Résumé :
L’auteur souligne que ce vaste secteur qui tend à promouvoir l’autonomie et à prévenir l’exclusion est mal connu. C’est plus de 34 000 structures, environ 2,4 millions de places, 1,7 million de salariés et de nombreux organismes gestionnaires. Aujourd’hui, le secteur médico-social souffre d’un manque cruel d’emplois. Nous assistons à une méthodique dégradation des dispositifs, face à une demande qui ne cesse d’augmenter. L’auteur appelle à une mobilisation de tous pour soutenir ces services publics qui s’effondrent.
Abstract :
The author emphasizes that this vast sector which tends to promote autonomy and prevent exclusion is poorly understood. There are more than 34,000 structures, around 2.4 million places, 1,7 million employees and numerous management organizations. Today, the medical-social sector suffers from a severe lack of jobs. We are witnessing a methodical deterioration of devices, in the face of constantly increasing demand. The author calls for everyone to mobilize to support these public services which are collapsing.
« Dans la vie, il n’y a pas de solutions, il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent ? » Antoine de Saint – Exupéry
On parle de médico-social dès lors que l’accompagnement du public demande une prise en charge sanitaire avec l’intervention des professionnels de santé. Le secteur médico-social est l’ensemble des activités qui tendent à promouvoir l’autonomie et à prévenir l’exclusion. Elles concernent des publics aux besoins particuliers tels que les enfants, les personnes handicapées, les familles vulnérables ou encore les personnes âgées. On peut ainsi légitimement considérer que le domaine du médico-social couvre l’ensemble d’une vie (de l’enfance au placement en EHPAD).
Les professions du médico-social sont variées et en constante évolution, allant de l’infirmier à l’assistant de service social, l’éducateur spécialisé, le médecin, l’aide-soignant, l’auxiliaire de vie, le psychologue, l’animateur, l’agent de service médico-social, le personnel administratif, l’aide médico-psychologique, l’assistant familial, le chef de service éducatif, le conseiller technique, l’éducateur de jeunes enfants, la puéricultrice, l’auxiliaire de puériculture, l’éducateur technique spécialisé, le moniteur-éducateur et l’ergothérapeute, soit plus d’une quinzaine de métiers.
De prime abord, nous pourrions considérer qu’il n’est plus nécessaire de détailler l’identité et l’organisation du secteur social et médico-social. Créé par la loi du 30 juin 1975, complété, refondé par divers gouvernements, ce secteur pourrait paraître à ce point connu qu’il soit inutile de le présenter. Et pourtant, il n’en est rien : plus que jamais, il est nécessaire, voire impératif d’approfondir, de redéfinir la carte de visite de ce secteur, et ce pour au moins trois raisons : une organisation complexe, une architecture mal appréhendée par les acteurs sociaux et médico-sociaux eux-mêmes et une palette de prestations largement diversifiée, méconnue des établissements et professionnels du champ sanitaire.
En effet, au regard de l’organisation hospitalière, le champ des établissements et services sociaux et médico-sociaux n’est pas simple à comprendre : plus de 34 000 structures, environ 2,4 millions de places, 1,7 million de salariés, de nombreux organismes gestionnaires (publics, privés, commerciaux, et qui pour certains ont un enjeu économique lucratif), une nomenclature vaste et diversifiée de catégories d’établissements et de services en milieu ouvert, des tarifications multiples, des sources de financements nombreuses ( budgets de l’État, de l’Assurance Maladie et de la Caisse nationale de solidarité pour l’Autonomie, des départements, sans compter l’importante participation des usagers eux-mêmes en gérontologie) , une gouvernance régionale et départementale comportant plusieurs décideurs (Préfets, directeurs généraux d’Agences Régionales de Santé, Présidents de Conseils Départementaux etc) , des outils de pilotage divers, des appels à projet, soit un secteur majeur de l’économie.
Ce champ, très hétérogène est également mal connu des gestionnaires d’établissements, comme des professionnels sociaux et médico-sociaux : ce secteur présente en effet bon nombre de fragmentations et de cloisonnements pouvant constituer autant d’obstacles à la fluidité des parcours et à la continuité des accompagnements. Il est fréquent que les acteurs exerçant en établissement connaissent mal ceux intervenant à domicile ou en milieu ouvert, et inversement. Enfin, les professionnels du champ sanitaire appréhendent parfois avec des difficultés le champ social et médico-social, alors même que la bonne articulation des deux secteurs est plus que jamais une nécessité pour bien conjuguer projet de vie et projet de soins.
Si la coupure entre le sanitaire et le social a pratiquement disparu des textes, elle est toujours très forte dans les esprits et les pratiques professionnelles des acteurs des deux champs. Le secteur social et médico-social, reflet des populations fragiles, vulnérables photo instantanée de l’état de notre société est-il en capacité de répondre aux demandes, aux injonctions d’une société, en perte de repères, à la dérive, il faut le dire, en errance, en désespérance ? Nous devons faire face et allons devoir satisfaire des besoins considérables, qu’il convient dès à présent de chiffrer, de prévoir, d’anticiper, à travers des dispositifs, qui certes existent, mais qui ne répondent pas aux enjeux de la période.
Aujourd’hui, le secteur médico-social souffre d’un manque cruel d’emplois. Quelques 110 000 postes restent à pourvoir dans des domaines aussi divers que l’aide à la personne, l’assistance aux soins, éducateur spécialisé, ambulancier. Ces métiers exigeants connaissent un déficit de valorisation en terme de rémunération et d’image. La nature des contrats reste essentiellement des CDD, et de nombreux départs à la retraite sont à prévoir. Les effectifs des promotions ont été baissés, et vont continuer de l’être. Quelles sont les causes d’un tel déficit, d’une telle pénurie de ces emplois ?
Il y a une grande diversité au sein de ces emplois, avec des spécificités différentes pour chaque métier, des rythmes sociaux différents. Ces métiers sont éprouvants et exigent une forte implication et un besoin d’aide à l’autre. Ces métiers, si riches humainement, se voient d’emblée dévalorisés sur le plan financier, à savoir, la porte d’entrée de ce qui s’appelle la reconnaissance. Des exemples concrets : des enfants en danger sur liste d’attente pour bénéficier d’un éducateur, des séniors qui peinent à trouver une aide à domicile : partout en France, le secteur du travail social est confronté à des difficultés de recrutement inédites (dernièrement, des « speed dating » pour rentrer au CHU de Grenoble), et qui s’expliquent en grande partie par le faible niveau des salaires. « La situation est catastrophique : on a des foyers pour personnes handicapées qui renvoient leurs résidents deux jours par semaine dans leur famille » explique à l’AFP Alain Raoul, le président de Nexem, une fédération d’employeurs associatifs dans les secteurs du social et du sanitaire.
Dans l’ensemble de la branche qui vient en aide aux enfants en danger, aux personnes handicapées ou âgées ou encore aux sans-abris ou aux femmes victimes de violences, au moins 50 000 postes sont vacants sur 850 000 au total selon les chiffres de Nexem. Pour les salariés en place, le manque d’effectifs entraîne une grande pénibilité qui peut conduire au burn-out. Certains finissent par quitter le secteur, se retrouvant à leur tour en grande difficulté. Avec des salaires à peine plus élevés que le SMIC, un éducateur spécialisé débutant gagne 1 477 euro net par mois, ce sont des « travailleurs pauvres » qui doivent venir en aide à des publics fragiles .
La pénurie est évidemment criante dans l’aide à domicile aux personnes âgées, où 50 000 postes sont vacants, et peut-être 200 000 d’ici la fin de la décennie, selon la Fédération du service aux particuliers ( FESP). « Nous sommes obligés de refuser environ 15% des nouvelles demandes de prises en charges, les familles ne savent plus à qui s’adresser » explique Olivier Lebouché, président des agences Petit-Fils, réseau privé d’aide à domicile. Il n’y a qu’un pas pour pousser la réflexion un peu plus loin, faudra t’il nous résoudre à quitter nos emplois pour devenir des « aidants familiaux » ?
Est-ce que cette régression sociale d’envergure, bien loin de la philosophie d’Ambroise Croizat, mais si proche du slogan Travail – Famille – Patrie ne doit pas nous alerter ? En nous poussant ainsi à une sorte de chantage affectif, moral, ce gouvernement fait d’une pierre plusieurs coups, car chaque régression sociale impacte d’abord et toujours les femmes, qui n’auront que le choix de redevenir les gardiennes du foyer, à moindre coût, et cela règlera également une partie de départs à la retraite.
La crise du Covid a remis au centre l’importance de la reconnaissance : ce mot revient comme un leitmotiv, presque toujours accompagné du mot épuisement. « On se sent dévalorisées. Cela va plus loin que l’argent. On veut l’égalité. On veut être reconnues pour notre travail » entendait-on dans les différentes manifestations lorsque les salariées du médico-social se sont battues pour la prime Ségur. Le malaise dans ces professions du « care », s’il n’est pas nouveau, a gagné en intensité après la crise engendrée par le COVID 19 : «Lors des confinements, chacun s’est impliqué, on a inventé, quel que soit son service. Mais on n’a pas fait partie des professionnels prioritaires pour l’accès aux masques. « On a pas parlé de nous à la télé. » déplore David Souchet, directeur de l’association sociale Le Relais, qui intervient dans le Cher et dans la Nièvre.
Ces salariés qui, il faut le souligner ne représentent pas une majorité de syndiqués, sont peu militants, peu présents dans les revendications, ont manifesté à de nombreuses reprises, déçus et en colère après les premières conclusions du Ségur de la santé. Leurs revendications plurielles sont les salaires insuffisants, les conditions de travail déplorables, les manques d’effectifs et d’attractivité de la profession. Ces revendications ont un sens qui doit nous obliger à une rigueur tout d’abord analytique, avec une réponse politique en direction de toute la population.
Le médico-social est une pierre angulaire de l’action sociale dans tout le pays, un exemple en Europe, dans le monde. Elle s’adresse en direction de tout ceux qui en ont besoin, sans aucune distinction. Or, comment faire du travail de qualité auprès de ceux qui n’ont pas d’autre choix que de compter sur nous, lorsque nous mêmes sommes fragilisés, et en grande difficulté, y compris parfois psychologique. Pourtant, cette exigence de travail de qualité, nous l’avons, nous la revendiquons. Nous avons passé un concours, suivi une formation théorique, pratiqué des stages (pas toujours rémunérés), passé un diplôme d’État, accepté des contrats sans cesse renouvelés, avant d’être dans une situation administrative plus pérenne (la moyenne aujourd’hui est de 7 ans), et nous assistons à une méthodique dégradation des dispositifs, face à une demande qui ne cesse d’augmenter.
Notre quotidien, c’est de faire face à la misère économique, sociale, humaine, avec un devoir moral de trouver des solutions à tout (logement, emploi, santé, précarité etc). Nous avons besoin de donner du sens à notre travail. Cette exigence du sens, j’en donne un exemple : dans le secteur de l’aide aux enfants en danger, les listes d’attente s’allongent : lorsqu’un juge ordonne une mesure éducative pour un mineur, celle-ci ne peut pas être exécutée avant des mois, faute de professionnels. Comment faire, quand nous envoyons des signalements au Procureur, en sachant que rien ne sera mis en place avant des mois pour protéger ce mineur ? Nos missions sont juste bafouées, faute de moyens, dans la temporalité qui s’impose.
A la non reconnaissance, s’ajoutent le sentiment d’impuissance, et la non assistance à personne en danger. Ne nous étonnons pas si les démissions explosent, il en va parfois de sauvegarder notre santé mentale. Oui, le médico-social est la pierre angulaire du système social français, toutes les institutions pèsent et attendent que ces structures nous soulagent. Que ce soit la justice, l’hôpital, l’éducation nationale, les services sociaux de secteur… C’est l’effet domino des carences institutionnelles qui vident le médico-social, qui enlèvent doucement mais sûrement la perfusion qui lui permet de rester en vie.
Dans ce contexte d’effondrement de l’ensemble de nos services publics, les médias se font et se feront le relai des faits divers, mettant en cause des individus, mais certainement pas le système. C’est pourquoi il nous faut engager dès à présent une campagne nationale pour rassembler sur ce sujet, qui touche chaque famille, fédérer les salariés, leurs organisations syndicales, les bénéficiaires, les associations de famille, en nous appuyant sur nos parlementaires et nos élus, sur le thème de la création d’un service public de l’action sociale et médico-sociale.
« Dans la vie, il n’y a pas de solutions, il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent ? » Antoine de Saint – Exupéry