© Photo de Michel Limousin. Henri Gauquié "L'humanité recueillant les victimes du travail"

L’Accord National Interprofessionnel portant sur la branche AT MP

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Résumé :
L’auteur analyse en détail le dernier accord interprofessionnel de mai 2023 portant sur la branche AT MP de la Sécurité sociale. Le texte est clairement orienté vers le démantèlement de la sécurité sociale sans apporter de réponses aux problèmes de la santé des salariés. Les propositions verbeuses et sans contenu réel ne sont accompagnées d’aucun moyen réel. Les cotisations des employeurs ne bougeront pas. Au contraire, des demandes d’aides aux entreprises seront demandées.

Abstract :
The author analyzes in detail the latest inter-professional agreement of May 2023 relating to the AT MP branch of Social Security. The text is clearly oriented towards the dismantling of Social security without providing answers to the health problems of employees. Wordy proposals without real content are not accompanied by any real means. Employer contributions will not change. On the contrary, requests for aid to businesses will be requested.

On trouvera à la fin de l’article un glossaire expliquant tous les sigles.

Le 15 mai 2023 et à la suite de longues négociations, un Accord National Interprofessionnel portant sur la branche AT MP était proposé à la signature des organisations syndicales. Devant l’espoir de quelques avancées, très modestes et qui restent à confirmer, la CGT apposait sa signature. Pourtant, le texte est clairement orienté vers le démantèlement de la sécurité sociale sans apporter de réponses aux problèmes de la santé des salariés.

Dès le préambule le ton est donné : dès la deuxième ligne il s’agit de s’occuper de l’intérêt des entreprises. L’intérêt pour le patronat de la règlementation sur les AT MP est d’éviter de démontrer la responsabilité de l’employeur, en échange d’une solution rapide et forfaitaire, comme le souligne le texte. C’est le résultat du compromis de 1898 qui entérine la première déresponsabilisation des employeurs.

Le texte précise que « les partenaires sociaux ont identifié des difficultés et parfois des dysfonctionnements » mais lesquels ? Rien n’est dit si ce n’est la référence aux ANI de 2006 et 2007 qui « n’ont été que partiellement suivis d’effet ».

Pour les risques professionnels (RP), cet accord renvoie à l’ANI de décembre 2020 (pour une prévention renforcée) mais quels ont été les résultats : les CHSCT ont été supprimés, les SSTI (services de santé au travail devenus depuis services de prévention et de santé au travail) ont vu leurs missions diluées et ils manquent de moyens. Après de si bons débuts, le patronat qui dirige la manœuvre depuis des décennies, décide de s’attaquer à la branche AT MP.

Le constat déployé par l’accord est le suivant :

  • Pour la branche AT MP la prévention reste le parent pauvre avec tous les défauts possibles : manque de moyens financiers et humains, problèmes d’organisation,
  • Réparation insuffisante et insatisfaisante
  • Gouvernance pas en cohérence avec les autres branches : on y est, le but apparaît ! le démantèlement de la Sécurité sociale se poursuit.

Les partenaires « doivent assumer pleinement leurs responsabilités » ce qui veut dire : donnez-nous les clés nous allons faire mieux ! Les employeurs ne veulent pas que les excédents de la branche AT MP partent à la caisse maladie (mais ne disent rien des surcoûts de celle-ci par les AT et MP non déclarés) ; ils veulent les redistribuer en aides aux entreprises, sans contrôle.

Prévention des risques professionnels : un axe fort

L’accord prétend que « les partenaires sociaux se sont investis depuis plusieurs années dans la prévention primaire, la prévention de la désinsertion professionnelle (PDP), le maintien en emploi, la prévention de l’usure professionnelle » ; on peut constater l’absence, dans la liste, de la santé des salariés : aucun bilan mais c’est jugé insuffisant. Donc l’accord se propose de faire mieux par la prévention et « une démarche active de progrès continu ».

Dès la page 6, les signataires entérinent la main mise sur la future branche ATMP !

  1. Positionner la branche comme acteur de prévention primaire

            a)   Acteur essentiel pour identifier en amont :

La plupart des risques sont déjà identifiés mais le plus souvent niés par les employeurs. Suivent 5 objectifs pour améliorer la connaissance (!). Accidents mortels : à quoi sert d’avoir des chiffres plus précis, va-t-on attendre d’atteindre un quota, y a-t-il un nombre de morts acceptable ? Ces objectifs sont des diversions qui n’apportent rien. Chaque AT mortel devrait entrainer une mobilisation de tout le système pour qu’il ne puisse se reproduire ! La mobilisation de l’INRS impliquera une mise sous tutelle par la branche que les employeurs prévoient d’avoir à leur main. Les données collectées devront « être utiles aux entreprises et aux branches professionnelles » (1.4). La mise en place de programmes nationaux (aux moyens insuffisants) éloigne du terrain et du travail réel, c’est une prévention hors sol, désincarnée. TMS Pro s’arrête au milieu de l’année par manque de moyens, le risque chimique voit sa prévention et sa réparation désarmée par la suppression des attestations individuelles d’exposition, les RPS (si mal nommés risques psycho-sociaux, qui sont en fait les risques de décompensations psychiques liées aux conditions de travail) sont combattues à coup de QVCT (ou qualité de vie et des conditions de travail : il faut être poli, dire bonjour, du blabla infantilisant) alors que la cause est connue : c’est la recherche de rentabilité.

            b) La branche et son réseau CTR/CTN et CARSAT/CRAMIF/CGSS

Les CTR et CTN sont à la main des employeurs et servent d’appui. Les contrôleurs et ingénieurs CARSAT (dont le nombre diminue) deviennent les VRP de la branche. La prévention se fait à coup de distribution de prospectus ! Les entreprises deviennent les clients de la branche qui doit déployer une offre de service (1.8) en insistant sur la PDP. Pas de contrainte ; il faut simplement montrer de bons exemples et tous les employeurs les mettront en œuvre ! Alors que la seule prévention réellement primaire consiste à améliorer les conditions de travail non pas des seniors, mais dès l’apprentissage !  Et surtout les aides aux entreprises. La branche mènera des actions sur les risques prioritaires (les autres ?). (1.9) toujours QVCT contre RPS ; la santé publique (sortie du contexte du travail elle envahit la santé au travail). Il y a confusion des concepts de santé publique et de santé au travail, confusion entretenue mais qui est fondamentale et permet tous les glissements de missions. La santé au travail est contenue dans la santé publique, elle en est un des éléments ; faire du sevrage tabagique n’est pas obligatoirement de la santé au travail, cela le devient si le lien entre la consommation de tabac et les conditions de travail sont interrogées. Sans cela, faire du sevrage tabagique ne sert que de diversion pour ne pas parler du travail et si besoin faire porter la responsabilité de la maladie au salarié lui-même (comme ce fut le cas pour l’amiante).

Ces objectifs sont mis en œuvre à partir de conventions c’est-à-dire sans contrainte.

2   Développer des actions vers les entreprises en faveur de la protection des salariés

La baguette magique est la mise en place d’une culture de prévention toujours sans contrainte et diluant la responsabilité qui doit être exclusivement celle de l’employeur dans la protection de la santé des salariés.

(1.11) : la responsabilité de l’employeur dans la traçabilité des expositions est diluée dans la branche. Les 5 objectifs de cette partie ne sont que des phrases creuses (au mieux) ou contraire à la réalité (augmentation des moyens humains, appel au CSE et CSSCT quand il y en a alors qu’elles n’ont plus suffisamment de moyens). Appel à la diffusion des bonnes pratiques, c’est-à-dire des actions descendantes, la plupart du temps sans impact. Seul l’objectif. (1.14) est clair : augmenter les incitations financières, c’est-à-dire payer les employeurs pour qu’ils prennent mieux en compte …. leurs responsabilités. Le dernier point laisse entrevoir l’idée à terme du remplacement de la tarification AT MP par des aides financières (il faut être positif !). Le (1.15) fait sourire (ou pleurer) quand on rapproche la réforme des bac pro avec la formation aux risques professionnels par l’éducation nationale ! On supprime des heures de cours et on rallonge les contenus !

3   L’usure professionnelle, la PDP et le maintien dans l’emploi

L’usure professionnelle bénéficie d’une attention particulière. L’usure professionnelle est ce « qui endommage les capacités à réaliser le travail », à croire que ça n’a pas d’impact sur la vie domestique et personnelle !

            a)   prévention de l’usure professionnelle.

L’accord prévoit deux objectifs : renforcer la prévention de l’usure (1.16) et améliorer l’accès à des mesures spécifiques (1.17) ; il faut comprendre des mesures d’accompagnement à la sortie de l’emploi ! En réalité la prise en compte de l’usure ne peut passer que par l’arrêt de l’exposition. Tout le texte n’est que verbiage pour mettre le salarié au même niveau que l’employeur devant la responsabilité face aux risques professionnels (« renforcer les compétences tant des salariés que des employeurs dans la gestion des risques »). Le seul moyen clair c’est l’éviction du poste avec le compte professionnel de formation (qui est insuffisant en général pour changer de métier) et la retraite pour incapacité permanente (donc avec des trimestres rognés). Le maintien dans l’emploi a ses limites, c’est bon pour la théorie mais pas lorsque le salarié est cassé !

            b)   déploiement national des actions PDP et maintien en emploi

Là encore deux objectifs : coordonner les acteurs avec des réunions entre personnel médical et non médical (1.18) d’où risque de rupture du secret médical (cellules PDP), la visite de mi-carrière qui est totalement creuse, les aménagements de poste qui ne se font que très rarement (c’est déjà une obligation dans le code du travail). Le dernier objectif (1.19) prévoit la mise en place d’une plateforme de PDP pour faire connaître les outils alors que les services publics de l’emploi qui devraient tenir ce rôle sont exsangues et en cours d’anéantissement.

La réparation : le second enjeu de cet accord

  1. L’attachement des partenaires au compromis social est réaffirmé.

Affirmation de principe sans préciser les principes. Le maintien en emploi passe en premier avant les problèmes d’accès aux droits. « Donner la priorité à la restitution de la capacité de gain et au retour en emploi », la vie en dehors du travail n’existe pas.

2. Mais des évolutions sont nécessaires pour un système juste et pour éviter la judiciarisation. Il faut toujours se méfier des bons sentiments exprimés dans des phrases creuses, ils ressemblent au loup du petit chaperon rouge.

            a)   agir pour une juste réparation

L’accord tente un rapprochement entre incapacité (qui indemnise les AT MP avec les cotisations payées par les entreprises et pas par les employeurs personnellement !) et invalidité (qui est une pension versée à partir des cotisations versées par les salariés et les entreprises dans le cadre d’une maladie). A terme ne va-t-on pas vers une fusion des 2 systèmes – professionnel et non professionnel – dans le but de noyer ce qui revient au risque professionnel ?

            b)   améliorer la capacité de travail et de gain

Une révision des barèmes est prévue par l’accord selon une méthode non précisée. La révision des tableaux des MP fait craindre le pire ! L’essentiel est de remettre les gens au travail pour faire baisser « l’incidence professionnelle » de l’indemnisation (2.3). L’objectif (2.4) est cosmétique et ne prévoit que des miettes concrètement.

            c)   mieux former les professionnels de santé

Rien de concret ; « s’assurer du bon suivi des visites d’information et de prévention » mais ça n’a jamais empêché ni les accidents ni les expositions aux risques ; le but est de reporter sur les personnels de santé la responsabilité des atteintes à la santé, alors que la pénurie de médecins ne permet pas de réaliser les visites règlementaires. Il est question de former les médecins pour rédiger les certificats médicaux initiaux (CMI) qui devraient établir le lien entre le travail et la maladie ; mais si le certificat affirme ce lien, il est contesté devant le conseil de l’ordre des médecins par les employeurs (nombreuses affaires en cours) qui se sont saisi de l’ajout d’un terme (« notamment ») dans la liste des personnes qui peuvent saisir le CO. C’est un problème grave qui mérite une réflexion à lui seul.

            d)   informer les salariés sur leurs droits et devoirs en cas d’AT MP

Il s’agit de développer les campagnes d’information (mais seulement sur internet). Favoriser le recours amiable (pour contrer les décisions du CRRMP qui, pourtant, donne peu de réponses positives aux demandes de reconnaissance des MP).

            e)   améliorer le dispositif de reconnaissance des MP

Accélérer la révision des tableaux (qui ont abouti à diminuer les MP reconnues en rendant les critères plus restrictifs : on a soigné les statistiques mais pas les salariés). Une seule mesure, très cosmétique : l’abaissement de 25 à 20% du taux d’incapacité pour avoir accès au CRRMP ; et encore un bilan des conséquences devra être fait ! Le rôle clé du médecin conseil est affirmé : il en manque partout !

La gouvernance

Le projet de démantèlement de la Sécurité sociale se dévoile discrètement. A partir d’une caisse unique en 1946, la création de la caisse AT MP en 1967 a été la première pierre de ce démantèlement. Le patronat a de la suite dans les idées !

  1. affirmer l’identité de la branche AT MP : le texte propose une délégation de gestion (donc autonomie).
  2. une gouvernance de la branche à redéfinir pour assurer son autonomie et ses missions (au moins c’est clair, ce n’est ni plus ni moins que l’amorce d’une  branche supplémentaire !)

            a)  évolution de la commission AT MP en CA paritaire

Présidence bien entendue par les patrons et indépendance de la CNAM puisque les membres du CA ne siègent pas à la CNAM : c’est une prise en main directe pour pouvoir redistribuer l’argent aux entreprises.

            b) évolution des missions et prérogatives du CA

Le texte demande au législateur de mettre en œuvre sa feuille de route sans rien changer !

Les moyens

Les moyens sont d’emblée jugés insuffisants mais pas question d’augmenter les cotisations ; il s’agit de récupérer la « part des excédents et des réserves » de la branche. On fait miroiter des embauches et la nécessité de 100 millions supplémentaires (il n’est pas dit que ce sera fait, il n’y a pas d’engagement). Et on boucle le tour avec l’augmentation des aides aux entreprises

Et pour terminer, ils demandent que le législateur fasse « une transposition fidèle de l’accord »…

Glossaire :

ANIaccord national interprofessionnel
AT/MPaccident du travail/ maladie professionnelle
CAconseil d’administration
CARSAT/CRAMIF/CGSScaisse d’assurance retraite et de la santé au travail, caisse régionale d’assurance maladie d’Ile de France, caisse générale de sécurité sociale: les CARSAT et les CPAM sont les caisses de la sécurité sociale chargées respectivement des retraites et de la prévention et gestion des AT/MP; en Ile de France les deux caisses sont regroupées dans la CRAMIF; dans les DOM-TOM cette gestion est couverte par les CGSS
CHSCTcomité d’hygiène, sécurité et conditions de travail: instance supprimée, dont certaines prérogatives ont été intégrées dans les CSE
CMIcertificat médical initial: certificat médical permettant au salarié de demandé la reconnaissance en MP; il doit décrire les gestes et conditions de travail correspondant au tableau de MP correspondant
CNAM caisse nationale d’assurance maladie: caisse de la sécurité sociale qui prend en charge les dépenses de maladie; contrairement à la branche AT/MP qui est financée uniquement par les cotisations employeurs, la branche assurance maladie est financée par des cotisations employeur et salarié.
CNOM (CDOM)conseil de l’ordre des médecins (national ou départemental)
CRRMP ou C2RMPcommission régionale de reconnaissance des maladies professionnelles: appelée 2e voie de reconnaissance des MP, elle permet de solliciter la reconnaissance quand les conditions du tableau de MP ne sont pas entièrement remplies; les conditions sont assez restrictives.
CSEcomité social et économique
CSSCTcommission santé sécurité et conditions de travail
CTR/CTNcomité technique régional ou national
l’INRSinstitut national de recherche et sécurité pour la prévention des AT et MP: contrairement à la branche AT/MP qui est financée uniquement par les cotisations employeurs, la branche assurance maladie est financée par des cotisations employeur et salarié.
TPprestation complémentaire de recours à une tierce personne
PDPprévention de la désinsertion professionnelle
QVCTqualité de vie et des conditions de travail initialement QVT: les conditions de travail ont été rajoutées ultérieurement
RPrisques professionnels
RPSrisques psycho-sociaux
SSTI et SPSTIservices de santé au travail interentreprises (devenus services de santé et de prévention au travail inter-entreprise)
TMS Protroubles musculo squelettiques: action menée par les CARSAT auprès des entreprises pour la prévention des TMS