Panser la santé mondiale, Points de vue du SUD ( Alternative Sud, vol. 29-2022/3, Editions Syllepse).

Note de lecture N°1

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Depuis 1993, le Centre Tricontinental (CETRI), association basée en Belgique, fondée par François Houtard, associée aux éditions françaises SYLLEPSE, nous propose trimestriellement l’excellente revue Alternative Sud avec des points de vue du Sud sur des dimensions cruciales de la mondialisation, du développement et des rapports Nord-Sud : analyses critiques et alternatives. Un regard riche en sujets divers, dont les questions de santé et de protection sociale ont fait l’objet de plusieurs opus.

Après avoir évoquer en 2021, les besoins de Transformer notre Système alimentaire ou, en 2014, la Protection sociale au Sud, Point de vue du SUD nous propose de « Panser la santé mondiale », en ce mois de juillet 2022. La pandémie, en France comme dans le monde, a sans nul doute mis en avant et renforcé ce que nous savions déjà de la crise de notre système de santé miné par le capitalisme. Et, comme nous l’évoquons régulièrement, la recherche du profit dans ce domaine, ne peut se faire qu’au prix de profondes inégalités sociales, économiques et sanitaires partout dans le monde. Evangelina Martich en parle très bien dans sa contribution à cette nouvelle édition qui rappelle combien cette crise de la COVID-19 est marquée par l’importance et la fragilité des systèmes sanitaires nationaux et internationaux.

Comme le dit Cédric Leterme, dans son éditorial, si de manière indéniable des progrès ont été faits en matière de santé, leur accès universel est encore loin d’être une réalité pour les pays et les catégories de population les plus pauvres de la planète. Pour lui, est « en cause, un manque évident de personnel et de moyens sanitaires, mais aussi une vision trop souvent « humanitaire » de la santé qui en ignore les déterminants sociaux, politiques et économiques ».Il rappelle dans cette introduction à l’ouvrage, que Frédéric Thomas du Centre tricontinental (CETRI) expliquait quant à lui, en 2020, que « la pandémie du covid-19 agit comme un miroir de la globalisation. (…) mais que très vite, (la vision) s’est déchirée pour laisser apparaître les inégalités – territoriales et ethniques, de genre et de classe –, dont le virus est à la fois un révélateur et un catalyseur. Or, ces inégalités se déclinent et se reconfigurent également selon un axe Nord-Sud » (Thomas, 2020).

En matière de santé, Mauricio Lima Barreto souligne dans cet Alternatives Sud que, malgré une évolution positive des indicateurs d’ensemble ces dernières décennies, les inégalités restent nombreuses et massives, à la fois au sein et entre les pays. Toujours selon Barreto, deux éléments en particulier structurent les inégalités dans le domaine de la santé : les inégalités face au risque de maladie et les inégalités dans l’accès aux soins de santé. Ainsi, naître pauvre, a fortiori dans une région ou un pays pauvre, vous expose ainsi à des risques sanitaires plus nombreux et plus variés. Plus largement, Jimoh Amzat et Oliver Razum relèvent que « de nombreux pays du Sud (en particulier l’Afrique subsaharienne) sont encore confrontés aux risques traditionnels des maladies infectieuses, en grande partie à cause des conditions de vie liées à la pauvreté et aux infrastructures inadéquates, telles que l’approvisionnement en eau et en électricité » (2022).

De là à considérer que les maladies infectieuses sont uniquement des maladies « de la pauvreté et du sous-développement » (Amzat & Razum, 2022), tandis que les maladies non transmissibles seraient des maladies de pays riches liées à un style de vie opulent, il y a toutefois un pas que les auteurs se gardent de franchir. En effet, la pandémie de covid-19 nous rappelle à quel point le monde entier reste vulnérable face à l’apparition de nouvelles maladies infectieuses, dont les zoonoses qui constituent une proportion croissante et dont la fréquence est appelée à croître, compte tenu de l’empreinte toujours plus grande que l’activité humaine exerce sur les milieux sauvages et naturels (Malm, 2020), mais aussi en raison des conséquences sanitaires désastreuses de l’élevage industriel (GRAIN, dans cet Alternatives Sud ; Wallace, 2016). Et comme cela ne suffit pas, Genviève Gencianos souligne dans cet Alternatives Sud que, « déjà en proie à une pénurie de travailleurs de la santé, les pays en développement perdent leur personnel sanitaire en raison de l’émigration. » alors que ceux du Nord peuvent compenser leur propre pénurie « en attirant de plus en plus de migrants qualifiés, en payant des salaires bas, avec de moins bonnes conditions de travail et moins de protections légales ». Un processus qui « affecte négativement les systèmes de santé dans le monde » et que la pandémie a contribué à aggraver. Des contributeurs de cette édition insistent sur le fait que ces inégalités d’accès à la santé sont liées aux inégalités institutionnelles et politiques, à la conception qu’on a de la santé comme un droit des citoyens ou comme un programme de protection dans des domaines spécifiques, dépendant des capacités contributives de chacun.

Mais, la pandémie, au travers de la problématique des vaccins, pour accéder à la santé, pose la question de la recherche et de la production, comme en témoigne la lutte autour des brevets, appropriation trop souvent d’une poignée de multinationales du Nord, pour répondre aux « besoins » de santé … du Nord. Face à ses injustices, nous sommes appelés à une « décolonisation de la santé mondiale », et comme nous le voyons dans un des articles de ce Cahier, nous avons devoir à élaborer d’authentiques politiques publiques sanitaires mondiales pour qu’un autre monde soit possible !

Vous l’aurez compris, un livre à se procurer d’urgence pour sortir des logiques marchandes dans lesquelles le libéralisme veut enfermer la santé.