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Relance de l’investissement dans le système de santé: de quoi parle-t-on?

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L’auteur reprend l’histoire récente des investissements hospitaliers et dénonce leur insuffisance. Elle propose des solutions pour sortir de cette situation. Ces solutions appellent à mobilisation.

 Abstract :
The author takes up the recent history of hospital investments and denounces their insufficiency. She offers solutions to get out of this situation. These solutions call for mobilization.

Au lendemain de la très forte mobilisation des hospitaliers le 14 novembre 2019, qui donnait enfin de la visibilité nationale aux luttes des personnels, d’abord des Urgences, puis tous les secteurs, dans toutes les régions, pour plus de moyens, d’emplois, de reconnaissance, le gouvernement par l’intermédiaire d’E. Philippe, annonce un « Plan urgence Hôpital » : après avoir constaté « une régulation budgétaire parfois excessive ». Deux mesure phares sont annoncées : la reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux établie à quelques 30 milliards à fin 2019 sur trois ans, et un plan d’investissement de 150 millions d’euros pour l’achat de matériel et la rénovation légère du bâti hospitalier. Alors que la communication macroniste insiste sur les marges financières nouvelles pour que les hôpitaux, et donc les personnels, respirent, le ministre de l’Economie met « les pieds dans le plat », tout en ayant exprimé son désaveu à la reprise de la dette : « la reprise de la dette constitue un levier pour restructurer l’hôpital public. On ne fait pas que dépenser, on réforme » !

 La crise sanitaire a révélé, au-delà des rangs de celles et ceux qui sont mobilisés depuis de nombreuses années, l’état de dégradation de l’hôpital public : manque de lits (de réanimation), de personnels, de matériels… L’émergence d’appels aux fonds privés, de création de fondations, est l’image déformée du manque de moyens et de trésorerie des hôpitaux publics ! Beaucoup d’entre eux sont complètement dépendants  de la « perfusion mensuelle » des ARS…La déstabilisation des activités par la prise en charge des patients COVID a accentué la déstructuration financière…Les hôpitaux marchent à vue, complètement mobilisés dans la réorganisation quotidienne des services et des personnels pour faire face…Ne parlons même pas de dons de matériels comme des respirateurs complétement inadéquats !!

 C’est dans ce contexte que la Caisse des Dépôts et Consignation rédige, mars 2020, une note surprenante sur « des axes à creuser pour accompagner l’investissement hospitalier et contribuer à la pertinence de la gestion ». Citons les idées géniales comme développer des lignes de prêts, des PPP vertueux, développer des hôtels hospitaliers, promouvoir la gestion agile des ESPIC, la sponsorisation qui fait appel aux financement privés, le soutien aux projets hospitaliers « intégrés » (projets urbains / projets architecturaux), faisant appel au financement des collectivités territoriales à l’exemple du site du CASH  de Nanterre…En attendant on pouvait contractualiser avec la Marine pour des « navires-Hôpitaux » ! Rien n’est anodin,  ni même fantasque dans cette note : c’est la recherche tout azimut … pour ne pas financer à la hauteur des besoins avec de l’argent public, État ou Assurance maladie !

Mais c’est la reconnaissance de facto du besoin d’investir des hôpitaux. Dans la dernière décennie, les hôpitaux ont subi plus de 12 milliards de coupes budgétaires, avec au bout un endettement de quelques 30 milliards. Depuis la mise en place de l’ONDAM, puis de la T2A, les hôpitaux ont été contraints de choisir, sans avoir le choix, entre assurer le fonctionnement au quotidien sans déficit, et/ou s’endetter pour investir, mener à terme un projet immobilier. L’endettement est à la charnière de la logique néolibérale de la baisse des dépenses publiques, et du besoin d’investir de toute structure publique. C’est à cette donnée vitale qu’ont tenté de répondre les deux plans successifs « Hôpital 2007 » puis « Hôpital 2012 » en faisant appel d’une manière massive aux marchés financiers (dont les emprunts structurés dits toxiques), avec l’effet pervers de la T2A appelant toujours plus à l’augmentation des capacités.

Après ce grand appel d’air favorisé par ces plans nationaux, l’hôpital étant la variable d’ajustement permettant de tenir l’ONDAM, l’investissement hospitalier est retombé à des niveaux historiquement bas, de l’ordre de 4% des recettes hospitalières. En dessous de 3% les hôpitaux publics n’assument plus la stricte reproduction des moyens de la prise en charge courante, avec un handicap majeur de ne pas avoir accès aux évolutions  numériques. L’investissement est bien un enjeu de financement de la pérennité du service public hospitalier !

 Le Ségur de la Santé en juillet 2020, prétend répondre à cette problématique, conjointement aux revendications des hospitaliers qui ont pris une réalité certaine après la première vague du COVID. Très explicitement les conclusions du Ségur réaffirment l’objectif politique d’accélérer les transformations engagées par « Ma santé 2022 » : phase nouvelle de regroupement dans les GHT, transformations de quelques 500 hôpitaux généralistes en « hôpitaux de proximité » avec autant de fermeture de services d’urgence, de maternités, de services de chirurgie, développement de l’ambulatoire avec transfert des patients vers la médecine libérale et/ou développement des hôtels hospitaliers, transformation du mode de financement des hôpitaux au profit de forfaits de parcours de soins. Cette affirmation nous donne une idée des critères de choix des futurs investissements.

Le communicant premier ministre J. Castex fait le service après-vente dans la circulaire du 10 mars 2021 (d’habitude, les circulaires d’application relèvent du Ministère de la Santé…) : « C’est une nouvelle étape que nous souhaitons ouvrir avec la mise en œuvre opérationnelle du plan de relance de l’investissement dans le système de santé annoncé par le gouvernement en juillet dernier. Ce plan est doté de 19 milliards d’euros sur 10 ans, soit un montant inédit dont 6 milliards de crédits France Relance qui seront financées par l’Union Européenne ». Avant de regarder la répartition de ce « montant inédit » de 19 milliards et les modes financement, il est opportun de rappeler que le Ségur de la Santé, dans son volet « investissement » a été réintégré dans le plan de relance du gouvernement de l’automne 2020, pompeusement nommé France Relance. Alors qu’il est question d’un nouveau plan de relance en 2021 afin de tenir compte des effets désastreux de l’axiome macroniste « du vivre avec le virus », le gouvernement a chiffré à 100 milliards « le monde d’après », dont 40 milliards en 2 ans de subventions directes de l’Union Européenne. Afin d’être bon élève la France a récemment présenté son « Plan national de relance et de la résilience », garanti par les contre-réformes de l’Assurance Chômage… et des retraites ! Si certains ont des doutes sur la nature de classe de ce plan ultra-austéritaire, il suffit de comparer la somme allouée à « la formation des jeunes sur les secteurs stratégiques, soit 1, 6 milliard, au cadeau supplémentaire aux entreprises, avec une nouvelle baisse des impôts de production représentant 20 milliards sur deux ans. C’est à l’aulne de ce dernier chiffre qu’il faut peser la relativité de l’effort financier pour le secteur de santé.

Les 19 milliards pour transformer le système de santé :

«  La relance de l’investissement sera soutenue par une enveloppe de 19  milliards dont 13 milliards annoncés en novembre 2019 et consolidés dans l’article 50 de la LFSS 2021 et 6 milliards du Ségur et intégrés à France Relance… » (cir.10 mars 2021 du 1e Ministre Castex)

Pour mémoire l’article 50 de la LFSS 21, « au titre du désendettement » prévoit une dotation annuelle aux établissements concernés, sous condition d’un contrat avec l’ARS d’une durée maximum de 10 ans ; la contractualisation portera sur les engagements de l’établissement « en matière de désendettement, d’investissement, d’amélioration de la situation financière et … de transformation » !

La CNAM sera elle-même alimentée par les crédits issus des emprunts contractés par la CADES : ces crédits portés à 136 milliards, l’été dernier, seront contractés sur les marchés financiers et…remboursés par la contribution de remboursement de la dette sociale (CRDS) relevant des actifs et des retraités ! Les 6 milliards qui recouvrent un champ large allant des EHPAD, le numérique et les investissements dans les établissements de santé, seront versés sous forme de de subventions par l’intermédiaire du fonds pour la modernisation et l’investissement en santé (FMIS) qui se substitue au FMESPP ; au passage les établissements en tant que tels ont disparu ! Le FMIS est abondé par l’Assurance maladie et réparti entre régions sous l’autorité des ARS tout comme le FMESPP.

Le tour de « passe-passe », entre novembre 2019 et la circulaire de mars 2021 réside dans l’attribution des différentes « enveloppes financières » :

  • 6,5 milliards sur 10 ans strictement consacrés à la restauration des capacités financières des établissements de santé assurant le SPH
  • 9 milliards sur 10 ans destinés à financer directement de nouveaux investissements dans les ES dont 6, 5 milliards pour les hôpitaux publics
  • 1,5 milliard sur 5 ans pour les EHPAD, crédits pilotés par la CNSA
  • 2 milliards sur 3 ans pour le numérique en santé

En sachant que, dans ce dispositif, la restauration des capacités de financement des EPS devra « faire l’objet d’un traitement spécifique, type « plan  de retour à l’équilibre financier » (PREF), nous constatons :

  • Les 6 milliards du plan de relance sont financés par des crédits européens
  • Le désendettement des hôpitaux va se résumer à une enveloppe de 6, 5 milliards et de nouvelles contraintes pour tous les hôpitaux dont le budget est encadré par l’ONDAM
  • Les sommes allouées à des investissements nouveaux sont misérables au regard d’une part à ce qui a été réalisé par le passé, notamment avec les plans Hôpital 2007/2012, et d’autre part aux besoins de santé et de prise en charge, tant dans les hôpitaux que les EHPAD…

 Enfin, sous couvert de la « cohésion sociale », l’affirmation du renforcement du « pouvoir des territoires » et des élu-e-s, se résume à ce que le rôle et les pouvoirs des ARS sortent encore élargis et renforcés !  C’est la logique de « Ma santé 2022 » déclinée dans les conclusions du Ségur de la Santé et de la circulaire du 10 mars 2021. Pour mémoire, je cite la mesure 10 du Ségur de la Santé : « Donner le pouvoir aux territoires en matière d’investissement en santé »! Le danger est réel à ce que les collectivités soient appelées à financer des investissements hospitaliers, sans plus de pouvoir que consultatif…

Au-delà de la vaste opération de communication du gouvernement, depuis novembre 2019 sur les financements octroyés au secteur de la santé, notamment pour l’investissement hospitalier, il nous faut retenir plusieurs axes de travail, déjà proposés dans le livre « Refonder l’hôpital public » (Éditions Le Temps des Cerises) de juin 2020, les actualiser et y associer de nouveaux acteurs :

  • Il ne faut pas que « l’arbre cache la forêt » : en clair la priorité absolue, complètement évacuée par le Ségur c’est l’embauche/ formation de 100 000 emplois dans les hôpitaux et 300 000 dans les EHPAD, afin de rouvrir des lits et créer de nouvelles structures publiques de proximité (maternités, EHPAD, centres de santé…) ; la reconnaissance des qualifications et compétences. Il y aura matière à vigilance et mobilisation pour que les hôpitaux publics aient le financement garanti, au-delà de 2021 …
  • L’exigence immédiate est bien le traitement de l’intégralité de la dette hospitalière et pas en 10 ans : sous couvert de dotations annuelles, il se confirme que les emprunts vont rester au bilans des hôpitaux jusqu’à leur échéance, laissant ceux-ci toujours sous l’emprise des banques. La France a les moyens de réorienter le pôle public financier autour de la CDC ; ce pôle financier public pourrait devenir l’acteur pivot d’une nouvelle politique de financement, notamment de leurs investissements lourds. Dans l’immédiat il pourrait effacer les emprunts toxiques et renégocier les autres à taux zéro, via la BCE. Ainsi notre proposition d’un fonds européen prend toute sa crédibilité, tout en libérant les ressources de la Sécurité sociale
  • Les grands projets immobiliers hospitaliers relèvent de l’État : dans le contexte de crise, ils ont toute légitimité à être financés par les plans de relance nationale, abondés par la Commission Européenne, au même titre que l’Automobile ou l’Aéronautique !
  • La question de la démocratie en santé doit être réinterrogée au regard de la volonté du gouvernement d’intégrer les élu-e-s dans son dispositif autour de l’investissement (notamment les futurs « hôpitaux de proximité, les EHPAD…). Nos propositions d’associer à tous les niveaux, à égalité de responsabilité et de compétence les personnels, les citoyens et les usagers, doivent être mieux portées dans le quotidien des mobilisations et les campagnes  électorales.