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La pédopsychiatrie: un accès et une offre de soins à réorganiser

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Résumé :
En mars 2023, saisie par le Parlement, la Cour des comptes a rendu un rapport intitulé : « La pédopsychiatrie. Un accès et une offre de soins à réorganiser ». L’enquête a été menée de façon sérieuse, à partir de l’audition de près de 280 personnes qualifiées, de toutes les Agences régionales de santé, de visites de quatre régions et de deux pays européens. Le constat est courageux et sans concession : il décrit la situation catastrophique de la Pédopsychiatrie, chiffres à l’appui ; il souligne les conséquences délétères, notamment pour les jeunes suicidaires, des délais de prise en charge et du manque de lits d’hospitalisation. En revanche, pusillanime, la Cour, prudente à l’égard du pouvoir en place, a édicté des recommandations très décevantes et en contradiction avec le constat dépeint. Nous montrons que l’application sans délai de mesures concrètes, comme la revitalisation des inter-secteurs de psychiatrie infanto-juvéniles, serait susceptible de sauver cette discipline.

Abstract :
In March 2023, when requested by Parliament, the Court of Auditors issued a report entitled: “Child psychiatry. Access and care provision to be reorganized.” The investigation was carried out seriously, based on the hearing of nearly 280 qualified people, from all the regional health agencies, and visits to four regions and two European countries. The observation is courageous and uncompromising: it describes the catastrophic situation of Child Psychiatry, with supporting figures; he highlights the harmful consequences, particularly for young suicidal people, of delays in treatment and lack of hospital beds. On the other hand, the pusillanimous Court, cautious with regard to the powers in place, issued very disappointing recommendations that contradicted the findings depicted. We show that the immediate application of concrete measures, such as the revitalization of the inter-sectors of infant and juvenile psychiatry, would be likely to save this discipline.

Lors d’une conférence de presse le 21 mars 2023, Pierre Moscovici, Premier Président de la Cour des comptes, a présenté les grandes lignes d’un rapport de cette honorable institution sur la Pédopsychiatrie, s’intitulant : «  Un accès et une offre de soins à réorganiser ».

En octobre 2022, c’est la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale qui avait saisi la Cour d’une demande d’enquête portant sur la pédopsychiatrie. La Caisse nationale d’assurance maladie, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, les différentes agences sanitaires, les directions concernées de l’éducation nationale, les représentants des ordinaux (Conseil national de l’ordre des médecins), professionnels et syndicaux, les fédérations hospitalières, la Haut conseil de la santé publique, des associations de patients, des professionnels du champ (médecins et psychologues) ont été sollicités. Toutes les Agences régionales de santé de métropole ont été auditionnées.  Quatre régions (Ile-de-France, Bretagne, Hauts-de-France et Provence Alpes Côte-d’Azur) et deux pays (la Suède et la Belgique) ont été visités.

Au total, les rapporteurs ont conduit une centaine d’entretiens et entendu presque 280 personnes. Pour les citoyens qui ont suivi depuis des décennies la situation de plus en plus catastrophique de la pédopsychiatrie, comme celle de la psychiatrie adulte, ce rapport ne révèle guère d’élément méconnu et ne fait que confirmer, chiffres à l’appui, l’ampleur du désastre.    

Tout en résumant ce texte de 140 pages et en détaillant les 9 recommandations édictées par les magistrats de la rue Cambon, nous montrerons les limites de cette étude. Aussi, dans le texte, les passages en italique feront apparaître les prises de position des professionnels, des associations de familles et de patients, des syndicalistes, des politiques ; je soulignerai également les contradictions que j’ai pu noter.

Dans son constat, ce rapport, il est bon de le souligner, est sérieux, pertinent et sans concession ; néanmoins, quant aux recommandations prescrites, il manque d’audace et, pusillanime, ne propose aucune perspective réellement innovante. Il faut dire que la Cour se contente de ne pas réclamer de baisse des dépenses publiques – ce qui est effectivement remarquable pour cette institution. En revanche, elle n’envisage aucune remise en cause du mode de financement de la pédopsychiatrie, pourtant notoirement insuffisant et, ce, depuis des années. Des mesures concrètes auraient pu être proposées. Mises en œuvre à court et moyen terme,  elles auraient été susceptibles d’apporter assistance et réconfort aux jeunes patients et à leurs familles. Elles auraient permis, également, de restaurer rapidement et durablement dignité, efficacité et humanité à cette discipline et à ses acteurs. Ces mesures, nous les évoquerons.

Dans son introduction, le rapport souligne l’intérêt de la prévention et des prises en charge précoces des troubles psychiques des jeunes, puisque 35% des pathologies psychiatriques adultes débuteraient avant 14 ans, 48% avant 18 ans et 62,5% avant 25 ans. Il est rappelé qu’au 1er janvier 2023 la France comptait plus de 14 millions de jeunes de moins de 18 ans, soit 21% delà population.

Le premier chapitre évoque une offre de soins mal adaptée aux besoins. Quels sont les besoins ? En 2019, une étude sérieuse menée par l’Institute of health metrics évaluation (IHME, université de Washington) estimait que 1,6 millions d’enfants et d’adolescents en France souffraient de troubles psychiques et que seulement la moitié d’entre eux recevaient des soins spécialisés, que ce soit en consultation, en hôpital de jour ou au cours d’hospitalisation à temps complet. La fréquence des troubles psychiques chez les enfants et les adolescents est élevée dans tous les pays industrialisés. La principale enquête qui permet de comparer la situation de la France avec celles des autres pays (50 pays d’Europe et d’Amérique du Nord) est menée tous les quatre ans sous l’égide de l’OMS Europe. Notre pays y occupait en 2018 une place moyenne en ce qui concerne les troubles autistiques, la schizophrénie, les troubles bipolaires, les consommations de substances (alcool, cannabis et autres substances), les troubles du comportement alimentaire (boulimie, anorexie), les troubles obsessionnels compulsifs. En revanche, pour d’autres pathologies telles que les troubles dépressifs, les formes d’anxiété (irritabilité, sentiment de nervosité) et les troubles du sommeil, la position de la France était médiocre. Ainsi, entre  2016 et 2021, le nombre de jeunes patients ayant recours aux urgences pour troubles psychiques, notamment pour des tentatives de suicide, avait augmenté de 65%.  A noter que ces données étaient antérieures à la survenue de la pandémie. D’ailleurs, au Sénat, une mission d’information au sujet de la psychiatrie des mineurs en France avait été créée le 16 novembre 2016.  Elle avait dressé le constat d’une grande difficulté de la discipline, qui traversait une double crise démographique et universitaire ne lui permettant pas de faire face à des besoins en évolution. Répondant aux invitations à « sauver la pédopsychiatrie », la mission d’information avait avancé alors cinquante-deux propositions.

Le rapport note une augmentation préoccupante des troubles psychiques de la jeunesse française depuis la crise Covid: anorexie, états dépressifs, troubles de l’humeur, crises suicidaires particulièrement entre 11 et 17 ans. Récemment, j’ai observé le profond désarroi d’un pédopsychiatre qui a dépisté les idées suicidaires obsédantes d’un adolescent. Il avait estimé la dangerosité du tableau clinique, mais n’a pas réussi, malgré tous ses efforts, à trouver une place dans un service hospitalier pour  mettre ce jeune à l’abri, lequel s’est suicidé. Cette effroyable situation n’est pas unique, hélas. Comme l’indique cette tribune  cosignée par plus de 700 professionnels du soin aux enfants et adolescents : « En France, en 2022, des enfants et adolescents meurent de souffrance psychique par manque de soins et de prise en compte sociétale »

En conclusion de ce premier chapitre, le rapport prétend que, même si des inégalités territoriales persistent, l’offre de soins spécialisée tant ambulatoire que hospitalière paraît bien calibrée. La plupart des témoignages de soignants démentent cette assertion : partout, on manque de structures ; certains territoires sont encore plus mal dotés que tous les autres. Ainsi, en Guyane, le taux de suicide des jeunes est huit fois plus élevé qu’en France métropolitaine, huit départements ne disposent d’aucun lit d’hospitalisation en pédopsychiatrie, les délais d’attente pour une prise en charge spécialisée peut avoisiner 18 mois à 2 ans dans nombre de territoires.

1e Recommandation de la Cour :

Dresser un état des lieux exhaustif de la situation épidémiologique des troubles psychiques chez les enfants et adolescents en France, en exploitant davantage les bases de données médico-administratives. Cet état des lieux devrait faire l’objet d’une actualisation au moins tous les dix ans.  Cette demande semble pertinente ; néanmoins, une contradiction apparaît : le rapport décrit la coexistence de quatre classifications des troubles mentaux, ce qui ne peut manquer de compliquer sa mise en œuvre, tout comme un autre phénomène souligné dans le texte : l’absence de stabilité des troubles chez les jeunes. Par ailleurs, la pénurie de professionnels rend cette recommandation bien difficile à appliquer.

Le deuxième chapitre aborde l’organisation des parcours de soins. Après avoir résumé ce chapitre, nous indiquerons les limites des recommandations édictées. Le constat ne relève qu’un seul point positif : la démographie des psychologues libéraux est en plein essor. En revanche, les critiques fusent: les acteurs de la prévention sont dispersés et peu coordonnés, les professionnels de ville (médecins généralistes et pédiatres) jouent de façon imparfaite leur rôle d’évaluation et d’orientation auprès des familles, les consultations effectuées par des pédopsychiatres libéraux sont en constante diminution, le recours aux urgences pallie l’absence de prise en charge précoce des jeunes en souffrance. La Cour regrette que les PMI ainsi que l’école ne remplissent plus leur mission de repérage des troubles psychiques. C’est méconnaître le contexte du délitement des services publics du fait des cures d’austérité qui leur ont été imposées. Les subventions allouées aux PMI par les départements baissent régulièrement. Les pédiatres partant en retraite ne sont pas remplacés ; à l’école, les infirmières scolaires, les psychologues et rééducateurs en réseaux d’éducation prioritaire sont débordés. Voilà la réalité du terrain.

Alors que les centres médico-psychologiques infanto-juvéniles (CMP-IJ) sont historiquement reconnus comme la porte d’entrée dans le parcours de soins, que la dépense publique en matière de pédopsychiatrie est concentrée sur le secteur public, leur activité n’est étudiée qu’en quatrième point, après les paragraphes consacrés aux professionnels libéraux. On indique que les CMP-IJ possèdent des moyens limités : moyens humains, manque de pédopsychiatres, d’orthophonistes, de psychomotriciens,  leur activité est donc saturée ; on déplore également la vétusté des locaux.

La Cour critique la prise en charge des patients dans les CMP-IJ. Du fait de l’état actuel de l’organisation des structures, une partie des jeunes suivis ne souffrent que de « troubles légers », au détriment de la prise en charge d’enfants affectés de troubles plus sévères. « Faute de gradation des soins et de structuration d’un parcours de soins progressifs, une part non négligeable des patients est suivie en pédopsychiatrie alors qu’ils relèvent de troubles légers. »

La solution, exercer un tri ? La pédopsychiatrie est confrontée à ce dilemme depuis des années. En effet, par manque de moyens pour répondre aux multiples sollicitations, les services doivent, malgré eux, réaliser un « tri » des patients, car ils ne peuvent pas répondre à toutes les demandes. Le retard de prise en charge entraîne une aggravation des troubles et un plus grand recours aux services d’urgences. Voyons ce qu’en pensent les soignants confrontés à ces difficultés : en novembre 2022, le collectif Pédopsy 93, qui regroupe l’ensemble des chefs de service de pédopsychiatrie et des médecins de centres médico-psychologiques de Seine-Saint-Denis, sonne l’alarme. « Qui prendre en soins lorsque l’on ne peut pas prendre tout le monde en soins ? Les enfants les plus gravement atteints, car ils n’ont pas d’autre lieu de soins que les nôtres ? Les adolescents suicidaires, car leurs vies sont menacées ? Les plus jeunes, car on aura plus de chances d’infléchir leur trajectoire développementale ? Les cas les plus « légers », car ils prendront moins de temps pour être soignés ? Bébés, enfants, ados ? Telles sont les questions auxquelles se heurtent chaque jour les soignants en pédopsychiatrie. Est-ce humain ? »

Quant aux hôpitaux de jour, la Cour juge hétérogènes les missions qui leur sont dévolues. Pour nombre de patients, la prise en charge paraît peu différente de celle offerte en établissement social et médico-social et comme le coût d’une journée d’hospitalisation est élevé, la Cour envisage que les patients soient accueillis plutôt en établissement social et médico-social avec un appui psychologique apporté par des équipes mobiles pédopsychiatriques. En ce qui concerne les hospitalisations à temps complet, les situations sont inadaptées. Manque de lits, hospitalisations de jeunes en service d’adultes (des agressions ont eu lieu).

La Cour recommande une plus grande implication des établissements privés à but lucratif, indiquant que le décret du 28 septembre 2022 relatif aux conditions d’implantation de l’activité de psychiatrie ouvre des autorisations par filière, notamment en pédopsychiatrie, incluant toutes les composantes de l’offre : urgences, prises en charge ambulatoires et hospitalisations.         

Pour garantir une prise en charge adaptée, le rapport envisage des réponses de proximité. Seraient ainsi créées des « maisons de l’enfant et de l’adolescent ». Actuellement, devraient ouvrir, fin 2023, à titre d’expérimentation pour trois ans, des « maisons de l’enfant et de la famille ». Elles pourraient à terme concerner aussi les jeunes de 11 à 18 ans. Sous forme de « guichet unique »,  l’un des points d’entrée dans le parcours de soins, elles orienteraient, si nécessaire, vers les CMP-IJ. Associant aussi bien les dispositifs existants (maisons des adolescents, centre médico-psycho-pédagogiques (CMPP), centres d’action médico-sociale précoces, PMI), mais aussi des maisons de santé privées regroupant des professionnels libéraux.

Des dispositifs préventifs pour éviter les hospitalisations sont à généraliser : équipes avancées de pédopsychiatrie dans les services d’urgence, équipes mobiles qui interviendraient au plus près du patient, à domicile, par exemple.

Les missions des CMP-IJ seraient d’intervenir en seconde intention, après intervention des maisons de l’enfant et de l’adolescent, d’assumer un rôle d’expertise sous forme d’une réponse téléphonique ou numérique aux demandes des professionnels de première ligne. Il paraît hasardeux de donner par téléphone ou courriel une réponse d’orientation ou de conseil. Une évaluation des pratiques de ce type par les secteurs qui expérimentent ce genre de dispositif sera particulièrement intéressante.

Regroupement des structures, et des équipes dans des lieux mieux adaptés, mieux dotés sous la responsabilité effective d’un pédopsychiatre au moins à temps partiel. En attendant cette transformation des CMP-IJ, des moyens ont été alloués (8 M€ par an pendant 3 ans pour l’embauche de personnels non médicaux pour réduire les délais d’attente).

Créer environ 360 lits pour hospitaliser des jeunes patients en requalifiant une partie des lits de service adultes.

A l’issue de ce deuxième chapitre, de nouvelles recommandations :

2e Recommandation de la Cour:

Renforcer la formation initiale et continue des praticiens ayant vocation à remplir les missions de médecin traitant de l’enfant (généralistes et pédiatres) en psychologie et psychiatrie infanto-juvénile, en particulier sur le plan du dépistage et de l’orientation. Les médecins généralistes en activité libérale sont de moins en moins nombreux et leur moyenne d’âge s’élève ; ainsi, 11% des familles n’ont plus de médecins généralistes. Quant aux pédiatres libéraux, leur démographie est  très préoccupante du fait du fort vieillissement de la profession ; le renouvellement n’est pas assuré par l’arrivée des jeunes générations, ce qui entraîne des difficultés d’accès aux soins. La pénurie de ces professionnels ne permet pas d’espérer qu’ils acquièrent, du fait de la charge professionnelle à laquelle ils sont soumis, les compétences qui feraient d’eux des intervenants de « première ligne ». Quant au nombre de pédopsychiatres en exercice libéral exclusivement réservé aux enfants et adolescents, il est de moins de 100 pour toute la France. Il faudra des années pour que cette situation de la démographie médicale s’inverse.

3e Recommandation de la Cour :

Prendre appui sur les premiers constats des expérimentations des maisons de l’enfance et des familles pour les élargir aux adolescents, en lien avec les actuelles maisons des adolescents. Dans l’intervalle, continuer à renforcer, dans les territoires sous dotés, les moyens des CMP-IJ pour leur mission d’accueil et d’évaluation, dans le prolongement des mesures adoptées fin 2022. Dans le chapitre précédent, les parcours de soins étaient jugés peu lisibles et il serait question d’ajouter un dispositif supplémentaire? Alors que le secteur infanto-juvénile est bien décrit au début du chapitre, il s’effacerait et serait de deuxième recours ? Les moyens financiers et humains qui, depuis des années, lui font défaut, voilà la cause de ses difficultés récurrentes.

Non, face au désastre constaté, c’est la pédopsychiatrie de secteur qui doit redevenir la solution la plus efficace et la moins coûteuse. Elle a montré, lorsqu’elle était soutenue par nos gouvernants, qu’elle pouvait offrir des solutions proches des familles à la plupart des souffrances psychiques des enfants. Son abandon progressif par les décideurs ne résulte pas de son obsolescence, mais de l’absence des moyens qui lui auraient permis de répondre de façon humaine, cohérente et démocratique à ses missions de service public.

4e Recommandation de la Cour :

Actualiser la norme de taux d’équipement indicatif standard par territoire pertinent (couvrant l’offre publique et privée) qui devrait notamment inclure une équipe de liaison en pédiatrie ou lits de crise (lits-portes), des équipes mobiles et des lits d’hospitalisation 16 à 25 ans et ouvrir les capacités d’accueil en établissement médico-social en aval de l’hôpital.

La privation de la prise en charge en pédopsychiatrie est en marche : le recours aux établissements privés à but lucratif incluant toutes les composantes de l’offre : urgences, prises en charge ambulatoires et hospitalisations. C’est d’autant plus étonnant que le rapport s’offusquait d’un taux de rentabilité pour ces établissements cinq fois supérieur au taux moyen des  cliniques privées de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie et regrettait l’absence de contrôle effectif des budgets par les ARS. Les maisons de santé sont recommandées, également, avec regroupement de professionnels libéraux. Dans certaines maisons de santé (à distinguer des centres de santé),  les dépassements d’honoraires plus ou moins bien pris en charge représentent un obstacle pour les familles modestes. Quant à recourir à l’accueil en établissement médico-social en aval de l’hôpital, c’est une gageure ; les sages ne semblent pas apprécier la réalité du terrain : le secteur des établissements médico-sociaux accueillant des enfants (IME, ITEP, SESSAD) se trouve particulièrement en tension. Le délai d’obtention d’une place varie selon les régions, de l’ordre de plusieurs mois à quelques années. Ainsi, nombre de sénateurs ont interpellé à ce sujet en 2022, le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées : Madame Bonnefoy (sénatrice de Charente), Monsieur Maury (sénateur de l’Eure). Quant à Madame Brulin (sénatrice de Seine Maritime), elle attirait l’attention sur la situation du secteur médico-social qui perd depuis plusieurs années son attractivité et subit désormais une véritable hémorragie de ses ressources et de ses compétences. 30% de l’effectif serait vacant dans certains établissements. La Cour ignore-t-elle que des Pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE) ont été mis en place pour venir en aide au grand nombre de familles qui sont dans l’attente d’une place dans un établissement ? Et ce qui est stupéfiant, c’est que le PCPE conseille aux parents de mettre en place des interventions au sein d’un CMP, un CMPP ou en libéral (orthophoniste, psychomotricien ou psychologue) ces derniers seraient rémunérés directement par les parents ?

Le troisième chapitre aborde la gouvernance actuelle.

L’effort gouvernemental accompli depuis 2018 pour renforcer l’accès à l’offre de soins psychiques infanto-juvénile est salué par la Cour. Mais elle critique l’empilement de plans peu lisibles ; il manque une priorisation, un calendrier clair avec des étapes annuelles et pluriannuelles, quelques objectifs précis et une méthode de pilotage plus affirmée.

La mise en place d’un délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie a permis de faire connaître  la politique poursuivie, mais son rôle et sa place doivent être affirmés. Une position interministérielle améliorerait l’efficacité du suivi de la politique de l’offre de soins.        

Les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) élaborés récemment ne prennent pas assez en compte la pédopsychiatrie. Il est nécessaire de faire de la santé mentale infanto-juvénile un objectif à part entière de tous les PTSM. Selon leur territoire d’application, les actions définies par les PTSM peuvent être déclinées au sein des conseils locaux de santé mentale. La Cour admet que la réforme issue de la loi de financement de la sécurité sociale de 2020 présente des limites puisqu’elle ne permet pas d’adapter les financements de la pédopsychiatrie à l’intensité des troubles et aux besoins des territoires. Pour revitaliser la pédopsychiatrie, il faut valoriser le métier et les conditions de travail des praticiens. Les psychologues doivent être mieux intégrés dans le parcours de santé. La fonction d’infirmiers de pratique avancée tant en libéral qu’en établissement doit être clarifiée. Tout comme les psychologues, ils peuvent contribuer à alléger la pression sur l’offre de soins.

5e Recommandation de la Cour :

Adopter des « Objectifs nationaux de santé mentale infanto-juvénile » associés à un calendrier précis et des indicateurs permettant une évaluation de la politique d’organisation des soins de pédopsychiatrie. Il s’agit d’un vœu pieux si le financement ne suit pas…

6e Recommandation de la Cour :

L’actuel délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie serait dénommé ainsi : « Délégué interministériel à la santé mentale, à la psychiatrie et à la pédopsychiatrie » afin d’identifier la pédopsychiatrie explicitement et de renforcer sa position interministérielle. C’est la nomination d’un délégué interministériel dédié à la seule pédopsychiatrie qui permettrait d’identifier explicitement la discipline. Que le même acteur endosse les deux rôles, c’est à l’évidence, le cantonner au rôle de porte-parole du ministre. 

7e Recommandation de la Cour :

Intégrer au projet territorial de santé mentale (PTSM) un volet pour la psychiatrie infanto-juvénile et prévoir des objectifs chiffrés, un calendrier de mises en œuvre des actions prévues et des indicateurs d’évaluation périodique. Comment réaliser ce PTSM, quand, malgré l’émergence des besoins, le financement de la psychiatrie publique a évolué 2 fois moins vite que l’Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie hospitalier global et 4 fois moins vite que celui des établissements privés lucratifs ? Cet ONDAM est fixé chaque année par la loi de financement de la Sécurité Sociale et voté au Parlement.

8e Recommandation de la Cour :

Mettre en œuvre une politique d’attractivité renforcée de la pédopsychiatrie en valorisant davantage les parcours hospitalo-universitaires et en soutenant la recherche française dans la discipline. A cet effet, doubler le nombre d’étudiants formés à la pédopsychiatrie et augmenter les recrutements de MCU-PH  (maître de conférence des universités, praticiens hospitaliers)

Ces mesures sont appréciables, mais ne visent ni le court ni le moyen terme. Une mesure concrète pourrait être appliquée dès maintenant pour rendre la discipline plus attractive. Le rapport a souligné l’existence de la pédopsychiatrie de ville qui reçoit 140 000 enfants et adolescents sur les 800 000 qui parviennent à accéder à des soins. Mais pourtant aucune recommandation n’a été élaborée pour soutenir l’exercice en ville. Rappelant que les psychiatres libéraux ont les revenus parmi les plus bas des médecins spécialistes – malgré une durée d’études identique (10 ans désormais) – le rapport « oublie » de préciser que tout est fait pour dissuader les psychiatres de recevoir des enfants, à commencer par la rémunération désincitative. Dans la récente proposition de Convention médicale, Thomas Fatôme proposait une augmentation des honoraires des psychiatres, en échange d’une augmentation d’activité. Il avait donc bien en tête que la rémunération est un levier incitatif pour orienter une politique de santé publique. Mais les psychiatres de ville ont fermement refusé ce contrat conditionné à une perte de qualité des soins : en psychiatrie, le temps est indispensable et nous sommes bien placés pour savoir que la perte du sens du métier est le premier pas vers la démotivation professionnelle, voire le burn-out. Beaucoup ont quitté l’hôpital pour rester en accord avec leur conception du soin. On ne soigne pas en psychiatrie avec des rendez-vous courts et espacés dans le temps. L’appât du gain n’est pas un levier convaincant face à la perte du sens du métier. Cependant, la dévalorisation financière peut avoir raison d’une pratique médicale. Or les consultations de pédopsychiatrie sont encore moins rémunératrices que les consultations de psychiatrie adulte, en raison d’une durée plus longue, sans compter le temps de travail administratif et de coordination avec différents intervenants paramédicaux et scolaires…. travail non rémunéré. Elles se font le plus souvent avec un temps pour l’enfant, et un temps avec les parents… pour des honoraires identiques à une consultation de psychiatrie adulte bien plus courte. Pour travailler en pédopsychiatrie en ville, il faut donc accepter de réduire ses revenus d’au moins 25%. Au total, la pédopsychiatrie est le « parent pauvre » de la psychiatrie, elle-même « parent pauvre » de la médecine. Et on s’étonne que les psychiatres « compétents » en pédopsychiatrie soient 42,5 % de moins qu’en 2012 !

Et pourtant, les honoraires des psychiatres de ville ne représentent que 1% des dépenses publiques en pédopsychiatrie. Le rapport qualifie ce coût de « modeste ». La revalorisation ne changerait rien dans les équilibres financiers. Je laisse la parole au Syndicat National des Psychiatres Privés qui a toujours œuvré dans l’intérêt de la profession sans oublier l’intérêt des patients.  Ses membres pratiquent des honoraires strictement conventionnés de secteur 1 ou bien pratiquent de faibles dépassements d’honoraires. 

Le Syndicat National des Psychiatres Privés rappelle :

      Qu’il existe un réseau de 6000 psychiatres de ville, dont une proportion significative est apte à recevoir des enfants et des adolescents. Beaucoup le font, mais réduisent cette activité au minimum.

      Les valorisations MPF et MP applicables aux actes de pédopsychiatrie… ne compensent pas la durée de consultation plus longue, et surtout ne s’appliquent que jusqu’à 16 ans, alors que c’est précisément l’âge où le risque suicidaire augmente !

     Nous demandons simplement la rémunération de la réalité des actes pratiqués : une consultation avec l’enfant suivie d’une consultation avec la famille, sans perte de revenus.

     La psychiatrie dans son ensemble souffre d’un défaut d’attractivité : des places restent disponibles chaque année pour les internes, c’est l’une des dernières spécialités choisies… et des moins rémunérées en exercice de ville.

Le SNPP appelle donc à trois mesures d’urgence à intégrer dans le règlement arbitral en cours d’élaboration, puis dans la future Convention :

1.   Augmentation du CNPSY pour toute consultation psychiatrique à 60 €, valeur de l’acte établie par la proposition de Convention médicale 2023, 

2.   Autoriser la facturation des actes correspondant à la réalité des pratiques : un acte pour l’enfant + un acte pour la consultation parentale = 2 CNPSY pour les consultations en 2 temps. (Certaines CPAM départementales l’acceptent déjà).

3.   Valoriser les actes de pédopsychiatrie en remplaçant les cotations MPF et MP actuelles par un MP global égal à ½ CNPSY applicable jusqu’à 26 ans (puisque l’accès direct au psychiatre n’est justement possible que jusqu’à cet âge pour favoriser l’accès aux soins à ces âges critiques).

 La Belgique, citée en exemple pour son organisation des soins, a franchi le pas d’une revalorisation franche des actes de pédopsychiatrie, et le SNPP est scandalisé que la Cour des Comptes ne cite cet exemple que pour l’organisation des soins, pas pour les revalorisations d’honoraires. Selon les chiffres du rapport, le surcoût serait minime, et une large part des demandes pourrait ainsi immédiatement trouver des réponses avec des suivis de qualité pour une large part des demandes, soulageant ainsi le service public. Les économies induites par une meilleure santé mentale des enfants et des adolescents pendant leur neurodéveloppement seraient largement à la hauteur.

9e Recommandation de la Cour :

Renforcer l’intervention des psychologues et des infirmiers de pratique avancée dans le parcours de soins pédopsychiatriques en complément des autres professionnels. Bien entendu, cette recommandation est pertinente. Cependant, le rapport a très peu évoqué l’intérêt de la pluridisciplinarité dans les soins infanto-juvéniles. Laissons le mot de la fin aux professionnels, membres de syndicats ou d’associations, qui, impliqués en tant que soignants de terrain, ont une connaissance fine de la situation. Que réclament-ils ?

  • Pour 200 000 habitants, un intersecteur de pédopsychiatrie : 3 CMP ou centres-médico-psychologiques, 2 CATTP ou centres d’accueil thérapeutique à temps partiel,  2 hôpitaux de jour et 2 unités de 10 lits d’hospitalisation complète.  Avec une équipe pluridisciplinaire : Infirmiers, pédopsychiatres, psychologues, cadres de santé de proximité, assistantes sociales, secrétaires, ASH, psychomotriciens, orthophonistes, éducateurs, un professeur des écoles. Selon la spécificité de la structure l’équipe est complétée par des aides soignants et autres professionnels.
  • Une organisation incluant d’emblée le médico-social (Centres Médico Psycho Pédagogiques ou CMPP)
  • L’abrogation du décret 2021-1255 du 29 septembre relatif à la réforme du financement des activités de psychiatrie qui favorise les thérapies brèves et non les traitements de fond
  • Refus du  morcellement des soins en plateformes « spécialisées » sur des symptômes
  • L’arrêt de la politique d’appels à projets et de missions qui met en concurrence les établissements et les services
  • Une formation spécifique pour les infirmiers et les médecins. Ces derniers sont trop souvent formés par les centres hospitalo-universitaires, au détriment des hôpitaux psychiatriques.

Au total, le changement de politique s’impose pour sauver le Pédopsychiatrie. Revitaliser les inter-secteurs de psychiatrie de l’enfant et l’adolescent, c’est la solution la plus efficace et la moins coûteuse pour redresser la situation catastrophique de la discipline. Des professionnels de ville travaillant en réseau, de façon éthique et responsable, trouveraient toute leur place dans ce modèle régénéré.