Courneuve aux « 4 000 » ou au « Luth » à Gennevilliers, on explose d’abord les immeubles et ensuite on réalise une enquête pour proposer des relogements. Tout est normal.
De plus en plus de patients se présentent avec des troubles psychosomatiques, lorsque les symptômes sont confus, un questionnement sur leur lieu de vie ramène immanquablement dans les bangas qui ont été « marqués » car ce sont ceux sont soumis à destruction. Ici on parle de « décasage ». Je ne sais pas pourquoi ça me renvoie à « la Case de l’oncle Tom ».
La discussion permet de comprendre la réalité vécue. Le père, Mahorais et donc Français, qui travaille comme fonctionnaire territorial à la mairie, la mère Comorienne en situation irrégulière, avec 2 enfants en bas âge, nés au Centre Hospitalier de Mayotte, ici tout le monde dit le CHM, et donc Français et qui ont fait revenir des Comores deux plus grands enfants d’une précédente union. Ceux-là ont de la chance, le père est Français, ses enfants aussi, la mère sera renvoyée à Anjouan, l’ile des Comores la plus proche, à 70km de Mayotte, d’où viennent la grande masse des migrants clandestins. Les mineurs comoriens pourront éventuellement rester ou seront renvoyés avec la mère. Elle a de quoi être mal dans sa vie.
Telle autre patiente (c’est souvent les femmes qui consultent, avec leurs enfants, le taux de fécondité moyen à 4,6 est 2,5 fois plus élevé à Mayotte qu’en métropole, mais différent selon l’origine avec 3,5 enfants par femme née à Mayotte contre 6 pour les femmes nées à l’étranger, pour ne pas dire principalement Anjouan), m’explique, par le truchement d’une secrétaire qui fait interprète (près du tiers des patients dont peu ou non francophone) qu’elle est en situation irrégulière, son mari aussi, mais ses enfants sont nés à Mayotte, ils ne sont donc pas expulsables par le droit du sol. Son angoisse c’est qu’elle et son mari seront expulsés après la destruction de leur banga, les enfants resteront à Mayotte, gardés par d’autres membres de leu famille (il y a toujours un oncle une cousine, la famille élargie), qui prendront les petits mais il faudra les nourrir, avec quels moyens… Leurs préado ou ado de moins de 17 ans, également nés à Mayotte, ne seront pas non plus expulsés, ils choisiront à 18 ans de devenir Français pour rester sur cette ile où ils ont toujours vécu plutôt que de partir vers un pays qu’ils ne connaissent pas. Ils seront pris en charge par l’ASE car mineurs non accompagnés mais qui ne disposent pas de moyens en hébergement, pas de structure collective ni de famille d’accueil.
Comment ne pas se comprendre que ce sont des bombes à explosion imminente, ils auront vu leurs maisons détruites au bulldozer, leurs parents expulsés et eux livrés à la rue, avec les autres de leur âge, en bandes plus ou moins organisées, appelés délinquants, voyous, que certains élus macronistes de l’île proposent de « tuer » ? Ça laissera longtemps des traces dans les esprits.
Ce patient, venu consulter car blessé au travail, son pied écrasé par une palette, employé dans une boutique, n’aura pas d’arrêt de travail car il n’a pas de papiers, travaille au black, depuis 10 ans, sans protection sociale ; il me demande d’organiser les soins de façon qu’il ne sorte pas trop de son quartier car avec les contrôles de plus en plus fréquents de toutes les polices de l’île et craint d’être renvoyé à Anjouan.
Officiellement l’île compte près de 300 000 habitants en 2022. La moitié est étrangère. Sur les 11 000 naissances survenues au CHM (6 500 en 2013), la moitié n’ont pas au moins un des parents français. Les moins de 18 ans représentaient en 2017 la moitié des habitants de l’île, 60 000 enfants sont nés depuis, soit 20 % de la population, dont la moitié de parents étrangers.
Les migrants travaillent presque tous, clandestinement, mal payés, non déclarés, sans protection sociale : personnels de maison, employés de boutiques, ouvriers des chantiers employés par les sous-traitants des grosses sociétés françaises, ils contribuent très fortement à l’économie locale, produisent et consomment sur place.
Les mahorais souffrent tout autant dans cette île, française depuis 1841, non par colonisation mais par choix de ne pas subir les attaquent incessantes des sultans voisins des Comores et de Madagascar, qui les considéraient comme un sous peuple. 25 ans plus tard la France occupe le reste de l’archipel des Comores sous forme de « protectorat ».
Ce choix a été réaffirmé par trois référendum. Le premier, sur injonction de l’ONU, la France organise un référendum dans son protectorat et si les 3 îles de la Grande Comore, Mohéli et Anjouan votent à plus de 95% pour l’indépendance, Mayotte vote à 63 % pour rester française. En 1976 ce vote est confirmé face à une contestation de l’État des Comores, par un second référendum organisé pour la seule ile de Mayotte.
Les femmes se sont mobilisées très fortement pour combattre les hommes politiques comoriens qui venaient en force sur l’ile pour la campagne d’indépendance. Elles les empêchent de mener leur campagne en les encerclant et en les faisant céder ou repartir en avion en les chatouillant. Elles ont acquis le surnom des « chatouilleuses de Mayotte ».
Un troisième référendum a été organisé en 2009 pour faire évoluer le statut de l’île de collectivité territoriale à statut particulier en Département et Région d’outre-mer de la République; il a été adopté par plus de 61% des 95% des votants. L’État des Comores revendique sans interruption depuis 1974 la souveraineté sur Mayotte, et la France a été condamnée par 19 résolutions (non contraignantes) de l’ONU pour sa politique de maintien de Mayotte dans la République. Cette île est le 101ème département français, devenue depuis 2014 une région ultra-périphérique de l’Union Européenne.
Les Mahorais se sentent tout de même marginalisés bien que département français. Ils ne bénéficient pas des mêmes droits que les autres départements, le Code de la Sécurité sociale ne s’applique pas, seuls certains articles sont transposés dans le cadre d’une Ordonnance datant du 20 décembre 1996.
L’organisation des soins à Mayotte est catastrophique pour tout le monde, assurés et non assurés. Les salariés paient des cotisations sociales ouvrant droit à la Sécu mais ne peuvent accéder aux soins. Pour ses 300 000 habitats il y a 30 généralistes libéraux, soit 1 MG pour 10 000 habitants. En métropole nous en sommes à 8,2 et les territoires sont très déficitaires en dessous de 4 MG pour 10 000 habitants. Le CHM, seul service public de santé du territoire dotés de moyens conséquents, est obligé de compenser ce déficit phénoménal avec ses consultations externes et ses 10 « dispensaires » répartis dans tous les territoires de l’ile.
Depuis quelques années, les besoins des résidents non réguliers du territoire sont devenus très fortement prioritaires, car ils n’ont pas de protection sociale et ne peuvent donc accéder à la médecine de ville et ils représentent, en tant que migrants et vivant dans des conditions très précaires et exposés aux risques sanitaires, une priorité de prise en charge car susceptibles de provoquer d’importantes épidémies sur le territoire.
La CMU, devenue CSS, n’existe pas à Mayotte, plus de la moitié de la population régulière pourrait y prétendre, comme au RSA, dont les critères et le plafond de ressource sont différents du reste de la métropole. Ne parlons pas de l’AME qui n’existe pas, les migrants quelle que soit leur ancienneté sur le territoire n’y ont pas droit et pour accéder aux soins ils doivent payer une contribution forfaitaire au CHM pour les soins (consultations et pharmacie); ce rêve d’un grand nombre de parlementaire de droite et d’extrême droite est appliqué depuis longtemps à Mayotte. Un « comble » aux yeux des mahorais qui voient ces non assurés, en situation irrégulière, accéder aux soins, en payant officiellement une contribution forfaitaire à l’hôpital.
Les Mahorais constatent donc qu’ils ne peuvent pas accéder à la médecine de ville car très peu développée, ne peuvent plus accéder au CHM car priorité de santé public oblige, les sans Sécu saturent ses consultations. La frustration et la colère alimentent les réactions de la population locale.
En soutien à l’opération Wuambushu, des mahoraises, se réclamant héritières des « chatouilleuses » du milieu du XXèmesiècle, ont décidé début mai de boquer l’accès des migrants aux dispensaires, de bloquer les consultations du CHM et des centres hospitaliers périphériques, créant des violences dans et devant les établissements, contraignant le personnel à un droit de retrait et la direction à fermer ses services. Pendant plus de 15 jours l’accès aux soins de la population a été entravé, la police nationale n’a pas bougé et lorsqu’elle intervenait c’était pour encourager ces « chatouilleuses », indignent de leurs ancêtres.
Dans ce territoire, comme dans tout les départements français, l’accès aux soins, sans discrimination ne pourra se faire que grâce à une politique volontariste des élus locaux et de l’État mettant en place un service public de santé ambulatoire, s’appuyant sur des centres de santé.
Mais l’heure est aux calculs politiciens et personnels de notre ministre de l’Intérieur. Tout le monde en parle ici. Ce futur candidat à la succession d’Emmanuel Macron veut se doter d’une stature d’homme d’État, capable de s’imposer face à Marine Le Pen en se montrant inflexible sur le volet lutte contre l’immigration clandestine. C’est si facile à 10 000 km de Paris. Mais le retour de bâton est totalement sous-estimé, les vrais problèmes ne sont pas abordés et les explosions à venir justifieront encore plus de répression et d’opération de police.