Les mutilations sexuelles féminines (MSF) consistent en l’ablation partielle ou totale des organes sexuels externes de la femme ou toute autre mutilation des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non médicales. Majoritairement pratiquées en Afrique, mais aussi en Asie et au Moyen-Orient, 125 000 femmes victimes de MSF vivraient en France. Les soignants des pays occidentaux sont donc directement concernés par la réalité de l’excision. Peu d’études françaises centrent leurs recherches sur le point de vue des femmes en ce qui concerne leur prise en charge par les professionnels de santé. L’Objectif est de recueillir le vécu et les attentes des femmes victimes de MSF vis-à-vis des professionnels de santé. La méthode est une étude qualitative réalisée auprès de 11 femmes victimes de MSF recrutées dans 3 centres de soins distincts a été réalisée par l’intermédiaire d’entretiens semi-dirigés. Le tabou dans la sphère familiale et le sentiment de honte que ressentent les femmes vis-à-vis de l’excision rend difficile pour elles l’ouverture du dialogue avec les professionnels de santé. Cependant, beaucoup se heurtent au silence des soignants, qui parfois sont ceux qui réalisent leur suivi médical depuis plusieurs années. Briser les réticences mutuelles permettra de les informer sur l’excision et ainsi de mieux les accompagner. En conclusion les femmes attendent des soignants qu’ils fassent le premier pas et qu’ils ouvrent le dialogue autour de l’excision au plus tôt dans leur parcours médical. Pour elles, réassurance, accompagnement et prévention sont les grands axes autours desquels tournent le rôle des soignants.
Abstract: Female genital mutilation (FGM) is the partial or total removal of the female external genitalia or other injury to the female genital organs for non-medical reasons. Mostly practiced in Africa, but also in Asia and in the Middle East, 125 000 women victims of FGM are living in France. Caregivers in western countries are therefore directly concerned by the reality of FGM. Few French studies focus their research on the point of view of women regarding their care by health professionals. The objective is to collect the experiences and expectations of women victims of FGM towards health professionals. The method is a qualitative study of 11 women victims of FGM recruited from 3 health centers was conducted through semi-structured interviews. The taboo in the family sphere and the feeling of shame that women feel about FGM makes it difficult for them to open a dialogue with health professionals. However, many women encounter silence from caregivers, who are sometimes the ones who have been doing their medical follow-up for several years. Breaking mutual reluctance will help inform them about FGM and thus better support them. In conclusion, women expect caregivers to take the first step and open the dialogue around FGM as early as possible. For them, reinsurance, support and prevention are the main axes around which the role of caregivers revolves.
Pratiquées depuis des milliers d’années, les mutilations sexuelles féminines (MSF) recouvrent toutes les interventions aboutissant à l’ablation partielle ou totale des organes sexuels externes de la femme ou toute autre mutilation des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non médicales (1). A ce jour, l’UNICEF a estimé à près de 200 millions le nombre de femmes ayant subi une forme de mutilation sexuelle dans le monde (2). Longtemps rattachées au seul continent africain, les données actuelles rapportent que les MSF sont aussi pratiquées dans des pays d’Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient (3). En Europe, la France est l’un des premiers pays confrontés à la réalité des MSF du fait de l’ancienneté des flux migratoires, dès la fin des années 1970. Selon une estimation publiée en 2019, 125 000 femmes mutilées vivraient en France (4).
La pratique des MSF est une violation des droits des femmes, et elles vont à l’encontre des droits de l’enfant. Afin de combattre ces pratiques anciennes, des dispositions législatives ont été mises en place, ainsi que des campagnes d’information et de prévention (5,6). Les professionnels de santé ont une place privilégiée pour venir en aide à ces femmes. Cependant, des difficultés existent quant à l’abord de la question de l’excision en consultation. Bon nombre d’études analysent les pratiques des professionnels de santé face aux MSF (7–9) mais qu’en est-il du point de vue des femmes ? Malgré plusieurs études réalisées à l’international (10–12), peu en France à l’exception de l’étude Excision-Handicap (13) centrent leurs recherches sur les attentes et les besoins des femmes elles-mêmes.
Nous avons donc décidé de laisser la parole aux femmes et de réaliser une étude dont l’objectif est d’évaluer le vécu et les attentes des femmes victimes de MSF vis-à-vis des professionnels de santé.
Méthode
Une étude qualitative a été réalisée à l’aide d’entretiens semi-dirigés individuels. 11 femmes majeures ayant subi une MSF ont été recrutées dans 3 centres de soins : 5 femmes à la Maison des Femmes à Saint-Denis (93), 5 au CHU du Kremlin-Bicêtre à l’unité de soins aux femmes excisées (94) et une patiente a été recrutée en cabinet de médecine générale (Paris 13ème). Ces entretiens enregistrés ont été intégralement retranscrits et analysés. La méthode d’analyse s’est inspirée de la méthode par théorisation ancrée. Les codes de chaque entretiens ont été comparés entre eux et différents thèmes et sous thèmes ont émergé.
Caractéristiques de la population d’étude : Cf tableau en fin d’article.
Résultats
- Parler et faire silence
L’accès à la parole autour de l’excision a une place centrale dans l’expérience de soin vécue par les femmes. La question de l’excision et de la sexualité dans les familles notamment avec les parents est un sujet tabou. Si la communication avec les parents est souvent inexistante, les femmes ressentent néanmoins le besoin d’en parler: il semble plus facile pour elles d’en discuter avec leurs sœurs ou leurs amies.
Devant la difficulté de parler de sexualité avec les proches, le soignant pourrait alors leur permettre d’ouvrir le dialogue. Cependant, il est difficile pour les femmes d’aborder d’elles-mêmes le sujet avec le soignant. En effet, le sentiment de gêne, de honte (honte de son sexe), de peur de la vérité, de peur d’être jugée sont autant de freins qui dissuadent les femmes d’en parler. De manière quasiment unanime, les femmes déplorent de s’être souvent heurtées au silence des soignants. L’incompréhension, la colère et la frustration qui en découlent entraine une perte de confiance envers ces soignants qui parfois sont ceux qui les suivent au long cours.
Les femmes préfèreraient que le professionnel de santé fasse le premier pas et ouvre le dialogue le plus tôt possible. La libération de la parole est alors vécue comme un soulagement et permet d’initier une prise en charge sur le long terme, basée sur la confiance.
- Le savoir
Il ressort des entretiens que la moitié des femmes interrogées ont peu de connaissances sur les différents aspects de l’excision. Le tabou qui entoure l’excision et la sexualité ne permet pas aux femmes de s’informer au mieux sur ce sujet. En ouvrant le dialogue, les femmes attendent du soignant qu’il puisse leur transmettre son savoir et ses connaissances. Il est intéressant de noter que parmi les patientes interrogées, quatre avaient fait leurs propres recherches sur internet afin de se renseigner sur l’excision ou sur les services qui proposaient la réparation chirurgicale.
- Les attentes
Les entretiens ont permis de mettre en lumière certains éléments que les femmes considèrent comme important pour que leur prise en charge soit faite de manière appropriée.
- La temporalité : les femmes prônent une ouverture de la parole de la part des soignants, mais cela doit être fait à un moment adéquat, propre à chaque femme et à chaque situation.
- Le comportement des soignants : le soignant doit évoquer le sujet avec empathie, dans un climat de bienveillance et de confiance. Aussi, l’absence de jugement et la position de neutralité du professionnel de santé permettent de favoriser l’ouverture du dialogue.
- Le rôle des soignants : les femmes sont en quête d’explications claires et attendent du soignant qu’il leur dise la vérité, sans tabou, qu’il puisse les rassurer et les déculpabiliser vis-à-vis de leur excision .
Il est aussi important que les femmes puissent bénéficier du carnet d’adresse du soignant afin que celui-ci puisse les adresser vers des centres de soins spécialisés. Enfin, la prévention de l’excision doit passer par les professionnels de santé : examiner systématiquement les petites filles et rappeler les risques encourus en cas d’excision.
Discussion:
Comparaison avec la littérature
Le non-dit autour de l’excision, dans la sphère familiale ou dans le milieu du soin se retrouve dans plusieurs études (13,14). Cela rend difficile l’abord du sujet par les femmes : elles se sentent embarrassées et sont hésitantes a en parler aux soignants (14).
Tout comme dans notre étude, les sentiments de gêne, de honte, de peur de la vérité, de peur d’être jugée par le soignant sont partagées par d’autres femmes (13,15,16). Certaines notions n’ont cependant pas été retrouvées dans notre étude : le sentiment de stigmatisation (17,18), la peur d’être dénoncée aux autorités (14,15,17), les difficultés communicationnelles et la barrière de langue (14,16). Tout comme dans notre travail, il ressort de plusieurs études que des femmes regrettaient l’absence d’ouverture de dialogue de la part du soignant (13,14,18). Le manque de formation et de connaissances des professionnels de santé est souvent retrouvé comme facteur limitant l’ouverture du dialogue (13–15,18). De ce fait, les femmes préfèrent parfois se tourner vers des services spécialisés pour débuter la prise en charge (14,16). Dans notre étude tout comme dans l’étude d’Evans et al (14), les femmes recommandaient que le premier pas et l’abord de la question soit fait de la part du soignant. Deux études rapportent que les femmes avaient un niveau de connaissance plutôt variable en ce qui concernait l’excision mais aucune ne savait comment l’expliquer en détail (14,19). Dans notre étude, quatre femmes s’étaient informées seules sur l’excision et sa prise en charge, principalement via des sites internet. Après recherches dans la littérature, aucune autre étude ne fait mention de cette manière de rechercher l’information par les femmes.
Les femmes attendent des soignants du respect et de l’empathie, qu’ils prennent le temps nécessaire lors des consultations, et qu’il puisse y avoir une continuité de soin (suivi réalisé avec le même soignant) (14,16). Certaines femmes craignent pour leurs petites filles d’être excisées lors de voyages dans leur pays d’origine. Elles attendent donc une amélioration de la prévention (18).
Forces et limites
Peu d’études françaises publiées ont cherché à explorer le positionnement des femmes excisées en ce qui concerne leur prise en charge médicale. Notre étude permet donc d’apporter de nouveaux éléments concernant la prise en charge des patientes victimes d’excision. Enfin, les résultats de cette étude donnent des pistes pour améliorer la qualité des soins dispensés aux femmes. Il est intéressant de noter que ceux-ci concordent avec les recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé (20). La majeure partie des patientes recrutées dans cette étude étaient déjà dans un parcours de soin. Cela a permis d’avoir un large panel d’expériences vécues et d’obtenir de riches témoignages. Cependant, cela n’a pas permis de recueillir les attentes des femmes n’en ayant pas encore parlé avec des soignants.
Nous avons choisi d’interroger uniquement des femmes francophones et sans traducteur afin d’éviter les erreurs d’interprétation. Cependant, l’exclusion des femmes non francophones a limité l’étude de leur point de vue, pouvant être différent et pouvant nécessiter une prise en charge adaptée. De plus, la population d’étude présentait une hétérogénéité sur deux points principaux : l’âge (aucune femme de plus de 41 ans n’a été incluse) et le niveau socio-économique élevé pour les deux-tiers des patientes recrutées. Réaliser une étude plus homogène sur l’âge des femmes incluses et diversifier le niveau socio-économique aurait permis d’avoir une vision plus globale, les attentes et leurs approches envers les soins pouvant être différents.
Conclusion
Les femmes ressentent un besoin profond de libération de la parole avec les professionnels de santé malgré le conditionnement au tabou qui existe autour de l’excision. Occulter l’abord de la question en consultation peut renforcer le sentiment de honte que ressentent les femmes et ainsi briser la relation de confiance soignant-patiente. A l’inverse, en parler est vécu comme un soulagement et permet d’initier une prise en charge basée sur la confiance. Les femmes attendent des soignants qu’ils brisent les réticences mutuelles et qu’ils fassent le premier pas, dans le respect d’une temporalité, propre à chaque femme et à chaque situation. Même si certaines s’informent par elles-mêmes sur la prise en charge de l’excision, les professionnels de santé doivent pouvoir les accompagner dans leur parcours de soin. Réassurance, accompagnement, prévention sont les grands axes autours desquels tournent le rôle des soignants.
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