Résumé :
L’auteur analyse la Loi de financement de la Sécurité sociale 2024 marquée par la pénurie des moyens destinés à l’hôpital public, un discours fallacieux sur la prévention, des attaques contre les retraites, l’assurance chômage, le secteur du handicap et des personnes âgées. C’est la poursuite d’une politique d’austérité.
Abstract :
The author analyzes the 2024 Social Security Financing Law marked by a shortage of resources intended for public hospitals, a fallacious discourse on prevention, attacks on pensions, unemployment insurance, the disability sector and the elderly. It is the continuation of an austerity policy.
Dans la continuité des précédents Projet de Loi de Financement de la Sécurité sociale et en toute cohérence avec le Projet de Loi de Finances 2024 du gouvernement, la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2024 va encore plus tourner le dos aux immenses besoins de la population en terme de santé, d’égalité d’accès aux soins, de développement des services publics…
Ce projet de financement doit aussi être regardé à la lumière du projet de Stratégie Nationale de Santé pour 2033, en cours d’élaboration, qui s’arc-boute sur un virage ambulatoire et domiciliaire qui ne tient pas compte de l’offre réelle de soins ou de prise en charge, pas plus que des situations sociales et démographiques de la population. Alors même que le pays s’enfonce dans une crise sanitaire sans précédent, avec un service public hospitalier et un secteur médico-social sinistrés, le gouvernement résume les attendus de la Sécurité sociale aux seules exigences de « soutenabilité et d’acceptabilité de notre modèle social »… pour mieux démolir celui-ci !
Le seul objectif de la LFSS est le « redressement des comptes sociaux », avec un ONDAM à 3,2% (en réalité 2,9% hors dépenses crise COVID), soit une volonté d’ignorer l’inflation attendue de 4,8% pour 2024. La situation exige un rattrapage et un ONDAM à 10%. Au regard de l’évolution des dépenses de santé (un prévisionnel d’accroissement de 8 milliards) c’est encore un objectif programmé de 3,5 milliards d’économies. Les dépenses de Sécurité sociale sont arrêtées à 640 milliards et d’Assurance maladie à 252 milliards d’euros.
Afin d’arriver à ses objectifs, le gouvernement déploie « des trésors d’inventivité» , avec de lignes-forces constantes : gestion des pénuries à tous les étages, enfumage avec des mesures « poudre aux yeux », pillage en interne des ressources de l’Assurance maladie, sollicitation accrue de la responsabilité individuelle des assurés et des professionnels. Seule l’Assurance maladie fait l’objet de toutes les attentions et les autres branches sont abordées à la marge, sans aucun financement supplémentaire. Au final les ressources sont établies ainsi : 46% des entreprises et administrations et 56% des ménages !
Il ne nous reste plus qu’à démonter l’immense imposture de ce gouvernement ultra-libéral et sa communication sur de soi-disant « nouvelles prises en charge, d’engagements et d’investissements en faveur d’un meilleur accès aux soins, au service de toutes les familles et de la pleine inclusion de chacun ».
Quelques axes de la LFSS 2024 doivent retenir notre attention :
1) Poursuivre la transformation du système de santé pour renforcer la prévention et l’accès aux soins
- Le gouvernement entend « accélérer le virage de la prévention à tous les étages du système de santé ». Mais comme le montre le projet de Stratégie Nationale de Santé 2023/2033 il ne s’agit pas d’une véritable politique de prévention puisque cela consiste à cibler les seuls comportements individuels sans jamais interroger les causes profondes socio-économiques. Alors que les services publics de la médecine du travail, de la médecine scolaire, de la PMI sont en voie de disparition, les ambitions du PLFSS sont très limitées :
– faciliter l’accès au vaccin contre le papillomavirus dès 11 ans
– faciliter l’accès aux préservatifs pour les jeunes de moins de 26 ans
– faciliter l’accès à des protections périodiques réutilisables pour les assurées de moins de 26 ans
– déployer les bilans de prévention pour certaines classes d’âge
Le projet reste très flou sur les moyens, notamment humains, mise à part la prise en charge à 100%.
- Le projet annonce « un investissement ambitieux dans le système de santé pour un fonctionnement modernisé au service d’un meilleur accès aux soins » mais il propose de « rééquilibrer le financement des établissements de santé pour mieux prendre en compte la diversité de leurs missions » :
Derrière ces mots, il ne s’agit en aucune manière de faire face aux déficits qui se sont creusés en 2023, avec l’explosion des coûts de l’énergie de 130%, ni de désendetter malgré le Ségur de la Santé de 2020, mais juste d’une opération de communication prenant appui sur le rejet de la T2A, et aussi sur des propositions provenant du corps médical…
Il propose un financement à 3 étages :
- Les activités standard financées par la T2A
- Les activités répondant à des objectifs de santé publique financées par des dotations spécifiques
- Les activités de soins aigus, spécifiques alliant T2A et dotations identifiées par activités
Ceci ressemble étrangement à l’existant qui combine la T2A, les MIGAC et des dotations nationales pour des plans nationaux. Restant dans la logique de contraindre en les contrôlant les dépenses hospitalières, le gouvernement entend changer de vocables sans changer de politique. Encadré par l’ONDAM ce financement mixte redistribuera la pénurie de financement selon le rapport de force entre secteurs public et privé, les dotations forfaitaires restant sous le pilotage des ARS.
- Alors même que les revalorisations des personnels engagés en 2022 et 2023 ne sont pas à la hauteur des exigences exprimées depuis 2019, elles ne seront même pas financées par cette LFSS à 3,2% , bien loin de renforcer l’attractivité des métiers avec un vaste plan d’embauche et de formation, qui, seul peut enrayer la fuite des personnels soignants et les fermetures des lits !
- Il en est de même pour « la filière palliative », avec pour seule ambition une équipe de soins palliatifs par département…
- Il faut être attentifs à l’objectif d’élargir les expérimentations de « l’article 51 » de 2018 qui prévoit un financement forfaitaire collectif pour les parcours de soins coordonnés dans lesquels les hôpitaux perdent une partie de la maîtrise de leurs ressources…
Quand on rapproche cela du projet stratégique pour 2033 on note que sans jamais citer le mot « hôpital » on organise une « gradation des soins », des soins primaires et spécialisés autour de la médecine de ville, jusqu’aux soins en « structures très spécialisées » qui réduit l’hôpital au recours de ceux qui n’ont pas d’autre solution.
- Pour pallier la pénurie médicale en ville, les pharmaciens et les chirurgiens-dentistes vont être mis à contribution, les uns pour délivrer des antibiotiques sans prescription médicale préalable, les autres pour limiter les urgences de soins dentaires…
Le comble de l’irresponsabilité est atteint avec le projet de stratégie pour 2033 qui reconnaît que le nombre de professionnels formés dans notre pays sera insuffisant pour faire face aux évolutions des pratiques, des techniques et au vieillissement. L’objectif est de faire diminuer en amont le recours aux services notamment d’urgences, il n’est pas de trouver une solution aux déserts médicaux et dentaires…
- L’articulation de la C2S avec certains minima sociaux laissent entrevoir le projet de resserrement de ceux-ci…
2) Garantir l’accès des français aux médicaments du quotidien et aux produits de santé innovants recouvre des mesures déjà bien médiatisées
C’est une combinaison de trois objectifs : pallier « aux tensions d’approvisionnement » qui s’approfondissent, organiser la baisse de la consommation médicamenteuse, et financer les laboratoires pharmaceutiques.
Les mesures de la LFSS en la matière sont disparates et dérisoires :
- Inciter les entreprise détentrices ou exploitantes d’AMM qui arrêtent la commercialisation de médicaments matures devenus non-rentables à trouver un repreneur sous peine de pénalité financière
- Mettre en œuvre la délivrance à l’unité ou encore interdire la prescription de certains médicaments par téléconsultation…
- Étendre l’autorisation de production de certains médicaments, aux établissements de santé et aux pharmacies d’officine
Par ailleurs, le gouvernement entend « assouplir la réglementation actuelle pour accélérer » l’inscription de certains dispositifs médicaux ou des traitements diagnostiques et thérapeutiques… et améliorer les dispositifs d’accès dérogatoires à des médicaments innovants. « Le diable se cache dans les détails » : c’est le cas avec l’article 11 qui modifie les conditions de la clause de sauvegarde entre la Sécurité sociale et les laboratoires, ce qui conduit à leur faire un cadeau de +35% sur les bénéfices. Le constat qui sous-tend ces mesures, comme la volonté inscrite dans le projet de Stratégie pour 2033 d’augmenter la capacité de production nationale de certains médicaments donnent de la légitimité à la proposition de pôle public du médicament.
3) Le gouvernement a beaucoup communiqué sur sa lutte contre la fraude sociale, sachant que le plus grand volume concerne l’URSSAF et les fraudes aux cotisations des employeurs, avec 788 millions en 2022.
Sont surtout visés les plateformes numériques et les praticiens et auxiliaires médicaux. Dans ce cas il est prévu l’annulation de la participation de l’Assurance maladie à la prise en charge de leurs prestations et d’en réclamer le remboursement : la question reste les moyens humain et numériques pour atteindre ces objectifs… Le plus gros scandale de cette LFSS, pour les salariés et la Sécurité sociale, est l’article 27 avec les arrêts de travail dans le collimateur. Après avoir, momentanément, abandonné le projet du doublement des franchises sur les médicaments et les consultations médicales pour le renvoyer à un décret qui est annoncé, le gouvernement veut satisfaire une revendication patronale de longue date : ce ne seraient plus les médecins-conseils de l’Assurance maladie qui évalueraient les arrêts maladie mais les médecins diligentés par l’employeur ! Dans le droit fil de l’Accord National AT/MP de juin, qui donne tout pouvoir au patronat sur les accidents de travail et maladies professionnelles, avec la création « d’une branche autonome » dissociée de la branche maladie, les employeurs auront la main sur la durée des arrêts et leurs indemnités. Qu’en sera-t-il alors du secret médical ? Il faut relever aussi que l’article 39, dont la rédaction est floue, suscite les craintes d’une réduction de l’indemnisation en cas de faute inexcusable de l’employeur.
4) La poursuite des politiques de soutien à l’autonomie risque de rester un vœu pieux au regard du report réitéré de la « grande loi sur le vieillissement »
Si le gouvernement se gausse d’une « trajectoire de hausse sans précédent des moyens alloués par la Sécurité sociale à l’autonomie » les mesures envisagées qui actent un taux d’évolution de 4 %, donc inférieur à l’inflation, annoncent la poursuite de l’appel à l’effort des territoires et des familles, tout en augmentant les transferts en interne.
La LFSS 2024 veut poursuivre le « virage domiciliaire » : moins de places en EHPAD et plus de création de places de SSIAD (25 000 d’ici 2030 ?). Les PRS et le projet de stratégie nationale de santé pour 2033, se cachant derrière le besoin d’inclusion, mettent aussi cet objectif au cœur de la décennie, en omettant tout autant la question des moyens, renvoyant la charge aux familles et aux « aidants». Comme pour les SAAD financées par les départements, la question de l’attractivité des métiers, celle du salaire, du statut et des conditions de travail, n’est pas abordée…
- La prise en charge du Handicap est le parent pauvre de ce PLFSS avec seulement la création « d’un service de repérage, de diagnostic et d’accompagnement » pour près de 200 000 enfants cette année : tout est renvoyé aux engagements de la Conférence nationale du Handicap d’avril 2023 ??
- La LFSS veut expérimenter le regroupement des dépenses afférentes à la prise en charge de la dépendance, relevant des départements, celles de la section soins des EHPAD au sein de la seule branche autonomie. Le prétexte de la « simplification » ne tient pas, les problèmes résident surtout dans l’insuffisance des financements. Cette « centralisation » pourrait cacher une refonte de l’APA, toujours dans l’objectif de baisse des dépenses sociales… Cette disposition prend complètement à rebours les propositions de prise en charge de l’autonomie par l’Assurance maladie !
Il est utile de signaler que le projet de Stratégie Nationale de Santé pour 2033 veut de plus en plus éloigner le malade vieillissant des structures médicales et hospitalières le laissant aux soins de professionnels paramédicaux, comme si avec l’âge, l’accès aux soins médicaux était devenu illégitime…Une vision problématique sur le plan éthique… Quant aux effectifs, les chiffres avancés sont loin des besoins : 50 000 d’ici 2030, dont 6 000 en 2024 ! Or, pour avoir un taux d’encadrement de 1/1 prévu dans le plan solidarité grand âge de 2005, on peut calculer qu’il manque aujourd’hui 220 000 salariés et qu’il faudrait en créer 105 000 de plus d’ici 2030…
5) En toute logique gouvernementale, la LFSS met en musique la contre-réforme des retraites imposée par le 49-3 !
6) Concernant l’UNEDIC
Au mépris du désaccord avec les organisations syndicales et au nom de « l’investissement en faveur du plein emploi », le gouvernement se saisit de la LFSS pour engager le hold-up sur les ressources de l’UNEDIC afin de financer sa stratégie de baisse du coût du travail et de précarisation : le « co-investissement » serait de 2 milliards en 2023, puis entre 2,5/2,7 milliards en 2024.
Ainsi, le gouvernement entend poursuivre sa gestion de la pénurie à tous les niveaux, tout en favorisant le secteur privé, et augmentant la charge financière sur les assurés et leurs familles. Derrière les mots « modernisation », « transformation », simplification », « soutenabilité de notre modèle social », se profile en réalité une dévitalisation de la Sécurité sociale : au-delà de l’attaque contre ses ressources (organisation des déficits cumulés et planifiés !) que nous vivons depuis de nombreuses années, aujourd’hui nous sommes en présence, à travers notamment l’assurance maladie à une remise en cause de la protection sociale et donc de ses missions.