«À la folie» de Joy Sorman

Note de lecture par Roland Cazeneuve

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Ces derniers temps, je me suis autorisé un peu de lecture. J’ai lu notamment, le dernier livre de Joy SORMAN : « À la folie » (Flammarion, 03/02/2021). L’écrivaine a passé toute une année à se rendre, tous les mercredis, quelque part en France, dans un service d’hospitalisation de psychiatrie adulte. Elle dresse le portrait de ces personnages doublement enserrés dans leur folie et dans ces murs sensés les protéger, mais surtout les isoler des autres qui ne les supportent pas ou plus. «À l’hôpital, on ne hausse pas la voix, on se contient, on se calme, on est là pour ça ! A l’hôpital les voix sont posées, sereines». Sereines ? Pas vraiment, mais vivantes et humaines, oui vivantes et humaines, profondément !

C’est ce que va constater Joy SORMAN tout au long cette immersion au long cours dans ce lieu, qui reste finalement aussi, un lieu d’enfermement et d’isolement. «Ce jour là, dit-elle, j’ai compris ce qui me troublait. Peut-être moins le spectacle de la douleur, de la déraison, du dénuement, que cette lutte qui ne s’éteint jamais, au bout d’un an comme de vingt, en dépit des traitements qui érodent la volonté et du sens de la défaite, ça ne meurt jamais, c’est la vie qui insiste, dont on ne vient jamais à bout, malgré la chambre d’isolement et les injections à haute dose. Tous refusent, contestent, récusent, aucune folie ne les éloigne définitivement de cet élan-là. ».

L’hôpital est bien sûr, aussi et d’abord, un lieu de soins. Mais quels soins quand toutes les actions sont des subterfuges pour tenter de faire revenir les patients dans une relative normalité, acceptable par l’entourage et la société toute entière. Joy SORMAN est, dans ce lieu, à une autre place. Elle prend résolument le parti des « fous » et des « folles », qu’elle côtoie. Elle les observe avec bienveillance, les écoute avec une grande disponibilité et une grande attention, elle tente de les comprendre, Elle est là pour ça, c’est ce qui l’intéresse. Et elle y parvient admirablement. Elle raconte ces histoires folles en leur rendant leur part d’humanité, enfin !

La société elle, ne supporte pas cette folie, qui est vécue comme dérangeante, anormale, déviante. Quand cette folie s’exprime de manière trop violente, trop voyante, on enferme pour protéger, pour sédater, c’est à dire « apaiser » la personne qui l’exprime. On protège et on se protège de cette folie menaçante qui peut s’avérer dangereuse. Mais parfois cette folie est tenace et récalcitrante et la «crise» éclate, encore et encore, toujours au mauvais moment, quand il ne faut pas, quand il faudrait plutôt le calme et la sérénité. Quand on a autre chose à faire qu’à gérer la crise, même à l’hôpital… Mais la «crise» n’attend pas, elle éclate et il faut la gérer… en urgence ! Appel d’urgence, les collègues qui arrivent en renfort, l’injection, solution miracle qui calme, dans l’espoir d’un retour à la «normale». Parfois la contention et l’isolement… La soignante ou le soignant, ressentent toujours de la frustration, car ils savent qu’on aurait, peut-être, pu faire autrement mais a t’on le choix ? En tous cas, ce qui est sûr c’est qu’on n’a pas les moyens d’essayer… Résignation dévorante ! Maîtriser l’immaîtrisable, voilà le boulot des soignants. Alors on contient, on contraint, faute de mieux.

Joy SORMAN a aussi, beaucoup observé ces soignantes et ces soignants, elle a recueilli, accueilli  leurs témoignages. Elles et ils ont relaté leur vécu. De l’époque où ils étaient beaucoup plus nombreux, ce qui leur donnait la possibilité de s’asseoir et d’écouter les patientes et les patients, à comment est venu, dans les années 1990, «le temps des gestionnaires». Reprise en main austéritaire, fin de la formation des psychiatres et des infirmiers de secteur psychiatrique, organisation du manque chronique de moyens et de fait appauvrissement généralisé des pratiques, donc amenuisement du soin psychiatrique au profit des actions de contentions et de gardiennage. Là aussi, faire des « économies » est devenu une religion politique et administrative mortifère.

En tous cas, le reflet proposé par l’écrivaine ne peut pas laisser le lecteur indifférent. D’autant que, entendue ce matin dans «Le grand atelier» de France Inter, l’autrice se déclare d’un hermétisme absolu aux passions tristes : «La mélancolie, n’est pas du tout dans mon tempérament, je suis plutôt moi aussi, dans la pulsion de vie». Cependant, comme beaucoup de gens, elle déclare ne plus avoir d’idéaux politiques, suite aux déceptions successives… Elle prétend que désormais, les forces vives sont du côté de la société civile, du côté de l’art, du côté des individus… J’aurai envie d’en débattre avec elle, pour avancer que comment appellerions nous alors, l’action de ces forces vives, qui fatalement, si elles se mettaient en branle, se heurteraient immédiatement aux forces politiques détenant le pouvoir. A mon avis cette action serait pourtant, bel et bien, une action politique, que cela nous plaise ou non, nous convienne ou non…