© Hush Naidoo Jade Photography (unsplash)

5 000 médecins menacés par le ministère de la santé en pleine pandémie.

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L’auteur montre la situation très précaire des médecins étrangers en France et comment ils sont exploités par le système hospitalier. De plus elle met en évidence la nouvelle réglementation qui risque de faire partir ces médecins pourtant indispensables. Elle cite de nombreux exemples.

 Abstract :

The author shows the very precarious situation of foreign doctors in France and how they are exploited by the hospital system. In addition, it highlights the new regulations that risk removing these essential doctors. She cites many examples.

En France, quelques 5000 praticiens étrangers attendent d’être intégrés au système de santé français. Malgré la promulgation de la loi en juillet 2019 le permettant, ces titulaires d’un diplôme délivré hors UE sont menacés d’exclusion à partir du 31 décembre 2022. Le syndicat SUPADHUE (Syndicat d’Union des Praticiens à Diplôme Hors Union Européenne) présidé par le Dr Brahim ZAZGAD, confesse son exaspération devant « l’application déloyale au niveau des directions d’hôpitaux, du décret n°2020-1017 du 7 août 2020.

 Ils exercent comme médecins, chirurgiens, pharmaciens dans les établissements français. Souvent dans des déserts médicaux où les services ne sont pas fermés grâce à eux, mais sur tout le territoire, y compris l’Ile de France. Maltraités par leur administration et sous-payés sous statut de « faisant fonction d’interne », « de stagiaire associé » ou de « praticien attaché ». Pas plus assurés de la pérennité de leur CDD que d’un déroulement de carrière. Leur dévouement et sacrifices (plusieurs décès rapportés) au cours de la crise sanitaire de la COVID-19 n’ont rien changé à leur destin.

 Un dispositif transitoire de régularisation a été introduit jusqu’en 2022 par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite « Ma santé 2022 » pour régulariser la situation de ces praticiens et de décrocher une autorisation d’exercice. Ce dispositif invite les 5000 « Padhue » à déposer à l’ARS, un dossier d’une centaine de pages retraçant leur carrière en France et dans leur pays d’origine. La commission régionale traite chaque dossier par spécialité et émet une proposition pour délivrer une autorisation d’exercice, ou rejette la demande, ou prescrit un parcours de consolidation des compétences. Puis la commission nationale statue sur les situations administratives des Padhue engagés dans ce processus. A noter qu’une procédure spéciale est accordée aux Padhue réfugiés politiques, apatrides, ou aux Français rapatriés.

 Une autre possibilité pour obtenir une autorisation d’exercice, est de passer un concours de vérification des connaissances (EVC), puis suivre un parcours de consolidation. Autre parcours du combattant, selon les années et pour exemple,  puisque seulement 2 postes en biologie médicale pour potentiellement 50 Padhue, 3 postes en rhumatologie pour 50 médecins, idem dans les autres spécialités comme la médecine générale, les urgences, la gynécologie, l’anesthésie-réanimation!!

 Le décret n°2020-1017 vient limiter le dispositif. Certains praticiens en sont exclus, tels les attachés de recherche clinique, ingénieur hospitalier, chargé de pharmacovigilance, inclus pourtant dans le décret de 2012. D’autres sont non éligibles à l’autorisation d’exercice, faute d’une prise de fonction avant le 1er juillet 2019. Aucun décret n’est envisagé par le Ministère de la Santé leur permettant de bénéficier d’une équivalence de diplôme. Actuellement, malgré l’urgence, aucune commission régionale ne semble accélérer la prise en charge des dossiers déposés. Le décret du 7 août 2020 a tout figé. Ce sont les commissions régionales qui suivent le dossier, « usines à gaz » rappelle le SNAPADHUE, des retards de traitement de dossiers délétères et sans représentants syndicaux contrairement aux commissions nationales. Les directions hospitalières n’auraient pas encore recensé les postes vacants… DGOS et ARS auraient demandé de les faire remonter avant fin 2021. Mais la commission nationale n’a que jusqu’au 31/12/2022 pour statuer sur leur sort… Aucun autre décret n’est envisagé par le ministère de la Santé permettant de bénéficier d’une équivalence de diplôme. Et qui dit, pas de contrat, dit, pas de renouvellement de la carte de séjour.

Le ministère de l’Intérieur avait mis aussi un dispositif de « Reconnaissance de l’engagement des ressortissants étrangers pendant l’état d’urgence de la COVID-19 », pour faciliter l’accès à la naturalisation, ce, jusqu’en juillet 2021. Là aussi, faute de contrat d’embauche de nos administrations hospitalières, nouvel espoir pour un nouvel échec.

 Nous sommes en présence d’un préjudice pour ces professionnels exploités de façon honteuse, plongés dans la précarité, menacés de ne plus pouvoir exercer et mettant en péril la continuité des soins de bon nombre de services, comme le prouve la fermeture estivale 2021 largement augmentée par rapport aux années précédentes des services et hôpitaux du territoire. « Non ce n’est pas possible de nous traiter de cette manière, après notre mobilisation pendant la pandémie de Covid-19 », Nafissa L, membre du syndicat des PADHUE ne décolère pas. Précarité, dans une file d’attente « à perpétuité ».

 Dans le même temps, l’hôpital public souffre de la désertion des professionnels de santé. Depuis les fermetures estivales, nombre de services ont dû prolonger les fermetures « temporaires » des lits par manque de médecins. Face au risque de paralysie de nombreux services hospitaliers, les directions recourent à l’intérim à un coût prohibitif (1170 € pour 24h) qui vient majorer l’insuffisance budgétaire de l’hôpital public. Les conditions de travail incitent les praticiens à fuir l’hôpital. Des horaires à rallonge qui dépasse le cadre européen des 48 h de travail hebdomadaires. Quant aux étudiants en médecine, ils se sont retrouvés au front, sans préparation aux situations d’urgence. L’Anemf (Association nationale des étudiants en médecine de France) alarme sur la dégradation de l’état de santé mentale des ¾ des étudiants en médecine, la précarisation. Des ravages de la crise sanitaire, certains ont perdu leur vocation. Question : entre les soignants non vaccinés suspendus d’exercice, les Padhues éloignés et l’hémorragie du personnel hospitalier, l’intention gouvernementale ne serait-elle pas le dernier coup de grâce de l’hôpital public et la remise en cause de l’accès aux soins ?

 « Les Padhue sont soupçonnés de ne pas avoir les compétences cliniques et académiques équivalentes à celles exigées par la validation au sein de l’Union européenne. Pourtant, ils ont souvent une longue expérience dans leur pays et en France, exercent en responsabilité, aux mêmes postes que leurs collègues français ou européens. C’est bien qu’ils sont opérationnels », explique Brahim Zazgad, psychiatre dans l’Aisne.

Dans un entretien  réalisé lors de la sortie du film « Hippocrate » en 2015, Thomas Lilti expliquait son choix de mettre en lumière la vie de ces FFI (faisant fonction d’interne). « Je voulais rendre hommage aux médecins étrangers, ils ont parfois 15 ans de plus que les autres internes. Ils sont soi-disant venus en France finir leur formation. Pure hypocrisie : on a besoin d’eux pour faire tourner les hôpitaux français. Quand vous êtes jeune médecin, à l’hôpital, et que vous êtes de garde la nuit, qui vous accompagne, vous le jeune blanc bec français interne ? Des médecins étrangers qui prennent les gardes et c’est là que l’on apprend ce qui n’existe pas dans les livres, le rapport à la mort, à la maladie, aux familles. Ils m’ont beaucoup appris, et aussi raconter l’hypocrisie de l’hôpital public qui fonctionne grâce aux médecins étrangers qui viennent pour se former en Français, qui restent car on a besoin d’eux et dont l’ascension dans la hiérarchie hospitalière est bloquée. Ils sont corvéables, mal-payés. C’est une délocalisation à l’envers. On ne peut pas délocaliser l’hôpital donc on fait venir du personnel médical. »

 Leurs projets de vie sont bien différents. Ils sont venus pour compléter leur connaissance, approfondir une spécialité. Pour quelques-uns, après des années d’exercice, le souhait est de rester en France. D’autres retourneront servir leur pays. Là où ils se ressemblent c’est le courage, la patience, l’obstination à réussir, l’abnégation dont ils font preuve.

 « J’ai commencé la médecine en 1973 en Algérie et je suis arrivé, diplômé en chirurgie, en 1987 en France comme FFI. Nous étions des seconds rôles, des soutiens de l’hôpital, mais on tenait la baraque. On était exploité : à l’époque on était payé 57 % de moins que les autres médecins. On vivait de gardes et de sales boulots », des humiliations qui se conjuguent au passé racontent d’anciens PADHUE qui ne se souviennent déjà plus de ce qu’ils ont traversé… et pourtant rien a changé pour la majorité d’entre eux « pris entre le marteau d’un oukase législatif et l’enclume de la déloyauté administrative ».

Myriam, 33 ans, tunisienne, pas d’enfant, diplômée en rhumatologie en 2018, travaille 1 an en libéral et arrive sous convention universitaire de Strasbourg qui la place à Pontoise. L’année en coûtera 18 600€. Le projet : avoir accès à l’échographie, aux molécules, tout ce qui est contenu dans les livres et qu’elle n’a pas pu pratiquer. En parallèle, elle fait un DU de rhumatologie pédiatrique en vue de retourner exercer chez elle cette spécialité qui n’existe pas en Tunisie. « A Pontoise en rhumatologie adulte, je me retrouve élève, pistée, je dois gagner la confiance y compris du personnel paramédical ». Covid oblige le concours EVC est annulé en novembre 2020». Myriam le passe en avril 2021, 3 postes pour 50 candidats, le rate d’un ½ point… ! 2 ans de stress, de pression, « on nous fait comprendre qu’on vient d’un pays pauvre, pour gagner plus en France, on est jugée, blessée. Je suis clinicienne, je n’ai pas eu accès à la technicité. Je suis venue pour enrichir mes connaissances ». Depuis septembre la direction refuse le renouvellement de contrat. Devoir retourner en Tunisie le 30 octobre, bredouille sans avoir pu assister à une seule consultation de rhumatologie enfant sur Necker, sans l’obtention de l’équivalence… Magie, le 20 octobre elle devient indispensable !

Djamel, 40 ans, cardiologue, algérien, pas d’enfant. En 2012, le projet initial : une formation complémentaire universitaire, mais retenu très vite en Vendée, désert médical. FFI pendant un an à 1 350€ mensuels. « il faut prouver qu’on est bon » –  PAA (praticien attaché associé) depuis 2014, 2 500€ et 7 gardes par mois à 200 € nets. Passe deux fois le concours, le manque de 0,5 points « mais on a que 3 chances ». « de par l’administration, on est sur un siège éjectable, juste pour palier au manque de médecin. La maltraitance existe, même de la part d’ancien padhue qui ont obtenu le sésame. Sursitaire, en prison. »

Sabrina, 30 ans, algérienne, 1 enfant, a suivi son mari : venir passer l’équivalence. Commence à Moulins, pas d’accueil, pas d’amitiés et depuis 2 ans en rhumato à St Germain à 1 400€, a passé le concours 1 fois, 20 candidats pour 4 postes. « C’est frustrant, quand des médecins européens qui viennent de l’est ont leur poste et qu’ils ne parlent même pas le français ».

Tarek, 30 ans, algérien, pharmacien biologiste, expérience internationale dans la recherche. En poste à Tulle et Bergerac et depuis novembre 2019, accueilli à La Pitié / Saint-Antoine, bonne ambiance, soutien de ses chefs de services, (PAA, 2 100 €) et environ 4 gardes par mois au laboratoire de biologie et biochimie. Epanoui mais exclu du dispositif en application du décret d’août 2020, « il me manque 2 mois d’exercice » !

Rayane, 33 ans, tunisienne, pas d’enfant, médecin généraliste exerce en 2017 en Tunisie dans des conditions extrêmement difficiles à l’hôpital public, 100 consultations par jour, pas d’accès à la technologie, elle emprunte 3 000 € pour venir en France, apprendre et développer son expérience. Un contrat lui était annoncé, et depuis mai 2018 reste « stagiaire » 1 400 € à Pontoise, 1 200 € net à Beaumont sur Oise déduction faite de son logement. La moitié de ce qu’elle gagne permet aussi les études de sa sœur en biologie en Italie, et de son frère en médecine en Russie. Elle suit un DU dans sa spécialité et s’inscrit pour le concours, 100 postes pour 1000 candidats. Pour finir le concours est annulé, Covid oblige. Les démarches en préfecture se compliquent du fait du contrat de « stagiaire ». « C’est difficile de ne pas pouvoir se projeter. On est mis à l’épreuve quotidiennement. On nous utilise. Regrette de ne pas avoir tenté sa chance en Allemagne, où tout est plus simple et mieux payé ».  Pour elle aussi, la direction médicale met la pression pour une fin de contrat au 30 octobre. Une adjointe des cadres à la direction médicale ira jusqu’à lui dire : « vous avez suffisamment utilisé le droit français » !! Tout s’écroule et comme Myriam, magie le 20 octobre, elle devient indispensable, en pédopsychiatrie, mais toujours stagiaire. Pas question de statut de PAA rémunéré 2 300 €…

Le SUPADHUE et l’UFMICT-CGT condamnent le manque de considération et de reconnaissance subi par ces praticiens, notamment leur exclusion du Ségur de la santé, et s’engagent à contacter les députés ayant fait la proposition de loi n°3268, visant à octroyer une autorisation d’exercice aux praticiens ayant participé à la lutte contre la Covid-19, afin d’appuyer cette initiative.

Souhaitons que cette proposition de loi recueille le soutien d’autres groupes parlementaires et des citoyens que nous sommes. Il est temps que ces praticiens soient reconnus et prennent leur place dans le système de santé français, d’autant que c’est crucial pour la survie de l’hôpital public. Vous pouvez signer la pétition : https://www.mesopinions.com/petition/sante/ reconnaissance-praticiens-diplome-unioneuropeenne/50535?