Résumé :
La question de la réussite en première année des études de santé et celle de la réorientation en cas d’échec soulève bon nombre de questions. Cet article met le focus sur les enjeux d’un dispositif construit dans une université pour répondre à l’obligation de réorientation, inscrite dans la loi, suite à un échec en Première année commune des études de santé (PACES ).
Abstract :
The question of success in the first year of health studies and that of reorientation in case of failure raises many questions. This article focuses on the stakes of a device built in a university to meet the obligation of reorientation, enshrined in the law, following a failure in the First common year of health studies
Un contexte de réformes
Les études de santé sont régulièrement l’objet de réformes. Cette recherche, menée dans le cadre d’une thèse, s’inscrit dans « le temps des concours »[1] ; elle s’étend d’une réforme à une autre. La PACES (Loi n° 2009-833 du 7 juillet 2009 portant création d’une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants. A noter que la PACES démarre la réforme du premier cycle (R1C). Suivront les réformes du deuxième et du troisième cycle) a remplacé la première année du premier cycle des études médicales (PCEM1) en septembre 2010. Dans le même temps, les autres formations de santé (bac +3 à bac +5) ont subi une « réingénierie » avec une adaptation progressive au schéma Licence Master Doctorat, suite au processus de Bologne, contribuant à une « universitarisation » des formations paramédicales. Puis, la mise en place de la plateforme Parcoursup, en 2018, a mis fin aux concours d’entrée pour les études paramédicales (30 ans : 1985-2018). Et enfin, à la rentrée 2020, la PACES a été remplacée par le PASS « Parcours spécifique accès santé » et par les L.AS, licences à mineure santé, qui donnent accès aux études MMOP (médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie). La recherche d’alternatives et les expérimentations menées pendant les années PACES aboutissent alors à « la suppression du numerus clausus », transformé en numerus apertus[2].
La réforme de la PACES avait été initiée pour tenter de mettre fin au « gâchis humain » induit par le numerus clausus en vigueur depuis 1971. Précédemment avec le PCEM1, les étudiants rencontraientun taux d’échec conséquent avec parfois un redoublement sans réelle équivalence possible ce qui représentait aussi une perte de temps. Cette réforme a souvent été qualifiée de « mauvaise réforme » faite « à moyens constants ».
La mise en place de la PACES a conduit à plusieurs changements :
- une refontedu curriculum qui a contribué à maintenir un niveau sélectif et élitiste ;
- le regroupement de la première année de Pharmacie avec Médecine, Maïeutique et Odontologie augmentant mathématiquement le volume des promotions de première année et les soucis logistiques et pédagogiques qui en découlaient;
- la réorientation avec un caractère obligatoire pour les étudiants classés dans les derniers 15% à l’issue des épreuves du premier semestre et ceux classés au-delà de 2,5 fois le numerus clausus à la fin de l’année.
Le principe de non sélection à l’entrée de l’université[3] permettait à de nombreux lycéens de s’inscrire en première année des études de santé (50 à 60 000 chaque année en France pendant cette recherche). Ce principe conjugué à la fermeture de la deuxième année par le numerus clausus a fait que, seuls 15 à 20 % des étudiants de première année poursuivaient leur cursus. L’instrument Numerus clausus réalisait la barrière de l’accès aux études et au champ médical. La réforme de la PACES en 2010 n’a rien changé : elle a maintenu un effet de démocratisation apparente en laissant s’inscrire tous les lycéens désirant « faire médecine ». Mais elle devait apporter des solutions en instituant la réorientation à la fin du premier puis du second semestre et en prévoyant des passerelles[4].Cela revenait à opérer un premier tri en cours d’année sans pratiquer de sélection à l’entrée à l’université : les étudiants les plus faibles se sont retrouvés exclus au bout de quatre mois, au milieu de l’année universitaire. Cela nécessitait d’organiser la gestion des flux d’étudiants sortant de la formation médicale.
Projet global et dispositif spécifiquement conçu pour la réorientation
Le projet global prévoyait l’implication de toutes les composantes. C’était une procédure large présentée lors des journées de réorientation afin de donner aux étudiants ajournés la possibilité de se réorienter, au choix, dans les autres filières de l’Université, les IUT, dans des BTS ou des formations paramédicales.
Ces formations paramédicales sont soumises au système de quota ou d’autorisation de capacité, ainsi chaque institut de formation ne peut accepter qu’un nombre limité d’étudiants entrant en première année. Jusqu’à Parcoursup, l’entrée se faisait sous la forme « d’épreuves de sélection » fréquemment appelées « concours d’entrée ». Comme ceux-ci se déroulaient en avril et mai, il restait un temps suffisant pour envisager un accompagnement à la préparation aux concours pour les étudiants intéressés.
C’est une équipe restreinte, composée de responsables universitaires des UFR de médecine et de pharmacie ainsi que de la coordination des instituts de formation du Centre Hospitalier et Universitaire, qui s’est emparée du projet. Ils cumulaient un pouvoir de décision, une vision d’ensemble et le pouvoir agir. Leur constat, basé sur les années antérieures, était qu’un certain nombre d’étudiants ne décrochant pas leur entrée en deuxième année se réinscrivaient ensuite dans une autre formation en santé et que ces formations recrutaient elles aussi sur concours. Ils ont donc eu l’idée de monter un dispositif spécifique qui fait le lien, au second semestre, entre l’université et les instituts de formation recrutant sur concours. En s’intégrant dans la procédure globale de réorientation, ce dispositif s’articulait à l’existant, objet complémentaire dans l’offre de formation.
Au moment de sa conception, le dispositifs’appelait « parcours d’aide à la préparation des concours paramédicaux ». Ce n’était pas une année préparatoire puisque les étudiants suivaient d’abord le premier semestre de PACES. Au second semestre, ilsrestaient inscrits et hébergés à l’UFR de médecine et de pharmacie : ainsi ils conservaient leur statut étudiant ainsi que leurs droits à bourse pour ceux qui en bénéficiaient. Enfin, ils n’avaient pas à engager de nouveaux frais de scolarité à l’inverse des cours préparatoires privés.
Ce parcours s’étalait sur 12 semaines environ, entre janvier et avril, à raison de quatre matinées par semaine. Le contenu se composait de matières scientifiques (Biologie, Physique, Chimie), d’expression écrite et d’entrainement aux oraux de sélection, d’une initiation à la santé publique et d’un renforcement en notions fondamentales de calcul scientifique. Ceci était complété par une information sur toutes les professions de santé accessibles après le Bac, les modes d’exercice, les conditions d’admission et de formation, assurée par un binôme formateur – professionnel en exercice.
En résumé, les principes à l’œuvre pour ce parcours étaient d’aider les étudiants à réussir leur réorientation vers un métier de la santé qui ne nécessite pas de réussir en PACES, de proposer une information éclairée sur les autres formations en santé, puis la possibilité de préparer les concours paramédicaux avec un encadrement pédagogique sur un temps court, dans un principe général de service public et de gratuité. Au-delà de ces intentions manifestes, la gestion de ce flux étudiant révèle-t-elle la volonté de rediriger les candidats vers l’offre de formation disponible ou en devenir?
Au-delà du projet, des stratégies hospitalo-universitaires pour l’avenir des formations
La fonction première du dispositif était de permettre aux étudiants de bâtir un nouveau projet de formation vers un métier paramédical pour ceux qui désiraient « rester dans le domaine de la santé ». La fonction sociale du dispositif s’inscrivait dans le cadre plus large de la responsabilité des universités et de la lutte contre l’échec en première année universitaire. Avec la fin des concours paramédicaux, on aurait pu penser que ce néo-dispositif fléché vers les formations paramédicalesaurait été abandonné. Au contraire, ce parcours a été maintenu année après année jusqu’à présent.
Le dispositif d’accompagnement est maintenant un diplôme universitaire (DU) au sein d’un semestre Tremplin. Il propose une consolidation des acquis, une préparation du dossier pour Parcoursup, de la lettre de motivation et de l’entretien avant d’intégrer la formation paramédicale et une période de stage. Il conserve un temps d’information sur les métiers en santé et ilest ouvert à tous les étudiants de première année de licence qui souhaitent changer d’orientation après les résultats du S1. L’offre générale de réorientation a donc englobé le parcours créé à l’origine pour la PACES.
Il faut bien reconnaitre qu’il existe des enjeux plus conséquents. L’intérêt de l’institution hospitalo-universitaire et de ses agents à organiser le flux des étudiants sortant de la première année des études de santé révèle une autre fonction sociale à ce dispositif : celle d’assurer la répartition des professionnels de santé dans la division du travail médical et le renouvellement du personnel paramédical, y compris dans les secteurs en tension. Les besoins en professionnels de santé restent importants surtout qu’il existe depuis plusieurs années un phénomène d’abandon en cours d’étude après l’entrée en formation, par exemple en IFSI[5].
Les modifications en cours du système des formations en santé représentent des enjeux tout aussi importants. Outre la réforme des premier, deuxième et troisième cycles des études médicales, la première année des études de santé (PASS ou LAS) regroupe désormais les candidats aux formations de médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie (MMOPK). De plus, l’offre de formation en santé se diversifie et s’élargit.
L’intégration des formations paramédicales à l’université, appelée aussi « universitarisation », est également une modification importante. Elle a d’abord commencé par une réingénierie des formations sur le modèle de la formation par compétences. Les étudiants infirmiers ont été les premiers en 2009. Les curricula modifiés et le conventionnement avec une université disposant d’une composante Santé ont autorisé la délivrance d’un grade universitaire (grade licence pour les formations en 3 ans : infirmiers ; grade master pour les formations en 5 ans : sage-femme, kinésithérapeute) en même temps que le Diplôme d’Etat qui permet l’exercice professionnel. Enfin, la création de trois nouvelles sections (90 Maïeutique ; 91 Sciences de la rééducation-réadaptation ; 92 Sciences infirmières) au sein du « Conseil national des universités pour les disciplines de santé » et la volonté de structuration de filières d’enseignants-chercheurs marquent l’avancée de l’intégration universitaire de ces formations en santé. La création encore récente des sections CNU paramédicales et le début des campagnes de qualification en 2020 laissent néanmoins deviner que le processus est en cours. Des difficultés restent à surmonter, les transformations avancent lentement et le bilan est mitigé[6].
Les réalisations d’intégration universitaire sont soumises aux stratégies hospitalo-universitaires et territoriales ce qui détermine trois formes principales :
- L’intégration pédagogique qui repose sur une convention entre trois parties : les instituts de formation, l’université ayant une composante santé et la Région, en charge des questions d’enseignement supérieur. Cette convention détermine les conditions de la participation de chacun aux enseignements, au financement, à la mise à disposition des étudiants des outils et des services, par exemple universitaires, etc… Elle permet l’articulation entre le diplôme universitaire et le diplôme d’exercice ou professionnel. Cette forme a été la première et la plus usitée.
- L’intégration fonctionnelle est une forme plus aboutie. Elle regroupe les instituts de formation au sein de l’université sous la forme d’un « département universitaire » ou d’un « institut universitaire ». Celui-ci pilote la coordination des enseignements et de l’évaluation ainsi que la prospective pour la pédagogie innovante et les projets de recherche, mais les instituts gardent leur forme juridique.
- L’intégration organique est la plus complète. Elle se fait par transfert des instituts vers l’université et constitue une modification structurelle des instituts, y compris de leur personnalité juridique. C’est aussi la forme la plus complexe à réaliser et qui pose de nombreuses questions en matière de budget, de ressources humaines et de patrimoine immobilier.
Au niveau national, chacune des UFR est mobilisée pour le développement d’Université de santé ou de « Campus santé » qui permettent le regroupement des formations en santé au sein d’UFR santé ou « UFR des sciences médicales et paramédicales ». Ces projets comportent une dimension immobilière qui passe éventuellement par la construction de locaux récents, fonctionnels capables de répondre aux exigences des évolutions pédagogiqueset qui puissent à la fois accueillir des promotions conséquentes comme des groupes plus restreints, futurs médecins ou futurs paramédicaux. Une autre dimension est celle de l’innovation pédagogique avec le développement des technologies innovantes (simulation en santé, université numérique, etc.) pour la formation initiale et continue des professionnels de santé, ou encore la dimension recherche, y compris le développement de la recherche paramédicale et l’intégration des laboratoires de recherche. Un parcours de réorientation a sa place dans la construction d’un système intégré de formations en santé, ouvert sur les transformations pédagogiques à venir et qui tente de développer la pluri professionnalité du travail dans le système de santé dès la formation. La captation de nouveaux publics, mais aussi ceux issus de la réorientation, permet de s’engager dans la création de nouveaux cursus universitaires en proposant une offre de formation variée, complète et mutualisée permettant des diplomations sur le schéma LMD dans le champ de la santé (nouveaux masters, ingénierie en santé, pratique avancée et métiers en santé de niveau intermédiaire, doctorat et recherche…). Toutefois, si l’accession à l’Université des formations paramédicales, dites professionnelles, peut paraître séduisante, il reste à être vigilant quant aux places, rôles, statuts et pouvoirs de décision qui seront dévolus aux responsables et personnels paramédicaux dans la gouvernance d’un tel système intégré.