© David Gabric (unsplash)

Quelle politique conduire face aux problèmes de l’usage des drogues en particulier le cannabis?

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L’auteur examine les arguments des pouvoirs publics en faveur de la légalisation du cannabis. Il en mesure les dangers et se prononce contre l’application des lois du marché comme solution aux problèmes posés par cette toxicomanie. Il présente des pistes pour sortir de ce désastre.

 Abstract :

The author examines the government’s arguments in favor of legalizing cannabis. He died of the dangers and spoke out against the application of market laws as a solution to the problems posed by this drug addiction. It presents avenues to get out of this disaster.

La question de la politique à conduire face aux phénomènes de toxicomanie est particulièrement d’actualité du fait du développement massif des différents usages du cannabis mais aussi du fait que des propositions de légalisation qui se font jour à l’occasion de cette campagne des élections présidentielles. La France est aujourd’hui le plus gros consommateur de cannabis au sein de l’Union européenne avec une prévalence de la consommation des jeunes très préoccupante. Les dernières données scientifiques montrent en effet qu’environ un cinquième des consommateurs de cannabis présentent des signes de dépendance[1].

Cette note très synthétique s’appuie sur :

  1. L’étude du « Rapport d’information de la mission d’information commune relative à la réglementation et à l’impact des différents usages du cannabis» déposé à l’Assemblée nationale le 28 juin 2021 (471 pages).
  2. Les publications médicales sur le sujet.
  3. Les résultats de l’enquête 2018 que nous avons menée avec Fondapol et la Fondation Gabriel Péri : « Les addictions chez les jeunes (14-24 ans) : l’urgence d’une politique de santé et de sécurité publique». C’est une étude mise en œuvre par Ipsos et réalisée par un sondage basé sur un échantillon constitué par un tirage aléatoire interrogeant 1000 jeunes de 14 à 24 ans, sur un autre échantillon de 402 parents d’enfants de 14 à 24 ans et un troisième échantillon de 2005 individus représentatifs de la population française. La consultation est possible dans le numéro 30 de septembre 2018 des Cahiers de santé publique et protection sociale, page 50, rubrique archives (https://cahiersdesante.fr) ou auprès de la Fondation Gabriel Péri.
  4. La lecture du livre « Trafics d’État-Enquête sur les dérives de la lutte antidrogue » publié chez Robert Laffont en mars 2021 par le journaliste d’investigation Emmanuel Fansten.
  5. Les avis écrits ou oraux transmis par des camarades membres de la commission santé /protection sociale du Parti en particulier de ceux qui suivent les questions de psychiatrie.

Rappel sur ce que sont ces produits

Avant de présenter les risques que les substances cannabinoïdes font porter sur la santé des populations jeunes, il importe de faire un bref rappel sur les produits en cause et leurs effets.

Il faut en premier lieu rappeler que les cannabinoïdes endogènes sont des neuromédiateurs naturels, découverts dans les années 1990, qui agissent sur le système endocannabinoïde intervenant dans les processus cognitifs de l’être humain, tels les apprentissages, la régulation de l’homéostasie, la mémoire ou la coordination des mouvements complexes ; le cannabis est une substance composée de plusieurs principes actifs, dont le principal est le tétrahydrocannabinol (THC) avec le cannabidiol (CBD). Aux côtés de ces cannabinoïdes majeurs, la plante intègre des cannabinoïdes mineurs, ainsi que deux autres groupes notables de principes actifs : les terpènes et les flavonoïdes. Agissant sur les récepteurs cannabinoïdes spécifiques au niveau du système nerveux central, le THC et le CBD peuvent de ce fait influer sur les processus cognitifs : « en ce qui concerne les fonctions cognitives, il a été montré cliniquement que l’usage du cannabis sur le court et le long terme peut modifier, de manière plus ou moins transitoire, la régulation des synapses qui régulent les processus d’apprentissage et de mémoire. L’usage du cannabis est ainsi associé à une moindre capacité attentionnelle et des modifications de la coordination motrice. » [2]

Au cours des dernières décennies un déséquilibre croissant entre les taux de THC et de CBD, en faveur de teneurs en THC de plus en plus élevées, a en effet été constaté. La principale différence entre ces deux principes actifs est que le cannabidiol (CBD) ne produit pas d’effet stupéfiant, et, lorsqu’il est présent en quantité suffisante, permet de contrebalancer les effets psychoactifs du THC. Ainsi, un ratio déséquilibré entre les taux de THC et de CBD a pour conséquence de produire des effets stupéfiants plus puissants pour une quantité consommée constante de cannabis. Il en résulte une élévation des risques potentiels, notamment chez les gros consommateurs. En premier lieu, et même si les chiffres cités par les experts consultés par la mission d’information varient sensiblement, les produits aujourd’hui disponibles sur le marché présentent des taux de THC incomparablement supérieurs à ce qu’ils étaient avant. Il faut enfin signaler l’arrivée sur le marché depuis quelques années de nouveaux produits, les cannabinoïdes de synthèse communément appelé « Spice », dont les effets sont notoirement plus dangereux pour la santé que les phytocannabinoïdes et représentent de ce fait une problématique d’une particulière acuité. Selon les informations que donne le professeur Alvarez, l’industrie pharmaceutique a arrêté il y a quelques années le développement des cannabinoïdes de synthèse qu’elle commençait à utiliser pour la fabrication d’un certain nombre de médicaments, par exemple contre l’obésité masculine ou l’anxiété, à cause d’effets secondaires indésirables graves, tel le doublement du taux de suicide chez les patients traités avec ces nouvelles molécules, résultats de leur action sur le système endocannabinoïde. Ce sont précisément ces molécules qui sont aujourd’hui utilisées par les trafiquants de drogue.

La toxicomanie au cannabis pose des problèmes complexes : sanitaires individuels, de santé publique, sociaux, de sécurité publique, économiques, géopolitiques, et il n’y a pas de solutions simples. Par contre beaucoup de solutions simplistes existent… L’usage du cannabis ne peut être séparé de celui des autres drogues.

La question vue sous l’angle sanitaire

La première chose qu’on doit mesurer est l’effet sur la jeunesse. L’impact principal est ce qu’on appelle le syndrome de démotivation qui bien souvent glisse vers un état dépressif, un repli sur soi et un isolement social. Des études ont montré qu’une consommation régulière de cannabis chez l’adolescent induit une baisse des capacités cognitives et favorise l’apparition de troubles psychotiques (paranoïa, délires, hallucinations). C’est parfois la porte d’entrée dans des états schizophréniques. On a établi une corrélation entre consommation de cannabis, absentéisme scolaire, décrochage scolaire et échec scolaire. Les niveaux d’études atteints sont moins élevés. Pour le Dr Marie Choquet, directrice de recherche honoraire à l’Inserm, les aspects les plus importants constatés par les enquêtes de terrain dans l’enseignement secondaire, sur des élèves de 11 à 19 ans, sont le lien fort entre consommation de cannabis et absentéisme scolaire, ainsi qu’avec la violence, les deux étant souvent motifs d’exclusion ou prémices de sortie du système scolaire. Ceci est lié à l’action des cannabinoïdes sur le cerveau. Une publication récente de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé sur la santé mentale des élèves de troisième, a ainsi démontré que ceux dont la santé mentale est la plus dégradée sont aussi ceux ayant les plus fortes consommations de substances psychoactives (alcool, cannabis et tabac)[3]. Parmi ces effets à court terme sur le cerveau, on trouve : la confusion, la somnolence, une capacité réduite de se souvenir, de se concentrer, prêter attention, réagir rapidement.

À l’âge où l’individu se construit, se projette et veut refaire le monde, il est comme anesthésié. Les études de suivi de cohortes menées sur une longue durée par l’Inserm montrent une probabilité de suivre des études supérieures inférieure à 60 % pour les jeunes ayant commencé à fumer avant l’âge de seize ans. Dans le même ordre d’idées, la probabilité d’être au chômage ou d’occuper des emplois précaires est aussi supérieure. Dans une société conservatrice qui n’a pas de véritable projet pour la jeunesse, qui provoque inégalités sociales, chômage massif et exclusion, le cannabis est alors un allié des dominants. Il s’ensuit une ambivalence dans les politiques suivies et les buts réellement recherchés (voire pire, une complicité).

Pour ce qui est des autres perturbations de la santé, on a signalé les effets suivants : des vaisseaux sanguins endommagés par la fumée, des troubles de la tension artérielle pouvant provoquer un évanouissement, des cas d’infarctus du myocarde. Les effets neurologiques comprennent des convulsions et une vision trouble. On note aussi l’hyperthermie, la rhabdomyolyse et l’insuffisance rénale. Les effets s’aggravent lorsqu’on a commencé à en consommer au début de l’adolescence et si on a une consommation régulière sur une longue période. Ces effets peuvent ne pas être entièrement réversibles, même après 1’arrêt de la consommation de cannabis.

Les autres effets à long terme associés à l’inhalation de la fumée de cannabis sont semblables aux effets associés à l’inhalation de la fumée de tabac. Ceux-ci comportent des risques pour la santé pulmonaire comme la bronchite, les infections pulmonaires, la toux chronique. La fumée peut provoquer chez l’adulte des cancers comme le tabac qui d’ailleurs est souvent associé. Rappelons qu’environ 60 000 personnes meurent des effets du tabac par an en France.

Durant la grossesse, les substances dans le cannabis sont transportées par la circulation sanguine de la mère jusqu’au fœtus. Après la naissance, elles sont transmises au nourrisson par le lait maternel et peuvent entraîner pour celui-ci des problèmes de santé : un poids plus faible à la naissance et des effets à long terme sur le développement des enfants et des adolescents comme les troubles cognitifs et psychiatriques.

Enfin de nombreux accidents mortels de la route sont associés à la consommation de cannabis par le conducteur ; s’ajoute à cela la consommation croisée d’alcool. Ceci est lié au fait que le cannabis engendre des troubles de la coordination, une réduction du temps de réaction, une baisse de la capacité à porter attention et d’aptitude à évaluer les distances. Des effets non négligeables sont observés sur des simulateurs de conduite automobile. Ils sont à leur maximum cinq heures après la consommation et d’une durée variable, de huit heures pour les consommateurs chroniques, mais de treize heures chez les occasionnels, l’association fréquente à l’alcool ayant par ailleurs des effets aggravants (sur-risque de 14%).

 La question vue sous l’angle social

De nombreuses études ont montré que, indépendamment des conséquences sanitaires, l’économie criminelle du cannabis était plus que florissante La consommation de cannabis est aussi un phénomène social. Elle implique :

  • trafic de produits stupéfiants;
  • trafic d’armes;
  • économie sous-terraine parallèle;
  • violences : de nombreux meurtres entre bandes rivales et parfois de victimes collatérales;
  • insécurité dans les quartiers : la vie y devient invivable;
  • blanchiment d’argent sale;
  • corruption.

On notera que le rapport N°4243 ne donne pratiquement aucun chiffre sur ces données.

La question a aussi une dimension géopolitique:

 De nombreux pays ont choisi de produire des stupéfiants et du cannabis :

  • Le Maroc (80 % du haschich en Europe viendrait du Maroc, sans parler des autres drogues comme la cocaïne. Au total, le Maroc représenterait à lui-seul plus de 11 % de la production mondiale de cannabis, le tout, produit sur environ 52 000 hectares).
  • Le Liban (le cannabis est produit en grande partie dans la plaine de la Bekaa, contrôlée par le Hezbollah et largement financé par l’État syrien).
  • L’Afghanistan (environ 3 millions d’Afghans seraient impliqués dans l’exploitation et le trafic de cannabis; le pays produit en moyenne 20,75 % de la quantité mondiale).
  • Le Népal.
  • La Jamaïque.
  • Le Pakistan (c’est aussi le 3e plus gros producteur notamment de cannabis, avec plus de 6 % du haschich de la planète).
  • L’Inde (elle produirait en moyenne 4,63 % de la quantité mondiale de cannabis).
  • Le Mexique.
  • L’Espagne.
  • L’Albanie (3,8 % de la production mondiale de cannabis).
  • La France est le premier pays producteur européen avec près de 17 000 hectares sur les 42 500 hectares cultivés en Europe en 2017…

On mesure alors la complexité des trafics internationaux lorsque des pays et des régions entières vivent de cette production. Les mafias de toutes sortes prolifèrent. Le rapport n’évoque pas de négociation entre États sur le sujet.                                                                                                                .,

Remarques sur le rapport d’information n° 4243 de l’Assemblée nationale

Ce texte volumineux est un plaidoyer sans nuance pour la légalisation de l’usage du cannabis et l’organisation de sa production et de sa distribution. Il traite aussi du cannabis à usage médical, organisant de ce fait une certaine confusion. Page 7 : « Le constat global sur la question du cannabis sous tous ces usages est que notre pays est à la traine. »

 Si on regarde qui a été consulté, on voit une proportion très importante de personnes physiques et de personnes morales favorables, en particulier des lobbyistes: On peut citer : Syndicat professionnel du chanvre (SPC), Association Principes actifs, Association APAISER, Association UNISEP, Association francophone pour des soins oncologiques de support (AFSOS), Elican Biotec, Eteipmai, StaniPharm, Aurora, Tilray, Emmac, Cabinet Augur Associates, Association européenne du chanvre industriel, Confédération des buralistes, Syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet), Laboratoires Arkopharma, Laboratoires Ineldea, Association Bretagne chanvre développement, Association chanvre Réunion, Société coopérative agricole des plantes à parfum de Provence, Société Hemp It, InterChanvre, Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA), Global Drug Survey. ALLIANCE POLICE NATIONALE, lNTERCO CFDT, UNSA-FASMI, FSMI-FO, Association Addictions France, Groupe SOS Solidarités, Fédération addiction, L’agence pour le choix du consommateur, Collectif d’information et de recherche cannabique (CIRC), Cannabis sans frontières, NORML France, UK Volteface, LEAP UK, Transfom1 Drug Policy Reform Foundation, Task Force légalisation du Cannabis, Police contre la Prohibition, Génération libre, Alternative Approaches to Addiction, Think & do tank, L. 630.

Des services d’État ont été associés et diverses personnalités du monde médical. Je note que si des militants socialistes, écologistes ou de droite ont été invités, le Pcf et la CGT sont restés à la porte.

Le texte (en fait un ensemble de textes plus ou moins disparates) est un plaidoyer annonçant la nécessité de la légalisation du cannabis cormme une évidence de modernité. Comme si ceux qui ont échoué sur toute la ligne jusqu’à maintenant avaient la solution qui annihilerait les autres avis définitivement. Il y a trois parties principales dans le rapport :

  • un argumentaire pour développer le cannabis thérapeutique ;
  • un argumentaire pour développer le cannabis « bien-être » ;
  • un argumentaire pour développer la vente libre du cannabis actuellement diffusé par les trafiquants.

A) Concernant le cannabis thérapeutique: il apparaît aux auteurs que c’est une nécessité urgente. Page 7 : « Le CBD ne présente aucun risque pour la santé publique Nombreux sont les consommateurs qui en vantent les bienfaits, sur leur stress ». Cette affirmation est bien incertaine. Le texte oscille entre les arguments économiques qui n’ont rien à faire ici et les arguments thérapeutiques. Page 8 : «Jusquà quand sacrifier le potentiel de NOS producteurs au détriment de nos voisins européens ? Nos producteurs sont prêts, enthousiastes, engagés». L’expérimentation en cours poserait problème : « Moins de trois mois après le lancement de lexpérimentation, lANSM indique que les retours sont bons concernant les patients traités avec parfois une efficacité qualifiée de « magique » par certains médecins». Page 47 : « La relative frilosité du corps médical à prescrire le cannabis à usage thérapeutique... Les sources disponibles tendent en effet à montrer que, dans nombre de pays, les médecins sont relativement réticents à en proposer à leurs patients ». À vrai dire, les médecins ne sont pas particulièrement demandeurs de ces produits car ils ont d’autres solutions thérapeutiques plus efficaces. Ceci ne concerne pas seulement la France : page 64 : « dans plusieurs pays, des réserves fortes ont été constatées de la part des professionnels de santé qui se montrent de fait réticents à prescrire du cannabis à leurs patients alors même qu’ils y sont autorisés ». Un des problèmes rencontré sous quelque forme de cannabis que ce soit, est la présence de THC sous forme résiduelle à coté du CBD et impossible à éliminer totalement. Page 48: « Par comparaison avec nombre d’autres pays, la France apparaît toujours aujourd’hui comme singulièrement réfractaire à lusage thérapeutique du cannabis ». Page 68 : « Plusieurs des associations de patients interrogées voient par exemple les sociétés savantes prendre une place exagérée dans les derniers débats et revenir sur les questions tranchées au tout début des travaux, en termes de bénéfices/risques et proposer de ce fait de restreindre l’éventail des usages ». Les savants dehors ! Et pour les industriels qui doivent assumer financièrement les études (ce qu’il appellent gratuité) : « Afin d’en garantir le déroulement impartial, (il faut) renoncer à la gratuité et définir le budget nécessaire à la réalisation de l’expérimentation ». Il faut : page 79 : « Entamer une réflexion sur l’élargissement de la possibilité de prescrire du cannabis thérapeutique dans le cadre d’autres pathologies que celles retenues pour l’expérimentation ». « Le cannabis thérapeutique représente un important marché quil importe d’ouvrir aux acteurs français ». « Il constitue également un levier important de développement économique pour certains territoires, en particulier ruraux, pour les producteurs agricoles tout comme les laboratoires pharmaceutiques ». Page 81 : « le marché français du cannabis thérapeutique pourrait représenter 500 M€ à un horizon de quatre ou cinq ans et, en conservant les seules indications définies dans le cadre de l’expérimentation, concerner 4 millions de Français... L’impossibilité de développement d’une filière française du cannabis thérapeutique constitue une aberration économique et sanitaire, d’autant plus que de nombreux acteurs français sont aujourd’hui en mesure de produire rapidement des fleurs de cannabis et des médicaments ». « Un levier important de développement économique et de diversification de l’activité agricole ».

En conclusion: page 66: « Le lancement de lexpérimentation a pris un retard préoccupant».« PLUS AUCUN RETARD NE DOIT ÊTRE DÉSORMAIS PRIS ».

 B) Concernant le cannabis « bien-être», il s’agit d’autoriser la production et la vente de cannabis sans trop de THC sous diverses formes : alimentaire, cosmétique, vapotage, Il y aurait là un marché très juteux à développer selon les industriels. Page 11 : « le cannabidiol (CBD) est victime de son succès foudroyant auprès de consommateurs à la recherche de produits de bien-être naturels ». Concernant le taux de THC résiduel, autorisé l’industrie estime qu’elle est gênée : « qu’en maintenant un taux très bas, notre pays donne indirectement un avantage concurrentiel à ses concurrents ». Qui plus est pour les Outre-mer il faudrait encore une exception: « le taux de 0,2 % retenu constitue un handicap ». Seuls les critères économiques sont retenus : Page 27 : « un marché en plein essor». Page 15 : « il s’agit au contraire de proposer une légalisation encadrée pour reprendre le contrôle d’un trafic qui est aujourdhui aux mains des réseaux mafieux ».

C) La légalisation du cannabis dit «récréatif» (c’est le nouveau mot sympathique pour parler de la drogue) en fait est le but ultime du « Le cannabis récréatif est considéré comme une drogue douce, notamment du fait de l’impossibilité de faire une overdose de THC ». D’emblée, la commission se met en surplomb des opposants éventuels: Page 195 : « La mission dinformation a souhaité, dès ses premières auditions, mener son travail de façon dépassionnée ». Et l’orientation générale est vite donnée : page 199 : « la politique répressive française coûte cher et mobilise à l’excès les forces de lordre». Le modèle ? : page 200 : « les États-Unis ont rapidement évolué sous l’influence de certains États « précurseurs »… dans la voie dune légalisation du cannabis sur le modèle de l’économie de marché». Page 201 : « C’est maintenant qu’il faut agir ! ». Page 209 : « Le statu quo n’est donc pas tenable ».

Pour les auteurs, l’objectif est bien de définir un modèle français de légalisation réglementée et de définir un circuit de production et de distribution, c’est-à-dire de déterminer qui sera autorisé à produire et à vendre du cannabis à usage récréatif. L’option d’un monopole public est possible, mais d’autres solutions, plus proches du modèle de l’économie de marché, peuvent être mises en œuvre. La question du statut à donner à l’autoproduction devra également être tranchée. Page 393 : « La reconnaissance de terroirs de cannabis participerait ainsi fortement au soutien de la filière économique française qui pourrait de ce fait être apparentée à la filière vinicole ». L’existence d’un marché du cannabis avec une offre et une demande, que celui-ci soit réglementé ou non, amène inévitablement à s’interroger sur les modalités de fixation du prix. Celui-ci devra être en mesure d’assurer une rémunération aux producteurs et aux distributeurs. Dans une optique similaire, la mission d’information appelle les pouvoirs publics à ne pas s’engager, surtout dans un premier temps, sur la voie d’un mécanisme de taxation trop lourd… Ainsi page 203 : « Avec la légalisation, il ne sera désormais plus possible d’esquiver le sujet : le débat devra déterminer, par exemple, létendue des formes de publicité à donner aux produits, définir les lieux publics où l’usage restera éventuellement interdit et maintenir des restrictions daccès pour les mineurs. »

 Parmi les arguments, on note que la politique répressive en échec serait la cause de l’échec de la santé publique. Il est écrit que la politique pénale répressive mobiliserait à l’excès les forces de l’ordre et contribuerait à l’encombrement des tribunaux. Plus loin: « L’impératif d’une politique sanitaire serait rendu difficile par la priorité donnée au répressif ». Et même plus fort : « persister dans la prohibition en vigueur depuis cinquante ans ne peut que nuire à la protection de la jeunesse ». Ensuite vient le projet: on parle de l’intérêt pour les finances publiques d’avoir une fiscalité sur ces produits, de la contribution du cannabis à la croissance économique. Assécher le marché noir, fixer les prix, développer une nouvelle filière économique, confier la production au secteur privé, prendre en compte la dimension patrimoniale et commerciale : voilà les vrais questions ! Et même la question « Faut-il amnistier et réinsérer les anciens trafiquants ? » est posée. Page 420 : « une politique proactive d’information et d’aide à destination des anciens vendeurs de cannabis illicite pourrait être mise en place afin de favoriser leur intégration dans les circuits légaux » afin d’aider« des individus pour qui l’insertion dans l’économie légale peut être plus difficile.» En outre, cette politique permettrait aux boutiques officielles de bénéficier de l’expertise de ces vendeurs, dont les compétences pourraient être développées par des programmes de formation». Une amnistie pour les gros trafiquants est envisagée avec réinsertion dans ce commerce !

Les comparaisons avec les États qui se sont lancés depuis peu dans l’aventure sont pour le moins ambigües. Mais la mission retient surtout qu’aux États-Unis, Page 407 : « Avec des revenus fiscaux de plusieurs centaines de millions de dollars par an dans certains États, la question de la légalisation du cannabis a changé de nature : il s’agit désormais dun enjeu davantage financier et industriel ». On oublie de se poser la question de Cuba, de la Chine ou du Vietnam qui ont éliminé largement les trafics…

Dernier conseil aux politiques : utiliser la voie référendaire pour éviter les débats complexes.

Le rôle de la lutte antidrogue

Le livre d’Emmanuel Fansten sur les dérives de la lutte anti-drogue en France éclaire d’un jour nouveau le débat. La stratégie « Myrmidon » mise en place sous le gouvernement Sarkozy alors que Brice Hortefeux était ministre de l’intérieur a consisté à infiltrer des réseaux au plus haut niveau avec des indicateurs et à intercepter des livraisons tout en laissant une partie des cargaisons entrer en France. Ceci a fonctionné jusqu’au milieu du quinquennat de F. Hollande. L’idée était ensuite de suivre l’arrivée de ces quantités pour essayer de démanteler les réseaux. Cette technique a échoué car tandis qu’on interceptait une tonne on en laissait passer trente… Et c’était des policiers français qui se chargeaient de transporter les cargaisons en Espagne venues du Maroc. Cette pratique de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS) a dérivé en dehors de tout contrôle judiciaire et s’est terminée par la dissolution de cet organisme et la réorganisation des services tandis que son patron était affecté à d’autres fonctions. C’est pourquoi E. Fansten parle de trafic d’État. Une affaire judiciaire est en cours.

Tout ceci montre que la lutte contre l’importation de drogue ne manque pas d’ambiguïté. Lutter contre les réseaux de distributeurs locaux tandis que l’importation massive de cannabis « protégée » par l’État a nourri l’échec de la politique de démantèlement des filières. En conclusion on ne peut pas retenir l’idée que la répression des trafics est venue impacter les mesures sanitaires. L’idée de répression des trafics n’est pas invalidée mais elle doit interroger les citoyens. L’État a-t­il vraiment la volonté de conduire cette répression alors qu’il envisage froidement d’abandonner cette lutte pour passer aux lois du marché ?

Alors quelles propositions pouvons-nous faire?

Il y a nécessité d’impulser une nouvelle politique :

  • On peut considérer que ce n’est pas au niveau de l’usager qu’il faut conduire la répression. Il faut renoncer à réprimer le simple consommateur sans pour autant légaliser le cannabis ou lui laisser penser que les interdits sont levés. C’est un problème sanitaire qu’il faut traiter avec des moyens sanitaires et éducatifs. Sur le plan curatif, il faut des médecins, des infirmières, des services hospitaliers d’addictologie et d’accompagnement dédiés comme les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), des éducateurs. C’est donc une nouvelle politique d’investissement, de formation et de recrutement qu’il faut mettre en œuvre. Tout le contraire de.la politique de démantèlement poursuivie encore aujourd’hui. Sur le plan préventif, il faut développer aussi les services : pensons à la médecine scolaire qui s’est effondrée et que le rapport accuse injustement d’inefficacité, et à tous les services d’accueil des jeunes, laissés à l’abandon.
  • Pour ce qui des trafics il faut poursuivre une répression sans faille. L’État avec ses services de police, de douane et de justice a les moyens de cette action s’il est déterminé au plus haut de sa direction. Il n’a pas à se laisser aller à une politique de renoncement. La création d’un poste ministériel dédié placé sous la responsabilité directe du premier ministre pourrait envoyer un signal clair.
  • Par ailleurs la création de 30 000 policiers de proximité telle que le propose Fabien Roussel est de nature à changer la vie des habitants. Les dealers n’auront plus le champ libre comme aujourd’hui.
  • Enfin, nous ne pouvons pas suivre l’idée que le marché va régler le problème. Rentrer dans cette démarche aggravera la situation d’autant plus que les trafiquants sauront proposer des produits nouveaux plus dangereux et utiliseront Internet pour se développer comme ils le font déjà. Comme l’a écrit le psychiatre Dr F. Boulanger: « La prolifération des produits est intrinsèquement liée au capitalisme ». Ce n’est pas sur ce chemin que nous trouverons une solution.

Une nouvelle géopolitique doit être mise en œuvre vis-à-vis des pays et des populations fourvoyés dans la culture du cannabis. La coopération doit être proposée. Quant aux guerres de domination qui sont toujours génératrices de trafics, elles doivent toujours être écartées car elles nous conduisent dans des impasses et des désastres.