L’auteur présente le nouveau rapport Libault qui devait proposer un nouveau service territorial de l’autonomie. Déception ! En fait il s’agit d’une simple proposition d’un service informatique mettant en lien les différents personnels publics ou privés travaillant sur ces prises en charge sans aucun financement. L’auteur avance des propositions concrètes à la fois d’ordre éthique et financier pour répondre véritablement aux besoins des personnes âgées.
Abstract : The author presents the new Libault report which proposes a new territorial autonomy service. Disappointment ! In fact, it is a simple proposal from an IT department linking the various public or private personnel working on these treatments without any funding. The author puts forward concrete proposals both ethical and financial in order to truly meet the needs of the elderly.
Celles et ceux qui ont vu passer l’annonce de la remise du nouveau rapport de D. Libault intitulé “Vers un service public territorial de l’autonomie“ ont peut être eu quelques secondes d’espoir : « Enfin, un service public ! On va arrêter de laisser nos personnes âgées la proie des prédateurs comme ORPEA ! Les parents d’enfants handicapés vont enfin trouver des solutions à leurs difficultés ! » Que nenni !
Dominique Libault, conseiller dÉtat, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale et ancien directeur de la Sécurité sociale, a sans doute voulu frapper les esprits avec le titre de son rapport alors qu’il ne fait que répondre aux demandes très limitées de sa lettre de mission :
– une méthode de généralisation d’un point d’entrée clairement identifié pour les personnes en perte d’autonomie
– la conduite d’une mission de formalisation de la bonne articulation entre les dispositifs de coordination des professionnels de santé et les dispositifs d’accompagnement de la personne âgée
– la création et l’animation d’un comité national « autonomie et parcours de soins »
Le vide abyssale des propositions n’a d’égal que leur caractère technocratique et antidémocratique et ce n’est pas la référence à Jaurès dans l’introduction qui en change le contenu : le titre est une véritable provocation par rapport à une conception progressiste de la notion de service public.
Nous envisagerons successivement les propositions de ce rapport, les présupposés idéologiques avant de donner quelques éléments sur ce que devrait être un vrai service public de l’autonomie.
Les propositions du rapport
Le constat est juste, mais très incomplet : certes comme le dit le titre de la première partie, illustré en annexe par des témoignages, « les Français se considèrent mal accompagnés dans un système complexe ». Mais deux éléments fondamentaux ne sont pas pris en compte dans ce constat :
– le manque criant des services nécessaires, que ce soit le manque d’AESH (accompagnant d’élève en situation de handicap) pour les enfants handicapés scolarisés, les délais d’attentes pour accéder à une place en hébergement, à une consultation spécialisée …. d’ophtalmo par exemple !
– la modicité des aides financières qui freine le recours à un service d’aide à domicile ou à une entrée en EHPAD quand elle est nécessaire.
La proposition phare est donc la mise en place d’un service public territorial de l’autonomie (SPTA). Le rapport ne lésine pas sur l’aspect communication, puisque ce service public serait « piloté par le service rendu aux personnes vulnérables ». Ce service public serait en fait un guichet unique pour les usagers et les professionnels de santé, du social, du médico-social et les acteurs des politiques publiques, leur permettant d’avoir « un interlocuteur d’un service clairement identifié qui, grâce aux liens avec les autres professionnels, lui permettront de bénéficier d’un accompagnement continu et coordonné ».
Il aura quatre missions obligatoires (et pourra en remplir d’autres) :
– L’accueil, l’information, l’orientation et la mise en relation
– L’instruction, la délivrance et la réévaluation des aides et des prestations (sans pour autant en retirer la prérogative aux acteurs qui les attribuent actuellement)
– L’appui aux solutions concrètes, comme par exemple, trouver une place d’accueil temporaire pour organiser un temps de répit pour l’aidant
– Les actions de prévention, de repérage et d’« aller-vers »
Bien sûr, ce service public s’appuiera sur un système d’information (SI) s’aidant de celui actuel des MDPH, mettra en place les conditions d’une évaluation prenant en compte globalement la situation de la personne et devra aider au développement des innovations des professionnels pour l’accompagnement de l’autonomie. On retrouve tous les mots clés de la novlangue : SI, évaluation, innovation …et évidemment, il s’agit de favoriser une « démarche participative de la personne et des acteurs ».
Pour garantir la réussite de ce SPTA, D. Libault propose un cahier des charges national, l’intégration d’un maximum de professionnels de terrain et d’acteurs institutionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social, le rapprochement des modes d’accompagnement des personnes âgées ou en situation de handicap. Le financement n’est pas oublié : 70 M € pour la mise en place et 70 M€ pour la formation des acteurs. Dans cette partie est déjà évoquée la légitimations des délégations départementales des ARS dans le pilotage des politiques de l’autonomie et du SPTA, aux côtés du conseil départemental. C’est un point fort de la troisième partie du rapport, intitulée « Décloisonner la gouvernance de la politique de l’autonomie au profit du renforcement de la continuité des parcours des personnes âgées et des personnes en situation de handicap ». Cette gouvernance s’organiserait dans les départements autour de la mise en place d’une conférence territoriale de l’autonomie (COTEA) avec une instance politique dont le président serait le président du conseil départemental et le vice-président le directeur général de l’ARS ou son représentant dans le département et une instance de pilotage opérationnel. Au niveau national, il s’agit d’installer la CNSA dans son rôle de pilote du déploiement du SPTA. La quatrième et dernière partie du rapport propose rien moins que d’anticiper les évolutions législatives nécessaires en démarrant des travaux préparatoires au déploiement opérationnel du SPTA pour pouvoir assurer son déploiement généralisé dans les deux ans suivant la publication de la loi.
Le contenu idéologique
Son précédent rapport nous avait préparé à l’arrivée de la cinquième branche, un cheval de Troie pour la Sécurité sociale, alors qu’il fallait surtout donner des moyens financiers supplémentaires à l’Assurance maladie pour prendre en charge la perte d’autonomie. Notons avec amusement cette phrase du rapport : « La création de la cinquième branche de Sécurité sociale gérant le risque autonomie traduit une vision plus unifiée du financement de ce risque. ». Précisément cette cinquième branche déstructure un peu plus une prise en charge unifiée de la santé au sens global que lui donne l’OMS et qui comprend évidemment aussi la lutte pour l’autonomie !
Que nous annonce ce rapport ? Son envergure est certes bien moindre mais quelques points méritent d’être soulignés :
– le total brouillage sur la notion de service public
– le fichage des individus
– une atteinte démocratique, avec le renforcement du rôle des ARS par rapport à celui des conseils départementaux
Ce service public est totalement virtuel ! Le financement en est le témoignage le plus frappant : un financement pour la mise en place et pour la formation des acteurs, rien pour le fonctionnement ! Il s’agit en fait d’apprendre aux différents intervenants, publics ou privés, du sanitaire et du social à travailler ensemble en les dotant d’un outil informatique de mise en commun. Mais rien ne garantit que les « bénéficiaires » n’enrichiront pas une société privée en recourant à un service d’aide à domicile par exemple, ni même que leur interlocuteur privilégié ne soit dénué de tout conflit d’intérêt : il n’appartiendra pas à la fonction publique (sauf cas particulier) mais à une des structures du territoire de statut variable. Il s’agit en fait simplement de donner un cadre en trompe l’oeil pour confier la perte d’autonomie à toutes les sociétés privées qui lorgnent sur l’or gris. Notons par ailleurs que la volonté de décloisonner le sanitaire et le social, évidemment nécessaire, ne réglera rien à moyens humains constants !
L’État se dédouane ainsi totalement de son rôle pour garantir une véritable prise en charge, tout cela sous couvert de la mise en place d’un « système d’information ». C’est la construction concrète, digne des dystopies d’auteurs comme Aldous Huxley, où les bits de l’ordinateur décident pour l’humain. Parcoursup nous a montré comment de tels dispositifs peuvent trier et discriminer ! Quelle garantie avons-nous que ce système ne privilégiera pas le recours aux structures privées ? Et quelles assurances pour les libertés individuelles en s’adressant à des personnes, pouvant, dans certains cas, moins que d’autres vérifier l’utilisation de leurs données personnelles : un mauvais contact la première fois et la personne est étiquetée par exemple « ayant des demandes démesurées » sans recours ! Ce commentaire acerbe ne veut pas méconnaître tout l’apport des technologies nouvelles, si intéressantes, quand elles sont utilisées démocratiquement.
Car sur la démocratie, chapeau bas devant la multiplicité des attaques ! Déjà il s’agit d’anticiper la mise en place avant le vote d’une loi. Quel respect pour la représentation nationale ! Ensuite, il s’agit de chapeauter l’action des conseils départementaux par l’ARS. Certes la décentralisation des politiques sociales pose des questions d’égalité selon les territoires, mais renforcer le lien avec ces structures antidémocratiques que sont les ARS ne donnera pas plus de moyens aux départements et c’est souvent leur principale difficulté ! Et puis cette chose extraordinaire : le schéma territorial du SPTA sera approuvé par la COTEA où les différents représentants n’auraient pas besoin de l’avis de leur instance. En clair, le président du conseil départemental pourrait approuver, sans même que le conseil départemental n’ait à en discuter ! Enfin, la place des usagers, des représentants des personnels et même des élus y est étouffée par la place des administrations.
Quelles propositions ?
A contrario de la création de la cinquième branche, ce rapport montre les liens nécessaires entre les soins et la prise en charge de l’autonomie ! A défaut de revenir immédiatement sur cette création, il faudrait au moins en démocratiser le fonctionnement et lui donner les moyens financiers de l’ambition affichée : les propositions sont connues comportant l’augmentation des cotisations patronales, modulées selon les politiques d’emploi et environnementales des entreprises, et la création d’une cotisation sur les revenus financiers des entreprises. Favoriser l’autonomie par le service public, c’est déjà développer les services publics existants, comme les transports, en relocaliser dans la proximité, comme La Poste, faciliter l’accès à la culture … C’est en créer de nouveaux, pour le logement par exemple, car on ne peut laisser au privé le soin de construire des logements accessibles (la loi est si minimale!) ni de les adapter. Seule la création d’un service public de santé de proximité, en s’appuyant sur les centres de santé existants est de nature à répondre à l’enjeu de l’accès aux soins sur tout le territoire et au besoin de travail en équipe. Cela faciliterait bien plus les liens avec les secteurs du médico-social et du social que la boite noire d’un système d’information.
Enfin, il faut en finir avec le développement d’EHPAD privés, comme l’a montré le scandale Orpéa et créer un véritable service public d’aide à domicile, un secteur où se développent de plus en plus des officines privées faisant leur beurre sur le dos de leurs personnels, des bénéficiaires et de l’argent public des conseils généraux ou de la Sécurité sociale. Il y a urgence pour les salariés – et ce service public devra veiller à leurs conditions de travail, à leur formation et leur assurer la reconnaissance salariale méritée – et urgence pour les personnes âgées et en situation de handicap trop souvent obligées de recourir à des aidants familiaux, faute de ressources financières ou tout simplement de moyens humains dans les associations d’aide à domicile, vu la manière dont sont traités les personnels par des directions coincées par la maigreur des financements. L’ensemble devrait être coordonné par un pôle public départemental de l’autonomie géré démocratiquement par les représentants des personnels, des élus et des usagers. La complexité de la gouvernance actuelle entre les conseils départementaux d’un côté et l’État et la CNSA de l’autre nécessite de fait une nouvelle façon de faire.
Quelques principes pourraient être retenus :
– L’égalité républicaine doit être assurée par des textes législatifs et réglementaires et également par des moyens financiers : toute obligation nouvelle décidée nationalement ayant des impacts sur le financement devra être accompagnée de moyens nouveaux pour les départements.
– Un sursaut démocratique est nécessaire à ce niveau, que ce soit par le respect du Parlement ou par la transformation de la gouvernance de la CNSA, pour redonner la place légitime aux organisations syndicales, représentantes des salariés qui créent les richesses de la CNSA mais aussi mieux associer les représentants des usagers, des élus et des personnels de l’autonomie.
– C’est au département d’assurer la mise en œuvre d’un pôle public de l’autonomie, d’un service public d’aide à domicile, de garantir l’existence sur son territoire d’EHPAD publics … Encadré par la loi et doté des moyens financiers nécessaires, il peut organiser un service public répondant véritablement aux besoins grâce à sa proximité avec les usagers et personnels. Cela se ferait en lien avec une organisation territoriale des soins décidée par une structure démocratique remplaçant les ARS.