Note de présentation du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2021

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Cette note présente l’état des finances des différentes branches de la Sécurité sociale au moment du vote de la loi de financement de la Sécurité sociale au terme d’une année marquée par la crise de la Covid-19 et trace les perspectives très négatives pour 2021.

Conséquence de la crise sanitaire, le budget de la Sécurité sociale se dégrade de manière inédite en 2020, avec un déficit du régime général + Fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 44,4 milliards d’€, soit un niveau bien supérieur au déficit post-crise 2008 qui atteignait 28 Mds €. La Sécurité sociale, qui a joué à plein son rôle d’amortisseur social, subit un effet ciseau : cette dégradation par rapport à l’exercice précédent est due aussi bien à une hausse des dépenses (+ 24,5 milliards d’euros) notamment des dépenses d’assurance maladie, qu’à une baisse significative des recettes (– 19,9 milliards d’euros) engendrée par une contraction de la masse salariale (-7,9 %) elle-même liée à la baisse de l’emploi et au recours au chômage partiel qui n’emporte pas le paiement de cotisations sociales. Ainsi, la chute de la masse salariale privée provoquée par la crise sanitaire expliquerait près des deux tiers de la baisse des recettes de 2020.

Toutes les branches se retrouvent déficitaires, y compris la branche AT/MP, en raison de moindres recettes. La branche maladie paye le plus lourd tribut avec un déficit de 29,8 Mds €.

Cette dégradation massive s’explique par des dépenses exceptionnelles de 15 Mds € pour faire face à l’épidémie (achat de masques et de matériel, remboursement des tests, prise en charge d’arrêts de travail, primes pour les soignants…) combinée à une baisse des recettes.

Quant à la branche vieillesse, elle s’enfonce dans le rouge avec un déficit de 7.8 Mds € (- 1,4 Mds € en 2019) essentiellement en raison de de rentrées de cotisations plus faibles suite au confinement.

 Pour 2021, la Sécurité sociale serait déficitaire de 27,1 Mds €, le Gouvernement pariant sur un retour rapide de l’activité et de l’emploi sur lesquels sont assises les recettes de sécurité sociale (cotisations sociales et CSG). Les branches Maladie et Vieillesse resteraient dans le rouge, avec des déficits respectifs de 19 Mds € et 7.3 Mds €. €. La dégradation des comptes sociaux n’empêche pas de fortes économies sur la sphère sociale, notamment pour la branche maladie. Hors dépenses liées à la crise sanitaire et aux revalorisations du Ségur, le PLFSS 2021 prévoit 4 Mds € d’économies sur les dépenses de santé par rapport à leur progression naturelle qui est de l’ordre de 4,2 % par an (+ 9 Mds €). Elles viennent s’ajouter aux précédents plans d’économies (4,2 Mds en PLFSS 2020, 3.8 Mds € en PLFSS 2019 et 4.2 Mds € en PLFSS 2018), pour atteindre 16 Mds € d’économies sur la santé depuis le début du quinquennat Macron.

Analyse

  1. Un budget de « circonstance » pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire et traduire les engagements du Ségur de la Santé…

Le PLFSS pour 2021 est un budget de crise qui montre que le Gouvernement a été rattrapé par le réel. La crise sanitaire est passée par là remettant en partie en cause les dogmes dans lesquels le Gouvernement s’était enfermé lors des exercices précédents au nom de l’équilibre des comptes sociaux : plafonnement des dépenses de santé autour de 2 %, mesures de désindexation sur les retraites et des allocations familiales, non-compensation des mesures d’exonérations de cotisations sociales. Forcé par les circonstances, le Gouvernement engage de nouvelles dépenses pour faire face à la crise sanitaire et traduire les engagements du Ségur de la santé signés le 13 juillet 2020. Le niveau de l’ONDAM 2021 correspond ainsi à une augmentation de 8,9 Mds € par rapport à l’ONDAM 2020 rectifié, soit une hausse de 3,5 %. Cette hausse intègre une provision de 4,3 Mds pour faire à l’épidémie (masques, vaccins et test).  Si on enlève de l’ONDAM les mesures liées à la crise sanitaire, celui-ci progresse de 6 % (12,5 Mds €) en 2021 en raison principalement des mesures du Ségur de la santé qui représentent une enveloppe globale de 7,4 Mds €, dont 5,8 Mds € pour les revalorisations salariales et le restant en faveur de l’investissement.

PRINCIPALES MESURES DU SÉGUR

Sur le volet social

  • 8,8 Mds € entre 2020 et 2023 pour les revalorisations du personnel hospitalier et des EHPAD
  • 15 000 recrutements
  • 4000 ouvertures de lits à la demande

Sur le volet investissement

  • Plan d’investissement de 6 Mds € dans l’hôpital étalé entre 2020 et 2025
  • Reprise 13 Mds € de dette hospitalière
  • Suppression du COPERMO

Pour rappel, les accords du Ségur prévoient en matière sociale une revalorisation socle de 183 euros nets par mois (90 € au 1er septembre 2020 et 93 € au 1er mars 2021) pour le personnel hospitalier et les agents des EHPAD. Loin de satisfaire les soignants, ces accords parviennent difficilement à compenser 15 années d’austérité à l’encontre du service public hospitalier. 8,6 Mds € d’économies ont été demandés aux hôpitaux entre 2005 et 2019. Les revalorisations, bien que non négligeables, restent en dessous des revendications du personnel hospitalier qui demandait 300 € net par mois. Certaines catégories de personnel au sein de la FPH sont par ailleurs exclues des augmentations. C’est le cas des infirmières à domicile (SSIAD) ou des sages-femmes. Enfin, les créations des postes (15 000) ou de lits (4000 lits à la demande) prévues dans le cadre du Ségur sont déconnectées des besoins des services hospitaliers.

Pour autant, cette apparente générosité dans le cadre du PLFSS 2021 n’empêche pas la poursuite de la compression des dépenses de santé et des mesures d’économies sur les dépenses courantes de fonctionnement des hôpitaux.

Il convient pour cela de détailler l’ONDAM 2021 qui intègre des dépenses de nature très différentes cette année : outre les dépenses de base, celui-ci comprend les dépenses Covid et les revalorisations salariales issues du Ségur de la Santé. Une fois retranchées de l’ONDAM ces deux derniers postes de dépenses, la hausse reste réduite pour les dépenses courantes. Celles-ci progressent en réalité de 5 milliards d’euros (soit une hausse de l’ONDAM de 2 ,5 %) sur un budget de 215 milliards € alors que la hausse tendancielle des dépenses de santé est estimée à 4,2 % en 2021 par la Commission des comptes de la Sécurité sociale dans son rapport de septembre, correspondant à un besoin de 9 milliards d’euros.

Loin de tourner le dos à sa politique, le Gouvernement continue en réalité de compresser les dépenses de santé. Il faudra donc bien faire, dès l’an prochain, des économies à hauteur de 4 milliards d’euros (voir tableau ci-dessous), soit un plan d’effort similaire aux années précédentes. Les hôpitaux seront ainsi mis à contribution à hauteur de 800 millions d’euros en pleine crise sanitaire, à l’heure où il manque des lits et du personnel.

Au total depuis 2017, les économies infligées à l’assurance maladie représentent donc 16 milliards d’€, dont 4,1 milliards d’€ à la seule charge des hôpitaux (1,5 Md d’€ en 2018, 0,8 Md d’€ en 2019, et 1Md en 2020, 0.8 Mds € en 2021).

2. La création d’une 5ème branche autonomie sans financement

Inscrite dans la loi sur la dette sociale et l’autonomie d’août 2020, la création d’une branche autonomie est actée dans ce PLFSS 2021 qui prévoit d’en confier la gouvernance à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Le périmètre de la branche reprend l’actuel champ d’intervention de la CNSA, qui recouvre 27 Mds € de dépenses dans le secteur de la dépendance et du handicap (financement des EHPAD, des établissements pour personnes handicapées et de l’allocation personnalisée d’autonomie), et intègre le financement de de l’allocation d’éducation d’un enfant handicapé (AEEH). S’y ajoute, les revalorisations du Ségur de la Santé pour le personnel des EHPAD pour un montant de 1,4 milliard €.  Au total, cette branche près 31,2 milliards d’euros.

Pour autant, la création la branche autonomie n’est pas accompagnée de financements suffisants pour faire face aux besoins en matière de dépendance identifiés dans le rapport Libault de mars 2019 : 6 milliards d’euros supplémentaires par an à partir de 2024, et à 9 milliards d’euros supplémentaires par an à partir de 2030. Hors mesures issues du Ségur de la Santé, les dépenses en faveur de l’autonomie progressent seulement d’un milliard d’euros en PLFSS 2021. Et seulement 300 millions d’euros sont prévus pour embaucher du personnel supplémentaire dans les EHPAD. Outre ses recettes historiques (CSA et CASA), la branche sera bénéficiaire d’une fraction de CSG de 1,9 % jusqu’à présent affecté à l’assurance maladie pour un montant de 28 milliards d’euros. Ce n’est qu’à compter de 2024 que cette branche bénéficierait de financements supplémentaires correspondant à la recette de CSG en provenance de la CADES pour un montant de 2,3 milliards d’euros suite à l’adoption de la loi sur la dette sociale et l’autonomie. Il en résulte que cette branche sera financée quasiment exclusivement par la CSG (à 90 %), c’est-à-dire les salariés et les retraités, les employeurs ne contribuant qu’à hauteur de 6 % au soutien à l’autonomie via la CSA. Cela témoigne d’une fiscalisation croissante de la sécurité sociale, avec une part toujours plus faible des cotisations sociales dans son financement.

L’instauration de cette nouvelle branche se double d’une réorganisation du périmètre de la Sécurité sociale, cette dernière prenant de plus en plus en charge des prestations de solidarité jusqu’à présent assurées par l’État. C’est le cas de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), un minimum social pour les bénéficiaires d’une pension d’invalidité. De même, on peut noter le fait que la branche autonomie assumera des prestations relevant de la branche famille (AEEH). Ces transferts interrogent sur l’évolution du rôle de la sécurité sociale. Deux logiques s’affrontent de manière de plus en plus prégnante : une logique d’assurances sociales avec des prestations contributives financées par des cotisations sociales, et une logique d’assistance avec des prestations de solidarité financées par l’impôt qui relèvent d’une logique d’assistance.

3. Faute de recettes nouvelles, les déficits sociaux explosent, annonçant le retour prochain de l’austérité

Parallèlement à ces dépenses « exceptionnelles », les ressources de la Sécurité sociale continuent de manquer et le Gouvernement renonce dans ce PLFSS à faire des efforts sur les recettes. Il en résulte une explosion des déficits sociaux : 44,4 milliards d’euros en 2020 et 27 milliards d’euros prévus en 2021. Dans un contexte de baisse de l’emploi suite à la crise sanitaire, le Gouvernement fait le pari d’un retour rapide de la croissance qui permettrait de faire rentrer des cotisations sociales dans les caisses de la Sécurité sociale. Tout cela paraît bien illusoire, et il est probable que l’emploi et les salaires soient durablement affectés. La Sécurité sociale est depuis longtemps confrontée à une crise de financement, une crise entretenue par les multiples dispositifs d’exonérations de cotisations sociales qui assèchent les ses ressources. Ils se chiffrent à 68 milliards d’euros en 2019. En raison de l’obsession pour les politiques de baisse du « coût du travail », le montant des allègements généraux de cotisations a ainsi doublé entre 2013 et 2019. Leur efficacité est pourtant largement contestable en termes de création d’emplois comme l’a montré le dernier rapport d’évaluation sur le CICE : 100 000 emplois créés entre 2013 et 2017 pour 90 milliards d’euros d’argent public.

Le risque est désormais que le Gouvernement utilise cette dégradation des comptes sociaux pour mettre sous tension la Sécurité sociale pour plusieurs années, en instrumentalisant le retour du « trou de la sécu ». Une dégradation des comptes que lui-même entretient en refusant d’affecter de nouvelles ressources. C’est ce qui explique le choix gouvernemental en juillet 2020 de cantonner la dette « covid » pour un montant de 136 milliards d’euros au sein de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), prolongeant de 9 ans l’échéance de remboursement de cette dette. Un autre choix était possible : faire porter les déficits liés à la crise sanitaire par l’État, ce qui aurait permis de récupérer 18 milliards d’euros par an de recettes (CGS et CRDS) en 2024, à la date d’extinction initiale de la dette sociale. Dans ces conditions, le retour à l’équilibre des comptes sociaux passera inévitablement par des mesures d’austérité en matière sociale et sanitaire, ces mêmes orientations qui ont conduit à affaiblir notre système public de santé.

L’assèchement organisé des recettes de la Sécurité Sociale

En 2019, les dispositifs d’exonérations de cotisations sociales ont représenté une somme de 68 milliards d’euros, soit 13 % de l’ensemble des recettes de la Sécurité sociale. Cela représente une augmentation de 40 % par rapport à 2017 (Source : Annexe 5 du PLFSS 20201).

Cette somme comprend :

  • 21 milliards d’euros d’allègements généraux sur les bas salaires inférieurs à 1,6 SMIC (Allègements Fillon)
  • 22 milliards d’euros d’allègement CICE
  • 7,7 milliards d’euros d’exonérations de cotisations d’allocations familiales (Pacte de responsabilité)
  • et diverses exonérations ciblées (exonérations propres à un secteur économique ou à un territoire)

La grande majorité de ces exonérations sont compensées par l’État à l’euro près en vertu d’une loi de 1994. Mais le PLFSS 2019 a prévu que certaines exonérations ne seraient plus compensées. C’est le cas des exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, pour un coût de 2 milliards d’€ ou de l’exonération de forfait social (contribution fléchée à la Branche vieillesse) décidée dans le cadre de la loi PACTE pour un coût de 600 millions d’euros. Ce sont autant de recettes en moins pour la sécurité sociale.

4. Quelques mesures positives en matière de prestations sociales et des sujets absents

Le PLFSS 2021 présente quelques mesures positives en matière de prestations sociales. L’allongement du congé paternité à 28 jours comme la prise en charge à 100 % par l’assurance maladie des téléconsultations vont dans le bon sens.

Toutefois, de nombreux sujets sont absents, notamment au regard des enjeux révélés par la crise sanitaire :

  • la revalorisation des salaires des personnels du secteur de l’aide à domicile, qui sont les oubliés du Ségur ;
  • des mesures permettant d’assurer l’accès aux médicaments, notamment l’accès aux médicaments essentiels ;
  • des financements pour la réouverture de lits alors que 7600 lits ont été fermés depuis 2017 et 18 000 lits sur les six dernières années ;
  • la reconnaissance automatique en maladie professionnelle pour les personnes malades du covid