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La GPA en Ukraine: le bonheur de quelqu’un justifie-il l’exploitation des corps des femmes?

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L’auteur montre la situation catastrophique de la gestation pour autrui en Ukraine. Cette situation résulte de l’exploitation du corps des femmes et la guerre en montre toutes les conséquences. Les abandons d’enfants deviennent fréquents. Elle se prononce pour l’interdiction de ces pratiques.

Abstract : The author shows the catastrophic situation of surrogacy in Ukraine. This situation results from the exploitation of women’s bodies and the war shows all the consequences. The abandonment of children is becoming frequent. She is in favor of banning these practices.

Nous offrons la possibilité de créer un package de services individuel : 31 250 euros pour les hommes célibataires ou en couple LGBT, 13 000 euros pour les couples hétéros, forfaits VIP… ». C’est ce qu’on peut lire lorsque on tape « GPA » ou « maternité de substitution » sur internet. Derrière ces offres attrayantes, on nous promet des « garanties » : « une base absolument transparente et légale, conformément à la législation des pays dans lesquels nos cliniques sont situées », « la possibilité de sélectionner des mères porteuses à partir de bases de données », « la surveillance permanente des conditions de vie et celles nutritionnelles de la mère porteuse » et évidemment « le renoncement de la mère porteuse de ses droits parentaux».

On voit d’ici l’annonce toute faite d’un présentateur télé aux cheveux grisonnants et à la dentition parfaite nous vendre entre une annonce de lessive et de voiture, la possibilité de «devenir parents» sans dérangement ou complication médicale, sans renoncer à sa carrière et surtout la possibilité malgré sa stérilité ou son orientation sexuelle de transmettre ses gènes. «Et attention Messieurs, Mesdames, aujourd’hui c’est votre jour de chance : une promotion exceptionnelle pour les 100 premiers qui passeront commande : ce n’est pas un mais deux enfants que vous recevrez pour la somme modique de … résultat garanti !». Aujourd’hui ces annonces, on fait plus que les imaginer : elles occupent l’espace public à grand renfort de livres et d’interviews de Marc-Olivier Fogiel et d’autres tenants d’une bourgeoisie décomplexée.

Soudain c’est le drame : la guerre ! Tous ces parents qui retiennent leur souffle qui « vivent en imaginant les bombes, en se disant qu’ils ne pourront pas récupérer leur enfant » comme on le lit dans la presse. Car la complexité de la situation est que les enfants ne peuvent pas être délivrés en temps de guerre mais que si les mères porteuses tentent de fuir le conflit, alors l’enfant ne pourra pas être récupéré non plus car la GPA est interdite dans la plupart des pays et dans tous ceux de l’UE. Alors faudrait-t-il légaliser la GPA pour permettre aux familles occidentales aisées d’accéder à la parentalité ?

Mais ne manque-t-il pas un élément dans ce scénario, dans cette machine bien huilée ? Lequel ? La femme, ou plutôt les femmes, les êtres humains qu’il y a derrière ce commerce inhumain. Car oui il y a un envers au décor et il est plutôt nauséabond.

La législation en Ukraine

LA GPA est autorisée en Ukraine depuis 2002, « pour les hétérosexuels mariés et ayant fait la preuve de leur infertilité ». Plus de 95% de la demande provient d’étrangers. Depuis que l’Inde et la Thaïlande ont restreint, en 2015, la GPA aux seuls nationaux, la demande a encore augmenté faisant de l’Ukraine la première « fabrique de bébés » d’Europe, un quart de la production mondiale. Il n’y a pas de chiffre officiel mais alors que le gouvernement ukrainien estime entre 2000 et 2500 le nombre de GPA chaque année, les ONG’s parlent quant à elles de 3000 à 3500 cas annuels avant la pandémie. Entre 30 et 50 cliniques sont spécialisées à cet effet à travers le pays.

L’accord nécessaire à une GPA en Ukraine est conclu devant un notaire, qui vérifie le consentement, les exigences et la valeur de la compensation financière. Le contrat a une valeur juridique qui prévoit la filiation, car les parents d’intention seront également considérés comme tels pour l’état civil (Article 123 (2) du Code de la famille de l’Ukraine). L’accord stipule également que la mère porteuse accepte de transférer le nouveau-né aux parents prévus après la naissance, qu’elle n’acquiert aucun droit parental sur l’enfant et qu’elle n’a pas le droit de le contester devant un tribunal (Article 139 (2) du Code de la famille de l’Ukraine).

Il existe différents types de GPA : celle avec transfert de ses propres embryons ou ovules via une FIV (fécondation in vitro), ou une FIV avec les ovules d’une donneuse à la mère porteuse. Évidemment les prix varient d’une option à l’autre. En Ukraine, la loi ne limite pas le montant de l’indemnisation pécuniaire de la mère porteuse. En revanche, si les annonces faites promettent jusqu’à 22 000 euros par grossesse, en réalité les mères porteuses touchent rarement plus de 500 euros à la fin du processus. Et pour cause : si la mère porteuse reçoit la première partie des frais le jour de la FIV ou après la confirmation de la grossesse, le reste de la rémunération de la femme est versé après l’accouchement et le transfert de l’enfant aux parents.

L’aggravation de la situation liée à la guerre

Véritable industrie pour le pays, la situation des mères porteuses et des nouveaux nés est revenue sur le devant de la scène pendant le conflit. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a en effet eut une conséquence désastreuse et inattendue pour ces femmes. Celles-ci étant totalement dépendantes des « parents d’intentions », elles sont aujourd’hui condamnées pour la plupart à rester sous les bombes car tenues en otages par leur contrat et la dépendance financières qui y est liée. Les images de bébés dans des bunkers ont fait le tour du monde. Celles qui peuvent fuir le conflit sont quant à elles condamnées à accoucher dans des pays ou la GPA n’est pas autorisée, ce qui signifie l’impossibilité pour les parents d’intention de récupérer l’enfant d’une part, et le plus souvent un abandon de l’enfant qui se retrouve orphelin. Dans certains cas, les « clients » prennent en charge le transfert de la mère vers leur pays et s’arrangent ensuite pour contourner la loi. C’est le cas en France par exemple ou au moins deux bébés conçus avec le recours d’une mère porteuse ukrainienne ont vu le jour dans l’Hexagone en avril, en Vendée et dans le

Rhône[1]. Certains avocats essayent alors de contourner la loi en demandant à la mère d’accoucher sous X et au « père d’intention » de faire une reconnaissance près natale[2].

Plus inquiétant encore, les cliniques en Ukraine qui informent leurs clients que, tant que la situation le permet, elles pourront transférer les mères enceintes et des bébés vers la frontière occidentale du pays afin qu’ils arrivent jusqu’au point de rencontre choisi par les clients. Cela pose la question du trafic d’êtres humains, femmes et enfants, qu’il y a derrière ses « promesses ». Les vidéos mises en lignes par l’agence BioTex par exemple sont particulièrement préoccupantes[3].

En effet, la loi exige normalement que les parents biologiques soient présents pour confirmer leur nationalité.

Outre le conflit, qui rend déjà le processus difficile, le fait que la plupart des représentations consulaires aient dû quitter l’Ukraine a encore plus compliqué l’enregistrement de l’acte de naissance du bébé, alors qu’il s’agit d’un document clé pour que celui-ci puisse sortir du territoire national.

La fabrique d’orphelins et atteinte au droit des enfants

La guerre ne fait aujourd’hui que mettre en exergue une situation déjà dramatique pour les enfants comme pour les femmes qui subissent cette situation. En effet, nous l’avons dit, les femmes ne « touchent » la deuxième partie de l’argent qu’à la « livraison » du bébé. Or, force est de constater qu’une grossesse n’est pas vraiment un « processus de production » classique. Outre les risques inhérents à celle-ci pour les femmes impliquées (a priori pas plus importants que pendant une grossesse hors GPA), les risques pour l’enfant sont quant à eux démultipliés.

En effet, si l’enfant rencontre des difficultés de santé à la naissance ou s’il est victime d’une « anomalie » (entendre par là tout élément non voulu par les parents d’intention), ceux-ci peuvent refuser de « récupérer » leur enfant. Les cas d’abandon à la naissance sont en effet extrêmement nombreux, créant des situations de saturation dans les services spécialisés en soins intensifs et pédiatrie d’une part, dans les orphelinats de l’autre. Considérer l’enfant comme un simple produit commercial équivaut à le déshumaniser et à nier ses droits. C’est d’ailleurs en substance ce que dit la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la vente et l’exploitation sexuelle des enfants dans un rapport de 2018 : « La gestation pour autrui commerciale, telle qu’elle est actuellement pratiquée, relève de la vente d’enfant telle que définie par le droit international des Droits de l’homme. […] la gestation pour autrui relève de la vente d’enfants dès lors que la mère porteuse ou une tierce partie reçoit « une rémunération ou tout autre avantage » en contrepartie du transfert d’un enfant. La définition de la vente d’enfants contient trois éléments : a) « la rémunération ou tout autre avantage » (paiement) ; b) le transfert d’un enfant (transfert) ; et c) l’échange de « a » contre « b » (transfert contre paiement)»[4]. Cette situation devient évidemment encore plus incontrôlable en temps de guerre, lorsque l’on sait que les victimes, en particulier les femmes et les enfants, sont face à un risque accru de tomber dans les mains de réseaux de traites notamment d’exploitation sexuelle.

L’eugénisme social et culturel

Un autre problème « éthique » se pose avec la GPA : celui de l’eugénisme social et culturel qu’il peut engendrer. En effet, si l’on ne peut nier la légitimité de certains couples d’avoir accès à la parentalité alors qu’ils en sont privés de facto de par leur orientation sexuelle ou pour des raisons de fertilité, la question qui se pose est : est-ce que tout peut être justifier de par ce besoin ?

Derrière « la possibilité de sélectionner des mères porteuses à partir de bases de données » et le cas échéant « la possibilité de sélectionner les embryons ou ovules implantées » qui est garantie par les agences GPA, la question de l’eugénisme se pose assez rapidement. On peut d’ailleurs s’interroger sur la raison pour laquelle l’Ukraine est devenue le deuxième pays au monde à pratiquer la GPA. Il y a là un racisme sous-jacent dénoncé par un certain nombre de féministes notamment en Ukraine : Transmettre ses gènes oui, mais à des blanches aux yeux bleus c’est mieux !

Les progrès scientifiques et génétiques permettant aujourd’hui d’avoir accès à un certain nombre de données au court de la grossesse, si l’embryon ne correspond pas aux souhaits des parents d’adoption (en fonction de son sexe, d’une malformation physique…), ceux-ci pourront à tout moment faire le choix de renoncer à leur parentalité et laisser ainsi la mère biologique comme l’enfant lorsqu’il naitra dans une situation de précarité totale. Pour cette raison, certains ont parlé de « fabrique d’orphelins » concernant la GPA, tant le fait de considérer l’enfant comme une commande ou un « produit » peut engendrer le fait de ne pas « finaliser la commande » si celle-ci ne correspond pas aux attentes du client. Reste également que l’accès à la parentalité ne se fait pas forcément et uniquement par la « transmission de gènes » mais bien dans un cadre d’un processus social, psychologique et sentimental de longue durée. La question de la « filiation » est plus ici un reflexe normatif de nos sociétés patriarcales qu’une réalité empirique dans la mesure où cette parentalité pourrait aussi être satisfaite par l’adoption par exemple (encore faut-il évidement que celle-ci soit véritablement accessible au plus grand nombre).

Exploitation des femmes et contrôle total des corps

La question éthique centrale que pose aujourd’hui la GPA est finalement la suivante : au nom d’un droit individuel à la parentalité, peut-on exploiter le corps d’une autre personne ? Autrement-dit, est-il normal et légitime que dans notre société, moyennant finance, tout puisse être acheté et mis en vente ? Car c’est bien de l’exploitation du corps des femmes dont il s’agit ici. Autoriser la GPA c’est inscrire dans la loi que « louer » son ventre puisse être un métier. Une société qui est capable de faire des enfants et des corps des simples produits commerciaux en dit long sur la déshumanisation du capitalisme libéral actuel. Car soyons honnête : qui accepterait de louer son corps pendant 9 mois, d’accoucher avec ce que cela signifie en terme de changements et risques physiques, d’abandonner l’enfant qu’on vient de porter volontairement, si ce n’est par nécessité économique ou pression sociale extrême ?

D’un autre côté la volonté de certains d’obtenir un « cadre législatif favorable à la reconnaissance de la GPA faite dans les pays tiers » n’est-il pas là une forme d’hypocrisie absolue ? Ainsi on convient que la GPA pratiquée en France serait une atteinte à la dignité humaine, mais exploiter des femmes dans des pays tiers qui ne parlent pas notre langue et n’ont pas les mêmes ressources économiques serait tolérable ? A l’inverse, le refus de la pratique de la GPA n’est pas forcément guidé par des convictions religieuses, homophobes ou anti progrès scientifique mais bien sur cette question du refus d’une société où la loi de la jungle prévaut, où avoir de l’argent permet tout. La diffusion d’un véritable argumentaire féministe et de gauche à la GPA se pose et a été développé ces dernières années notamment par des associations comme la CIAMS[5] (Coalition Internationale contre la maternité de substitutions) qui demande un cadre législatif international pour interdire cette pratique.

Au fond la question est bien celle du choix de société qui nous est posé. « L’être humain ne saurait être cédé, vendu ou échangé. Faire de la grossesse et de l’accouchement un service rémunéré est la plus formidable violence faite aux femmes depuis l’époque de l’esclavage. » écrit Eliette Abécassis dans son ouvrage « Bébés à vendre »[6]. Autrement dit le bonheur de quelques-uns ne peut pas justifier la mise en servitude d’autres personnes, fussent-elles « consentantes ». Promouvoir une société d’émancipation pour tout un chacun où le corps ne sera plus considéré comme une marchandise, c’est au contraire participer à la réhumanisation du monde, et rompre pour cela avec les logiques capitalistes destructrices pour l’être humain et la société.