Jean-Paul Bouttes, est ingénieur et économiste. Il a été directeur de la stratégie et de la prospective ainsi que chef économiste à EDF. Il a également été membre du comité des études du Conseil mondial de l’énergie et professeur chargé de cours en sciences économiques à l’École polytechnique. Il a publié à la Fondation Fondapol quatre volumes et un glossaire très intéressants. Nous donnons ici cette note de lecture car les déchets nucléaires posent des problèmes de santé publique de courts et longs termes. Le coffret publié par Fondapol est très remarquable de ce point de vue.
Ce coffret est intitulé Les déchets nucléaires : une approche globale. Il propose tout d’abord une cartographie des quantités et des dangers potentiels des déchets nucléaires en les resituant dans l’ensemble des déchets produits par notre société. Il donne les bases scientifiques et techniques pour comprendre la nature des déchets nucléaires, les risques sanitaires associés et les solutions de gestion pour prévenir ces risques. L’enquête est ensuite élargie à la problématique des risques légués aux générations futures (déchets, évolution du climat, dégradation de la biodiversité) et aborde la question centrale de nos responsabilités éthiques vis-à-vis de ces générations. Enfin sont évoquées les conditions de réussite de la mise en oeuvre des solutions industrielles de gestion des déchets nucléaires en mettant en évidence le rôle central de l’État et celui des institutions démocratiques permettant aux citoyens et aux politiques de décider de façon informée et effective.
L’activité humaine a connu dans les dernières décennies un changement d’échelle concernant la transformation de matières et la production de déchets de tous ordres. Ces déchets produits massivement sont parfois réutilisables ou recyclables. Certains sont potentiellement toxiques. Sont exposées les caractéristiques des dangers potentiels des déchets nucléaires, les phénomènes physiques à l’œuvre et les dangers liés à la radioactivité avant mise en place de solutions de protection. Les dangers potentiels des déchets nucléaires sont comparables à ceux d’autres déchets chimiques toxiques produits en quantités importantes par l’industrie. Les déchets nucléaires ont cependant l’avantage de représenter de faibles quantités (en masse et en volume) et d’être très facilement traçables. Leur quantité et leur dangerosité dépendront de la stratégie de recyclage adoptée.
Les solutions pour maîtriser le risque des déchets radioactifs reposent sur deux principes : réduire les quantités à la source et empêcher les radionucléides d’arriver jusqu’à l’être humain et de se répandre dans l’environnement. C’est à leur sortie du réacteur, pendant les premières décennies qui suivent, que les déchets nucléaires sont les plus dangereux, c’est-à-dire émettent plus de rayonnement et de chaleur. Les solutions de protection contre ces rayonnements passent par des moyens simples : interposer entre ces produits et l’être humain de l’eau, du béton ou du plomb. Diverses solutions, selon les différentes catégories de déchets, sont actuellement mises en œuvre en France sous le contrôle de l’ASN. Elles permettent de protéger efficacement les populations et l’environnement à un horizon de deux ou trois siècles. Une très petite partie de ces déchets nécessite de mettre en place des solutions à très long terme pour préserver les générations futures. Les travaux de recherche scientifique très importants menés ces dernières décennies en France comme à l’échelle internationale permettent de disposer aujourd’hui de solutions adaptées au long terme, qui combinent entreposage de longue durée, transmutation et stockage géologique (projet Cigéo en France). Le stockage géologique est considéré par la communauté internationale comme la solution de référence.
L’horizon temporel des risques liés aux déchets nucléaires conduit à s’interroger sur nos responsabilités concernant les générations futures, y compris à très long terme (siècles, millénaires et au-delà). Les approches du « calcul économique public » éclairent le choix entre stockage géologique et entreposage de longue durée en fonction de l’état des sociétés futures. Une grille d’analyse plus large des risques et des opportunités transmis aux générations futures, qui hiérarchise les degrés de danger, les échelles géographiques et prend en compte le niveau de réversibilité, permet une meilleure appréciation des questions posées par les déchets nucléaires par rapport à des risques locaux, comme ceux liés aux déchets industriels toxiques, et par rapport à des risques globaux et majeurs, comme la perte de biodiversité ou l’évolution du climat. Cette grille d’analyse permet de comparer l’intérêt de la filière nucléaire par rapport aux autres filières énergétiques (fossiles et renouvelables) pour les générations présentes et futures. Enfin, les ressources des philosophies éthiques sont mobilisées pour mieux penser l’équilibre à trouver entre les responsabilités des générations présentes et celles des générations futures, et mieux hiérarchiser ce qui pourrait être le patrimoine le plus précieux à léguer à ces dernières : connaissances scientifiques, institutions démocratiques, sagesses pratiques ?
Différentes solutions de gestion des déchets nucléaires existent et peuvent protéger les générations futures sur le très long terme mais il ne faut pas minimiser les difficultés que rencontre leur mise en œuvre. Ces solutions supposent un État efficace, doté de compétences de prospective à long terme afin d’éclairer les enjeux du système nucléaire, et de compétences opérationnelles de pilotage de projets industriels de grande ampleur comme Cigéo. L’histoire des débats en France sur les déchets nucléaires illustre également la nécessité de faire des progrès importants concernant le fonctionnement de nos institutions démocratiques pour traiter ce genre de sujet mais encore davantage des sujets complexes comme l’évolution du climat ou la biodiversité. Ce fonctionnement doit s’appuyer sur le travail d’une expertise scientifique et technique transverse, ainsi que sur la sollicitation de ressources prospectives et éthiques, au service de l’intérêt général et non d’objectifs partisans ou militants. Il s’agit là d’un appel à l’invention de nouvelles institutions démocratiques afin de prendre en compte ces enjeux techniques et industriels majeurs pour les générations futures.