L’auteur dénonce le projet de la Caisse nationale d’Assurance maladie qui vise à supprimer la politique de secteur psychiatrique. Ce rapport a été publié au moment où la crise de la Covid 19 a provoqué une épidémie psychiatrique. Ces propositions s’intègrent dans une politique qui veut supprimer toute prise en charge psychothérapique au profit des théories comportementales. Il s’agit de réduire les dépenses de santé mentales.
Abstract :
The author denounces the plan of the National Health Insurance Fund which aims to suppress the psychiatric sector policy. This report was published as the Covid 19 crisis triggered a psychiatric epidemic. These proposals are part of a policy that wants to remove all psychotherapeutic care in favor of behavioral theories. It’s about reducing mental health spending.
La crise du Covid à mis en évidence le délabrement de notre dispositif public de santé, résultat de décennies de politiques de fermetures de services et d’hôpitaux. Il était, il y a encore peu, le meilleur du monde. Parallèlement la dégradation des conditions sociales et économiques, suite au Covid, a provoqué une « épidémie psychiatrique ». Là aussi le manque chronique de moyens de la psychiatrie publique de secteur à montré son incapacité à y répondre de manière satisfaisante. Rappelons que depuis les années 60 dans chaque territoire existe une équipe pluridisciplinaire chargée des soins psychiques de prévention, de cure et de postcure. Mais ses moyens n’ayant pas été revalorisés depuis les années 70, les secteurs[1] ont du opérer des tris successifs, renonçant à la prévention, puis excluant peu à peu les patients et les pathologies jugés les moins lourdes. Malgré cela, les consultations des CMP sont surchargées et imposent des délais d’attente insupportable pour un premier rendez vous. Par ailleurs, cela entretient dans l’esprit du public que ceux qui ont recours au CMP sont des « grands fous », alors que les troubles psychiques concernent 25% de la population.
Face à cela, la CNAM, dans un rapport[2], propose un plan de 1,005 milliard d’économies pour 2022.
Concernant la psychiatrie elle propose plusieurs axes. Il s’agit de « dessiner les contours des organisations à venir » en santé mentale. À aucun moment il n’est question de donner à la psychiatrie publique de secteur les moyens de ses missions. On va au contraire démanteler ce qui subsiste du secteur ! Le premier objectif serait de « favoriser la prévention, le dépistage et la promotion de la santé mentale ». Il s’agit de missions essentielles du secteur auxquelles il a fallut renoncer par manque de moyens. Pour y répondre on va préférer faire appel aux généralistes, à des plates formes numérisées ou encore au renforcement des psychologues libéraux dans les Maisons de Santé. Au lieu d’embaucher les psychologues dans le public, il est envisagé de rembourser les consultations des psychologues libéraux. Cela se ferait dans un premier temps pour les consultations des jeunes patients de 3 à 25 ans qui ont explosées durant cette crise.
Les plus petits présentent des retards graves du langage et des interactions relationnelles pouvant déboucher sur de l’autisme ou de la psychose. Et nombre d’adolescents, pour fuir ce monde qui leur parait tellement hostile, font des tentatives de suicides. Mais cela se ferait à condition que ces psychologues renoncent à toute psychothérapie et se forment aux techniques de conditionnement comportementales. La prise en charge n’étant limitée qu’à quelques séances, il s’agit avec un enrobage scientiste de revenir à la méthode « Coué ». Est-ce vraiment de cela qu’on besoin tous ces jeunes ?
Il s’agit d’accélérer « l’intégration dans les parcours de soins ». C’est ce qui est prévu depuis la Loi Touraine de 2015, la psychiatrie ne devant s’occuper que de la crise. Cela implique que la psychiatrie ne serait qu’une spécialité médicale comme les autres et que le suivi des patients stabilisés ne relèverait plus du CMP mais du médecin généraliste. C’est méconnaître que la plupart des patients suivis au long cours en CATTP sont stabilisés parce qu’ils bénéficient de cet étayage à la fois psychothérapique et socio-thérapique.
Le rapport prévoit également de réduire les prescriptions de psychotropes par les psychiatres, notamment pour les personnes âgées. Mais le rapport oublie que ce ne sont pas les prescriptions des psychiatres qui font que la France est le 1er consommateur au monde de psychotropes par habitants. C’est le résultat de ce tri des patients en fonction de la gravité de leur pathologie. Par exemple, la plupart des personnes souffrant de dépression bénéficient non pas d’une psychothérapie en CMP, mais sont suivis par leur généraliste qui ne peut guère que leur prescrire un traitement chimiothérapique.
Quelle conception de l’humain ? Un enjeu éminemment politique !
Tout cela s’appuie une conception de la personne qui ne serait plus un être biopsychosocial, comme l’appréhendait la psychiatrie humaniste dont est issu le secteur. Nous serions réduits à notre seule dimension biologique. Ainsi tous les troubles ne seraient dus qu’à des dysfonctionnements neurologiques qu’il suffirait de corriger par des médicaments ou des rééducations comportementales. L’inconscient n’existerait pas et le milieu social ne compterait pas. Il est donc inutile de vouloir inscrire le soin dans une dimension relationnelle tenant compte de l’histoire et de la dynamique biopsychosociale singulière propre à chaque patient. Le soin n’est plus individualisé mais standardisé, protocolisé.
On voit bien que ce rapport est entièrement soumis à l’idéologie libérale. Le patient est réduit à son symptôme et le soignant n’est que l’opérateur chargé de mettre en œuvre le protocole. Nous défendons le principe de « L’Humain d’abord ! ». Mais ce ne doit pas être un slogan, c’est un concept qui doit nous servir de boussole. Il impose, pour la psychiatrie, de prendre en compte la complexité biopsychosociale de chaque individu. Cela implique de considérer la psychiatrie comme une discipline médicale à part entière et non plus comme une simple spécialité médicale. Cela implique également de refonder le secteur en repartant de ses principes fondateurs qui ont été dévoyés.
Le secteur étant fondé sur la continuité des soins, il est en soi un parcours de soins spécifique qui n’a pas à s’intégrer au parcours de soins de médecine générale. Par contre il nécessite une collaboration étroite tant avec la médecine somatique qu’avec le Social et le Médicosocial. Pour cela redonnons enfin au Secteur (60 ans après sa conception !) les moyens de ses missions.
En créant les milliers de postes de soignants, psychiatres, psychologues… nécessaires. Il n’y a pas de soignants ni de psychiatres sur le marché de l’emploi. Il faut les former, mais en rétablissant dans leur enseignement l’approche biopsychosociale. Ce qui implique aussi le rétablissement d’une formation spécifique pour les soignants. Par contre, on peut, immédiatement, embaucher des milliers de psychologues cliniciens au chômage, ou ayant du renoncer à leur métier. Cela permettrait de réduire considérablement les délais d’attente dans les CMP. Cela mettrait fin à cette exclusion intolérable des patients considérés comme insuffisamment malades. Ils bénéficieraient enfin de soins de qualité adaptés, ce qui réduirait significativement la consommation de psychotropes tout en améliorant la qualité des soins. Et on pourrait refaire de la prévention en développant notamment des permanences des CMP dans les Centres de Santé. Mais cela ne se fera que si nous arrivons à faire de cette question qui concerne directement 25% de la population un débat de société….