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Fin de vie, libre choix ou choix contraint?

Courrier de Michel Katchadourian, militant mutualiste

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Ce sujet délicat, il faut en débattre sereinement et sérieusement pas au doigt mouillé ! Dans cette société capitaliste, je suis plus que méfiant avec ce genre de loi qui se dit «sociétale». C’est quoi «le libre choix» dans des situations économiques et sanitaire catastrophiques individuelles et collectives, de fait culpabilisantes socialement, et familialement souvent. Donnons des moyens humains et financiers aux soins palliatifs, aux personnes humaines de vivre dignement déjà, offrons des Ehpad publics de qualité respectueux pour les malades, les salariés, les familles. Quand tout sera à un niveau digne, on comptera celles et ceux qui souhaitent vraiment dire stop à la vie de façon non contrainte. On sait que bon nombre de personnes qui ont fait une tentative de suicide veulent vivre après avoir réchappé à ce qui était un appel au secours en vérité. Une autre question se pose, celle des médecins puisque c’est sur eux que l’on va faire peser le poids du dernier geste in fine. Leur parole compte à mon humble avis, car déjà dans l’immense majorité des cas, ils font ce qu’il faut au moment où il faut, en accord avec les familles surtout depuis les lois Leonetti de 2005 et fin de vie de 2016.

La question de la fin de vie est pour les citoyens une source de préoccupation. La loi Leonetti de 2005 a été complétée par la loi du 27 janvier 2016 (promulguée le 2 février 2016), portée par les députés Claeys et Leonetti, et contenant plusieurs avancées qu’il faut faire connaître, car beaucoup de contre-vérité circule sur ce sujet délicat.

Renforcement du caractère opposable des directives anticipées

Les directives anticipées ne s’appliquent qu’à la fin de vie, et ne doivent être consultées que si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté. Elles expriment la volonté du patient pour le cas où il serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté concernant sa fin de vie. Avant cette loi, le médecin tenait compte des directives anticipées, maintenant elles s’imposent à lui. Il existe deux dérogations :

  • Les situations d’urgence
  • Les directives anticipées manifestement inappropriées à la situation du patient

Le rôle du médecin dans l’aide à leur rédaction est essentiel, car il connait les situations médicales et leurs spécificités. Le patient a la possibilité de les modifier ou de les révoquer quand il le souhaite et par quelque moyen que ce soit (message audio, lettre, vidéo).

Le rôle de la personne de confiance

La personne de confiance désignée par le patient porte témoignage de la personne malade hors d’état d’exprimer sa volonté. Elle doit répondre à la question «qu’aurait voulu le patient ?». La loi prévoit que son témoignage prévaudra sur tout autre, sauf si le patient a rédigé des directives anticipées. Cela suppose que la personne malade ait eu l’occasion de le faire connaître à l’équipe soignante et d’échanger avec cette personne, et ce de façon suffisamment régulière pour qu’elle puisse être le témoin des valeurs et de l’état de santé du patient qui ont pu évoluer avec le temps. Cette loi n’autorise ni euthanasie ni suicide assisté, mais instaure un droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès chez :

  • Un patient en état d’exprimer sa volonté
    • s’il est atteint d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui présente une souffrance réfractaire au traitement
    • s’il est atteint d’une affection grave et incurable et décide d’arrêter un traitement au titre de l’obstination déraisonnable, ce qui engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable
  • Un patient incapable d’exprimer sa volonté dans un contexte d’arrêt d’un traitement au titre de l’obstination déraisonnable, et après avoir mis en place la procédure de collégialité prévue par le code de déontologie.

Sans que l’intention soit de faire mourir, la loi reconnait de façon pragmatique au patient le droit «de ne pas être témoin de ce qui va advenir» par le caractère «profond et continu» de la sédation tout en répondant à une peur récurrente des citoyens de voir se prolonger inutilement l’agonie. La loi reconnait que l’évolution des évènements peut certainement être influencée par la sédation sans que le contrôle absolu du moment du décès ne fasse tomber cette pratique dans le champ de l’euthanasie. La procédure collégiale de décision reste plus que jamais d’actualité (et verra certains de ces contours modifiés par un décret). La nutrition artificielle et l’hydratation constituent un traitement et pourront donc être arrêtées comme tout autre traitement de suppléance.

La loi de 20016 apporte donc indéniablement des avancées qui répondent à l’attente de beaucoup, mais, devant la complexité de certaines situations de nombreux patients, il conviendra de mettre en place une vigilance éthique. Une analyse au cas par cas, pourra être demandée par les équipes hospitalières avec l’appui, si nécessaire, de la direction des affaires juridiques et éthiques pour un éclairage juridique, et du comité d’éthique de l’établissement (ou des comités d’éthique de service ou de pôle lorsqu’ils existent). Il y a la question éthique et médicale bien sûr qu’il faut analyser et débattre.. Mais pour moi la question du choix de société et du dépassement des logiques capitalistiques pèse sur les choix individuels.

Par exemple aujourd’hui, les maisons de retraite publiques représentent seulement près de la moitié du parc des Ehpad (44 %), tandis que les maisons de retraite privées commerciales couvrent près du tiers (31 %) et les autres établissements (associatifs, etc.) couvrent un quart du parc (25 %). Si on veut débattre scientifiquement, économiquement, politiquement et socialement de la fin de vie, alors il faut tout mettre sur la table de la naissance à la mort… Vaste programme !