Résumé :
L’auteur, spécialiste des urgences donne son témoignage : il souligne que la qualité de la prise en charge des malades apaise leur éventuelle demande d’en finir radicalement et que la Loi Claeys-Leonetti répondrait aux besoins si les moyens matériels et de formation étaient à la hauteur des attentes. En particulier il montre l’intérêt de la prise en charge des dépressifs. Encourager le suicide et l’euthanasie serait un recul de civilisation. Mais aujourd’hui il partage le fait qu’il est souhaitable de faire évoluer la loi s’il s’agit d’alléger les souffrances de malades dont la mort est imminente et la souffrance physique ou psychique n’est plus humainement gérable.
Abstract :
The author, an emergency specialist, gives his testimony: he stresses that the quality of care for patients appeases their possible request to end it radically and that the Claeys-Leonetti Law would meet the needs if the material and training resources were up to expectations. In particular, it shows the interest of taking care of depressives. To encourage suicide and euthanasia would be a setback for civilization. But today he shares the fact that it is desirable to change the law if it is a question of alleviating the suffering of patients whose death is imminent and the physical or psychological suffering is no longer humanly manageable.
Le débat sur la fin de vie, l’euthanasie ou le suicide assisté, est certes un débat philosophique, mais je souhaite ici évoquer aussi un aspect plus pratique, celui que je vis comme soignant auprès des patients.
Nous sommes en fait peu confrontés à la demande de mettre fin à ses jours sur la totalité des patients que nous voyons. Pour l’essentiel des cas, il s’agit de patients qui souffrent physiquement et pour lesquels nous n’apportons pas de réponse suffisante, ou de patients qui craignent d’être un fardeau pour l’entourage familial.
Nous sommes nombreux à avoir fait l’expérience de patients demandant une aide à mourir, qui quelques jours après l’hospitalisation en soins palliatifs ne souhaitaient plus mettre fin à leurs jours.
Cela pose la question en premier lieu de la réponse que nous apportons aux souffrances physiques et morales du patient. Le débat sur la fin de vie ne peut faire l’impasse sur cette question. Bien souvent, c’est l’absence de moyens en soins, qui entraîne un patient à se poser la question d’une aide active au décès.
Par ailleurs le débat porte aussi sur l’aide active à mourir en cas de souffrance psychique. Nous arrivons ici à un point très dangereux du débat, pour une partie de ces patients, la souffrance psychique est liée à une maladie psychiatrique, la plus courante étant un syndrome dépressif.
Un des grands progrès humain du siècle passé et du notre est la prise en charge médicale de la maladie mentale. Nous recevons régulièrement aux urgences des patients ayant fait une tentative de suicide qui après une prise en charge adaptée, reviennent à leur vie. Répondre à ces pathologies par un recours au suicide assisté ou à l’euthanasie, serait une régression inhumaine et à l’encontre des valeurs construites dans la communauté soignante. Pour d’autres patients en souffrance psychique, c’est parfois leur situation sociale qui explique leur souffrance ; isolement, vieillissement, sensation de déclassement, harcèlement au travail, sentiment d’inutilité sociale, chômage… etc. Avec l’affaissement des services publics de proximité et la désertification médicale, cette problématique se retrouve régulièrement aux urgences des hôpitaux. Ces patients appellent d’abord à l’aide et expriment parfois la volonté d’en finir. Si pour les idéologues libéraux, ces situations, relèvent de la responsabilité individuelle, je pense qu’elle relève d’un problème de société et de recul constant depuis des dizaines d’années des logiques de solidarité. Répondre à cette mal-vie par le suicide assisté ou l’euthanasie s’apparenterait à un véritable darwinisme social, à la logique libertarienne poussée jusqu’à sa conclusion barbare.
Nous avons une loi, la loi Claeys-Leonetti qui répond déjà à la plupart des situations, c’est un trésor national, mais son application est complexe. Tout d’abord parce que les patients la connaissent peu ou mal, mais également parce que les soignants aussi la connaissent peu ou mal. Si une personne de confiance est fréquemment désignée, les directives anticipées sont très rarement rédigées. Et quand nous arrivons à un point fondamental de cette loi, la sédation profonde continue, (c’est-à-dire la possibilité d’être placé dans un coma en cas de décès imminent quand les conditions de vie ne sont plus supportables) l’application de la loi est anecdotique. Il y a bien sûr la réticence des soignants, bien plus formés à guérir qu’à accompagner, mais également les conditions matérielles de la mise en place de cette sédation profonde. La sédation profonde demande une surveillance régulière, ne serait-ce que pour que le patient ne se réveille pas. Ces conditions matérielles sont peu présentes dans les services classiques d’hospitalisation manquant de personnel et très complexes à domicile. Cette sédation profonde se fait finalement plus facilement dans des unités de soins continus dont ce n’est absolument pas le rôle.
Quant à placer les patients dans les unités de soins palliatifs, nous sommes vite confrontés au problème du manque de place, de la liste d’attente. Ces unités devraient pourtant être le cœur de la prise en charge des derniers moments de la vie. Dans un contexte de pénurie médicale et de restrictions budgétaires pour la santé, l’aide active à mourir peut devenir une réponse pratique mais inhumaine à ces choix politiques libéraux.
Pour autant, même dans un monde parfait et avec une politique de santé progressiste, il va rester quelques cas insolubles avec les moyens et les lois dont nous disposons. Le cas de Vincent Humbert est emblématique de ces situations d’exception. Ce qu’a vécu ce jeune homme justifie à mon sens le recours à l’aide médicale au décès dans certaines situations.
Il pourrait être imaginable de créer des comités départementaux regroupant des professionnels, des usagers, des élus, des associations, qui auraient vocation à étudier ces demandes exceptionnelles et à y répondre. Cela permettrait d’éviter de faire reposer une éventuelle décision d’assistance médicale au décès sur un ou plusieurs professionnels confrontés à un choix éthique douloureux.
Longtemps j’ai eu une opposition de principe à l’assistance au décès, et puis on se confronte à des réalités complexes au long de sa vie et on évolue. Aujourd’hui je partage le fait qu’il est souhaitable de faire évoluer la loi s’il s’agit d’alléger les souffrances de malades dont la mort est imminente et la souffrance physique ou psychique n’est plus humainement gérable. En revanche, je pense qu’il faut combattre l’opinion à la mode qui étendrait la possibilité d’euthanasie ou de suicide assisté à un autre public, non confronté à la mort imminente, au nom de la liberté individuelle, c’est nier que nous faisons société. Traiter la mal-vie, l’isolement, la vieillesse, voire la difficulté sociale par le recours à la mort ne serait pas un progrès mais une régression de toute la société et un refus de rechercher d’autres solutions progressistes.