Charles Louis Müller (1815-1892), Le psychiatre français Philippe Pinel (1745-1826) libère des fous de leurs chaînes à l'asile Bicêtre à Paris (CC BY-SA 3.0, Double Vigie)

Psychiatrie sinistrée: les fausses bonnes mesures du PS

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Résumé :
L’auteur présente ici une analyse des propositions de la Fondation Jean Jaurès face au sinistre actuel de la psychiatrie. Il reproche à la fondation de ne pas prendre en compte une politique de secteur et de laisser le champ libre à une psychiatrie réduite limitée aux cas critiques et renvoyant les patients sur vers le libéral qui est dans l’incapacité de faire face aux besoins. Il propose une série de mesures dans une approche globale bio-socio-psychologique.
Abstract :
The author presents here an analysis of the proposals of the Jean Jaurès Foundation in the face of the current disaster in psychiatry. He criticizes the foundation for not taking into account a sector policy and for leaving the field open to reduced psychiatry limited to critical cases and referring patients to the liberal who is unable to meet the needs. It proposes a series of measures in a global bio-socio-psychological approach.

La fondation Jaurès liée au Parti Socialiste vient de publier un document intitulé : « Santé mentale : dix grandes mesures pour une grande cause nationale ». Qu’en est-il exactement ? Le manque de place ne me permet pas d’en faire une analyse exhaustive. Je n’évoquerai notamment pas les questions de l’isolement et de la contention qui sont pourtant cruciales aujourd’hui, mais demanderaient trop d’espace.

Le Secteur : un modèle de psychiatrie progressiste dans la cité en rupture avec l’asile

Pour rappel, en 1960 tout le territoire a été découpé en zones (Secteurs) représentant environs 75000 habitants. Chaque Secteur doit accueillir toutes les souffrances psychiques des plus graves aux plus bénignes. Il doit assurer les soins de prévention de cure et de postcure. Il dispose d’au moins un CMP (90% des patients sont suivis exclusivement en ambulatoire), un hôpital de jour (HDJ), puis à partir des années 80 d’un CATTP et des lits d’hospitalisation pour les phases les plus aigües. La philosophie du secteur repose sur une équipe pluridisciplinaire, une graduation des prises en charge, la continuité des soins fondés sur la relation et le lien thérapeutique et non plus la contrainte asilaire, d’où l’importance de la proximité. Cette continuité s’inscrit également dans une triple historicité, celle du patient, celle de la maladie et celle de la relation entre le patient et chacun des soignants. Cela implique pour l’ensemble des soignants d’avoir une connaissance de la psychopathologie associant approches sociale (sociothérapie…), psychodynamique (visée psychothérapique et travail du transfert…) et biologique (connaissance des effets des traitements…). Le CMP est le pivot du secteur et non plus l’hôpital. C’est un dispositif que le monde entier nous enviait.

Les conséquences dramatiques de 40 ans de restrictions budgétaires !

Si ce document de la Fondation Jean Jaurès fait le constat unanime de la diminution constante des moyens du secteur depuis 40, il ne fait état bizarrement que de la fermeture de 60% des lits d’hospitalisation. Il omet de dire que les fermetures de lits ont pour l’essentiel été opérées dans les années 80/90. Depuis les années 2000, les restrictions de moyens ont fortement touché l’ambulatoire, s’accélérant depuis la Loi Hôpital 2007 avec l’instauration des pôles entrainant des fusions de secteurs qui chaque fois entraînent la suppression des structures ambulatoires devenues « doublon ». Bien que partout les délais d’attente pour avoir un premier rendez-vous étaient déjà scandaleusement longs, allant de plusieurs mois à plus d’un an d’attente suivant les CMP, la pédopsychiatrie étant la plus sinistrée. Cela a amené progressivement – avec une accélération ces dernières années – les secteurs à renoncer à la prévention et à faire des tris, n’accueillant que des patients de plus en plus gravement malades. Ceux jugés trop légers sont adressés à un psychiatre libéral (souvent en secteur 2) s’ils en trouvent, à un psychologue libéral (non remboursé) s’ils peuvent payer, à leur généraliste le plus souvent qui par manque de temps et de formation va faire ce qu’il peut et généralement devoir se contenter de prescrire des psychotropes (une des causes du fait que la France en est le 1er consommateur du monde !).

Par ailleurs, le rapport reconnait que si jusqu’au Covid on considérait que 25% de la population présenterait une souffrance psychique, ces chiffres ont explosé dans toutes les tranches d’âge. Pourtant il ne dit rien de la conception biologisante qui domine la psychiatrie depuis 25 ans, récusant le modèle biopsychosocial qui prévalait jusqu’alors. Considérant que toutes les souffrances psychiques ne seraient dues qu’à des dysfonctionnements neuronaux, niant les causes sociales que pourtant les psychiatres marxistes (Bonnafé, Le Guillant,…) avaient largement mis en évidence dans les années d’après-guerre, et les causes psychiques allant jusqu’à vouloir nier la réalité d’un inconscient et interdire son enseignement.

Que propose ce document ?

Il propose de « construire des parcours de prise en charge associant des équipes pluriprofessionnelles s’appuyant en priorité sur l’ambulatoire ». Ce qui est la définition même du secteur ! On peut donc supposer que ces mesures vont enfin vouloir donner au secteur les moyens de ses missions, et bien non !

Comme son constat ne fait état que du manque de lits, il sous-entend qu’il n’y aurait pas d’ambulatoire dans les secteurs ! Il faudrait donc développer l’ambulatoire en dehors du secteur avec notamment la médecine générale. Cela rejoint la Loi Touraine 2015 qui vient justifier et aggraver le tri des patients éligibles à une prise en charge de secteur. À partir d’un séquençage de la maladie (entre phase de crise et de « guérison ») on va segmenter les prises en charges entre différents acteurs (psychiatrie, médecin généraliste, sanitaire et médicosocial). Depuis cette loi, la psychiatrie n’est censée s’occuper que de la crise, la prévention et les soins de postcure des patients stabilisés (même les plus malades) relèvent du parcours de soins et du médecin généraliste. Alors que le secteur a été conçu comme un parcours de soins spécifique pour assurer une continuité graduée des soins. Il ne s’agit plus d’organiser la continuité des soins mais c’est l’organisation de la rupture de soins ! Rappelons que lorsque les patients sont en rupture de lien cela se traduit trop souvent par des passages à l’acte violents, exceptionnellement hétéro-agressifs, le plus souvent auto-agressifs. Les personnes souffrant de psychose présentent un taux de suicide 6 fois supérieur à la population générale (chiffre avant Covid). Ces propositions reviennent à détruire ce qui subsiste du caractère progressiste de la politique de secteur. Dans la réalité la loi a, fort heureusement beaucoup de mal à s’appliquer. Mais le gouvernement compte sur une instrumentalisation de la réhabilitation psychosociale, pour obliger tous les patients jugés stabilisés à subir divers programmes comportementaux au terme desquels il est procédé à une évaluation devant aboutir à un parcours de soins individualisé se limitant à un suivi par le médecin généraliste et non plus par le CMP, avec éventuellement un étayage du Social (GEM,…) ou du Médicosocial (FAM, MAS,…) et non plus en HDJ ou en CATTP. Dans cette perspective il propose de « Mieux prendre en charge le handicap psychique et les troubles du neurodéveloppement.…de créer au moins 20 000 solutions supplémentaires dans les lieux de vie et les services d’accompagnement adaptés au handicap psychique ». Or, si par le biais de la réhabilitation psychosociale, le gouvernement arrive à ses fins, ce seront bien plus que 20 000 personnes qui vont avoir besoin de ces structures, puisqu’à l’heure actuelle les CATTP sont fréquentés par une majorité de patients qu’on peut juger stabilisés. Mais ils sont stabilisés justement parce qu’ils fréquentent régulièrement le CMP et le CATTP ! Si l’on rompt ce suivi, le risque de décompensation est majeur.

Il propose d’« avoir une attention particulière pour la santé mentale de l’enfant, de l’adolescent et de l’étudiant : créer 3 postes universitaires dans les facs de médecine ». En classe de 4ème de « sensibiliser les élèves à ce que sont les émotions et à comment les gérer via un cours spécifique ». Pensent-ils sérieusement qu’un cours va permettre à ces jeunes ados de savoir gérer leurs émotions et régler leur détresse suicidaire ?

Il propose également de « créer 15000 postes de psychologues scolaires ». Ce qui serait très positif en termes de développement de la prévention. Mais à qui pourront-ils adresser les jeunes en difficulté si les CMP sont saturés ? Par ailleurs, sachant que les psychologues scolaires n’exercent qu’au niveau de la maternelle et du primaire, cela ne règlerait pas le problème des préadolescents et des adolescents. Mais paradoxalement, il ne propose rien pour renforcer les CMP de pédopsychiatrie qui croulaient, déjà avant le Covid, sous les demandes de familles désespérées de devoir attendre des mois, voire plus d’un an pour un premier rendez-vous.

Concernant la pédopsychiatrie, le Covid a entrainé chez les tout-petits une explosion des décompensations psychiques entraînant des entrées dans la psychose ou l’autisme, et chez les adolescents des dépressions graves avec tendance suicidaire. Ce qui vient d’ailleurs remettre en cause la causalité exclusivement biologique de ces pathologies, notamment l’autisme ! Rappelons que face à l’explosion de décompensations liées aux conditions sociales du confinement, le ministre Véran s’est contenté en 2021, pour les seuls adolescents suicidants, dans le cadre du dispositif « Mon psy », de rembourser 8 séances de psychologue libéral, à condition qu’ils ne fassent pas de psychothérapie, mais appliquent une technique comportementale de conditionnement. Tant pis pour les ados à qui ce type de prise en charge ne correspond pas. Et rien pour les centaines de milliers d’autres personnes qui ont décompensé qu’il s’agisse des petits et tout-petits, des adolescents non suicidants ou des adultes. Le document propose de « remplacer le dispositif « Mon psy » par une convention… entre l’Assurance maladie et les psychologues ». Ce qui est un mieux, mais renvoie encore une fois la solution dans le champ du secteur libéral au détriment du développement du service public.

Certes le document propose à terme de « créer 5 000 postes de psychologues, créer 5 postes par service au moins d’infirmiers en pratiques avancées, recruter 5 000 personnels supplémentaires dans les CMP ». Ramené aux près de 1 000 secteurs, cela donnerait certainement un peu d’air au secteur, mais c’est loin de permettre au secteur de pouvoir assumer les missions de prévention, de cure et de postcure et de répondre aux besoins de toutes les souffrances psychiques que vit notre population !

Par ailleurs sachant que tout le monde reconnait pour la filière infirmière un manque de formation à la psychopathologie, le saupoudrage de 5 infirmiers de pratique avancée n’y changerai rien, au contraire cela renforcerai l’approche biologisante de la maladie mentale, sachant que la plupart de ces infirmiers sont aujourd’hui plus formés au renouvellement de prescriptions chimiothérapique qu’aux soins relationnels psychodynamiques.

Enfin, il propose de « construire une loi de programmation en santé mentale … tous les 5 ans, qui sanctuarise le budget de la santé mentale … rattacher directement la Délégation de la santé mentale à la Première ministre ». Nos propositions vont dans le même sens, mais, lorsque l’on voit les glissements actuels du public vers le privé lucratif, cette loi de programmation, si elle garantirait les moyens globaux de la santé mentale, ne garantirait pas les moyens de la psychiatrie publique de secteur. Par ailleurs rattacher la psychiatrie à la 1ère ministre ne remet pas en cause le fait que la psychiatrie soit considérée comme une spécialité médicale comme les autres, relevant donc du parcours de soin généraliste, et non comme une discipline à part entière et un parcours de soins spécifique.

Que proposons nous ?

Depuis les Etats Généraux de la Psychiatrie de 2003, le PCF ne s’est pas contenté de soutenir les différents mouvements qui ont marqué la psychiatrie, mais s’y est fortement impliqué. Il a notamment participé, aux côtés du Collectif des 39 et des organisations syndicales, à toutes les manifestations (dont 2 colloques au Sénat organisés conjointement par les 39 et le groupe communiste), contre la dérive sécuritaire annoncée par le discours de Sarkozy en 2008. Et depuis 2018, il est membre fondateur du Printemps de la psychiatrie qui vise un retour à une psychiatrie plus respectueuse du Sujet.

Cet engagement a amené le PCF à un intense travail d’analyse de la situation dramatique de la psychiatrie, de ses causes et à avancer des propositions, dont certaines ont fait l’objets d’articles dans la proposition de Loi déposée par ses groupes parlementaires en 2019. En voici quelques-unes en écho à celle analysées ci-dessus.

Face au délabrement du service public de psychiatrie de secteur, à l’exclusion de la majorité des personnes en droit à y être soignée et à la généralisation de pratiques de plus en plus standardisées de moins en moins respectueuses de la dimension complexe, singulière de chaque patient pour ceux qui y sont encore accueillis, nous considérons qu’il ne suffira pas d’augmenter ses moyens. Il faut redéfinir sa philosophie et ses missions dans l’esprit de 1960 et lui donner enfin les moyens de ses missions ainsi redéfinies.

Nous proposons de lancer un vaste débat national pour poser les bases d’une Loi cadre de refondation du secteur. Nous proposons que la psychiatrie soit reconnue comme une discipline à part entière et non comme une simple spécialité médicale comme les autres. Nous proposons de mettre un terme à la fusion des secteurs et de recréer les secteurs avec leurs structures ambulatoires qui ont fusionné afin de garantir à tous les soins de proximité gages de continuité.

Nous proposons que le Secteur soit considéré comme un parcours de soins spécifique garantissant la continuité des soins de prévention, de cure et de postcure. Ce qui implique de mettre un terme à la politique du tri qui vise à exclure ceux qui ne seraient pas assez malades et au séquençage de la maladie et à la segmentation des prises en charge en les décloisonnant. Le secteur se doit d’être en mesure d’accueillir toutes les demandes de soins des plus graves aux plus bénignes. Ce qui ne remet pas en question le libre choix du médecin, qui soit dit en passant n’est absolument pas garanti au patient dans l’organisation des soins actuels. C’est le secteur qui doit avoir obligation d’accueillir toutes les demandes de soins sur son territoire et non le patient qui a obligation de fréquenter son secteur de référence. Dans ce cadre, le secteur doit travailler en complémentarité, en coopération et en collaboration avec les médecins généralistes, le social, le médicosocial, l’éducation nationale, la PMI … Tous ces acteurs doivent avoir un financement pour pouvoir mener ce travail de collaboration. Face à la souffrance psychique des patients, on ne peut se contenter d’éradiquer le symptôme sans en comprendre ni la cause ni le sens, mais de prendre en compte pour chaque patient les causalités biologiques, psychiques et sociales qui lui sont propres pour comprendre le sens de sa souffrance. Ce n’est pas en donnant des antalgiques pour masquer la douleur que l’on soigne le cancer !

De ce fait, on ne peut se contenter d’un saupoudrage d’infirmiers de pratiques avancées. Nous proposons que tous les soignants exerçant en psychiatrie aient une formation spécifique adaptée à l’approche biopsychosociale et non fondée uniquement sur l’approche biologisante et sur une instrumentalisation du comportementalisme. Ce qui implique le rétablissement de l’Internat en psychiatrie et d’un diplôme spécifique pour tous les infirmiers (diplôme en chandelier), impliquant un complément de formation et de stage pour les IDE souhaitant changer de filière, ce qui est le cas des ISP qui souhaitent travailler à l’hôpital général. Cela implique un ambitieux plan pluriannuel de formation de psychiatres, d’infirmiers, de psychologues,…, du fait de la pénurie de ces professionnels. Sauf en ce qui concerne les psychologues qui sont aujourd’hui obligés, par milliers, de renoncer à leur métier parce qu’il n’y a pas de postes dans les secteurs et qu’ils n’ont pas les moyens de s’installer en cabinet. Nous proposons en mesure d’urgence la création immédiate de milliers de postes statutaires de psychologues dès 2024.

Toutes ces questions seront au cœur des Assises qu’organise la Printemps de la psychiatrie les 24 et 25 mai 2025. Nous entendons y prendre toute notre place et y soumettrons au débat nos propositions.