Nouvelle indécence de l’ARS Ile de France, de quoi jeter un peu plus d’huile sur le feu!!

COURRIER DU PR ANDRÉ GRIMALDI

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Chers toutes et tous,

Les propositions de Martin Hirsch (MH) sur l’hôpital public ont le mérite d’essayer de susciter le débat même si un mauvais esprit y verrait  avant tout une offre personnelle de service adressée au nouveau Président de la République. Le projet de MH présente à nos yeux  deux défauts méthodologiques majeurs:

  • il  esquive le débat de fond sur l’alternative – rénovation ou privatisation du service public hospitalier – ce qui suppose d’abord de préciser les critères définissant un service public de santé ville/hôpital, territorialisé, à la lumière des leçons de la pandémie, (incluant entre autres la participation à la permanence des soins, le juste soin pour le patient au moindre coût pour la collectivité et l’absence de dépassements d’honoraires….). On n’ose rappeler  le projet du nouvel Hôtel Dieu de Paris avec sa galerie marchande (sur le mode d’une plateforme d’aéroport) présenté  par MH, avant la pandémie, comme le “1er hôpital du 21ème siècle”.
  • il ne part pas d’une réflexion sur l’évolution des pratiques médicales en fonction des progrès médico-techniques et des besoins de santé de la population vieillissante. Mettre dans le même sac de “management” de financement et d’organisation,  les maladies aigües et les gestes techniques (la médecine centrée sur le traitement), les maladies chroniques (la médecine centrée sur la personne) et la santé publique de terrain (la médecine des populations, “médecine communautaire” centrée sur la prévention et la réduction des inégalités sociales de santé) revient à mettre le soin au service de la gestion et non la gestion au service du soin. Quand on n’a qu’un marteau, tout devient un clou. Et la maladie chronique n’est que de l’aigu à répétition (la Sécu a poussé l’absurdité jusqu’à payer les médecins libéraux à l’acte d’injection du vaccin, une injection = un acte).

Ceci dit dans le “en même temps ” de MH, il y a des propositions intéressantes,

1) créer une grande commission de réforme de l’hôpital public sur le modèle de la réforme Debré de 1958 et confier la présidence de cette commission à Didier Tabuteau, coauteur du Manifeste  pour une santé égalitaire et solidaire (publié en 2012), aujourd’hui vice-président du Conseil d’Etat.

2) insister sur l’importance du recrutement, de la formation, de la spécialisation et de la valorisation des infirmières  bien que MH ne propose pas de procédure visant à établir, pour chaque unité de soins, le quota  de personnels soignants (médicaux et paramédicaux) nécessaires pour assurer la sécurité et la qualité des soins.

3) mettre en place un financeur  unique pour l’hôpital, la Sécu. Elle paierait sa part à l’hôpital et avancerait celle des assurances privées “complémentaires” (les mutuelles…). Ce qui revient à  refiler à la Sécu le surcoût bureaucratique (1500 emplois à plein temps à l’APHP selon MH). Ce disant, sans le dire, MH a renoncé à la proposition de 2017 qu’il avait faite avec Didier Tabuteau, d’une “Grande Sécu” intégrant les mutuelles, supprimant le doublon des frais de gestion inutiles (7,6 Mds), revalorisant le secteur 1 et supprimant le secteur 2. Olivier Véran avait tenté prudemment de relancer le sujet mais le président Macron, sensible à la pression des lobbys impliqués (et sûrement aux conseils de son ami R. Ferrand, ancien dirigeant des mutuelles de Bretagne, comme chacun le sait) a sifflé la fin de partie en excluant un projet de “Sécu cathédrale”.

L’essentiel du propos de MH porte en réalité sur les moyens juridiques à donner à l’hôpital public pour qu’il puisse concurrencer le privé où les médecins et les paramédicaux “rentables” pour l’établissement  (orthopédistes cardiologues interventionnels,  radiologues et manipulateurs radios….) gagnent beaucoup plus. Pour cela il propose d’introduire une part de salaire variable en fonction de l’activité et des besoins de l’établissement et de remplacer le statut par un  contrat renouvelable tous les 5 ans, bref de faire un pas de plus vers la privatisation dans une logique de concurrence “libre et non faussée” et non de planification sanitaire et de coopération. La seule proposition recevable pour la défense d’un service public territorialisé est l’existence d’une prime de vie chère et d’aide au logement variable selon les régions. De même, la prime de service public exclusif pourrait être modulée selon les disciplines et les régions. Mais il n’y aura pas de renouveau possible de l’attractivité comparative de l’hôpital public sans :

1) la mise en extinction du secteur 2 en ville comme à l’hôpital en maintenant la possibilité d’une  activité privée  à l’hôpital en secteur 1 réévalué

2) un changement des conditions de travail avec reconstitution d’équipes médicales et paramédicales suffisamment nombreuses et stables (mettant fin au chaos actuel aggravé par la grande équipe créée par MH imposant des horaires variables pour les soignants) avec possibilité pour les infirmiers et les aides soignants d’heures supplémentaires correctement rémunérées.

3) un changement de gouvernance impliquant la cogestion entre administratifs et soignants (médicaux et paramédicaux) d’un budget. Le maintien du tout T2A transforme la coopération entre établissements et entre ville et hôpital en concurrence et réduit la cogestion à une course à l’échalote pour faire marcher la T2A (selon le modèle de l’hôpital business de Valenciennes dont la com’ masque la réalité). Il ne s’agit pas de revenir au budget global figé à l’ancienne, ne prenant pas en compte l’activité mais d’associer la T2A pour les activités standardisées programmées, le prix de journée pour les soins palliatifs et la DAMA pour le reste des activités non programmées ou rares ou complexes ou le suivi de patients ayant des maladies chroniques évolutives ne pouvant pas être pris en charge en médecine de ville. La dotation annuelle modulée à l’activité (DAMA) serait initialement calculée sur une base historique, comme cela s’est fait en 2020 et en 2021 en raison de la pandémie. Elle évoluerait d’une année sur l’autre en fonction de critères simples (file active –  nouveaux patients – degré de gravité de 1 à 4 – degré de précarité). Sans budget, pas de réelle liberté de choix et d’innovation  mais soumission au carcan tarifaire de la T2A, en un mot pas de réelle cogestion possible. De plus, la DAMA pourrait donner lieu à un intéressement collectif selon le modèle de certaines ACO américaines, pour en finir avec l’absurde maximisation de la facture adressée par les hôpitaux à la Sécu.

Quand au statut des médecins hospitaliers il devrait évoluer vers un statut unique de praticien hospitalier pouvant soit se limiter à l’activité de soins soit inclure (dans les CHU systématiquement et hors CHU à la carte) des valences supplémentaires d’enseignement, de recherche, de gestion et de santé publique, pouvant évoluer avec le temps, sachant que l’ensemble des cinq missions ne peuvent être réalisées que par des équipes, chaque praticien n’assurant en plus du soin qu’une ou  deux missions. La réévaluation des missions devrait être systématique tous les cinq ans, les responsabilités de chef de service devant être limitées à un maximum de deux quinquennats. La définition d’un service public de santé ville/hôpital impliquant des professionnels médicaux et paramédicaux salariés ou libéraux en secteur 1, permettrait des activités mixtes en partie salariée  en partie libérale, en ville comme à l’hôpital avec des postes partagés. Prétendre rénover le service public hospitalier, en maintenant la T2A, en instaurant les salaires variables en fonction de la rentabilité, en remplaçant le statut par le contrat, et en laissant en place le secteur 2 est un leurre, mais pour les plus lucides c’est une orientation décidée il y a plus de 20 ans mais jamais soumise au débat démocratique.