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Comment ne pas gâcher la crise?

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Les auteurs essaient de tirer des enseignements à long terme à partir de cette crise de la Covid 19 qui frappe l’humanité entière. Ils donnent déjà des pistes de réflexion et d’orientations nouvelles afin que tout ne recommence pas comme avant.

 Abstract :

The authors are trying to learn long-term lessons from this Covid 19 crisis that is hitting all of humanity. They are already providing avenues for reflection and new directions so that everything does not start over as before.

 

La crise ne dit pas de nouveau, elle dit l’impossible de l’ancien (Serge Escots). Cet intitulé est celui du congrès 2021 de l’association belge Parole d’Enfants[1]. Paradoxal, provocateur, il nous a rappelé que le terme de crise a un double sens : « l’idée de douleur et d’opportunité. Ou plus précisément à un moment d’opportunité vécu dans la douleur…»[2].

Alors comment ne pas rater les opportunités de cette crise, cumulée à d’autres ?

Durant la pandémie en cours, entre épreuves et interrogations, nous n’avons cessé, les uns et les autres, d’essayer de comprendre et de relever ce qui marchait de ce qui n’était ni opportun ni acceptable. A une échelle modeste, c’est ce que nous avons tenté au travers de nos échanges et de nos écrits dans le cadre du collectif des Colibris en santé. Nous nous sommes attachés à garder mémoire, pour ne pas oublier, pour aider à féconder un tel patrimoine d’expériences et surtout d’en tirer des enseignements. Pour appuyer les aspirations à des changements d’intérêt général. Chacun dans ses logiques, au travers des controverses, des confrontations et des luttes. Cet effort est en réalité largement engagé, et ne manquera certainement pas de s’amplifier malgré les télescopages des agendas de tous ordres. Les témoignages et les écrits d’évaluation à tous niveaux, individuels et collectifs, institutionnels et sociétaux, en témoignent[3].

Nous ne sommes pas encore sortis de la pandémie.

La décrue des contaminations et des hospitalisations est une réalité. A l’échelle hexagonale comme à travers une grande majorité des pays du monde. Des foyers d’incidences élevés persistent, surtout chez les moins vaccinés à l’évidence. Et si la stratégie du zéro covid a montré ses limites, les inégalités mondiales d’accès aux vaccins persistent. La bataille se poursuit entre les partisans de la charité et de la marchandisation de la santé, et ceux qui privilégient les mécanismes de solidarité et les efforts de fabrications délocalisées (Inde, Afrique du Sud, Algérie).

 Le « vivre avec » est en train de se frayer une nouvelle « normalité » dans nos quotidiens avec en bruit de fond les réfractaires à la vaccination et les résistants face aux autoritarismes de différentes natures et degrés. Mais nous ne sommes à l’abri ni de la saison froide qui vient, ni des rebonds épidémiques ou d’autres risques. L’évolution de cette pandémie reste incertaine.

Est-ce le temps des bilans et des évaluations?

De fait, dès le début, chacun de nous, concerné à un titre ou à un autre, ne cesse d’apprécier, à tort ou à raison, et de porter des jugements. Nous avons été surpris par la soudaineté de la propagation de ce virus à travers l’Europe puis au reste du monde après avoir regardé de loin le foyer chinois. Nous n’avons pas épargné les pouvoirs publics pour leur impréparation face aux manques de masques puis de tests. Plus que leurs hésitations, c’est le manque d’humilité et l’arrogance initiale des décideurs et de certains experts qui nous ont indignés. Cette gestion autoritaire, antidémocratique qui a prévalu et qui continue. L’inclination des gouvernants à user du registre de la peur et à manquer de confiance dans les capacités et potentiels de la société, tout autant que les défauts d’appui sur les services de soins de 1ère ligne et les multiples professions de proximité, se confirme. Sans compter les failles des plateaux hospitaliers déjà affaiblis par les politiques de restrictions et les choix de gestion inappropriée. Les pénuries des médicaments, y compris essentiels, le choix et la mise en œuvre des mesures de prévention et de santé publique dans leurs aspects les plus restrictifs et autoritaires, ont effrayé et désarçonné l’opinion.

Les médias ont déversé des flots de « nouvelles » n’échappant pas aux intérêts dominants. C’est dire que les appréciations et les jugements ont été multiples et concomitants des événements. De leur côté, le travail d’analyse et les évaluations de fond exigent le temps long et la distanciation, confrontant différentes grilles disciplinaires et catégories sociales.

Ce temps-là viendra nécessairement

Cet effort est déjà en cours et de nombreuses analyses et publications sont produites tous les jours et encore plus à l’avenir[4].

Tant les questions sur la pandémie que ses différentes formes de gestion nous concernent. Voici une liste non exhaustive des points d’analyse auxquels nous pensons :

– les indicateurs de suivi et de compréhension de la dynamique de cette pandémie,
– la mesure de la surmortalité liée au SARS-Cov2 et les nécessaires corrections,
– les pertes d’espérance de vie selon les catégories d’âge, sociales et territoriales,
– les mesures de prévention et de santé publique restrictives prises : mesures barrières, quarantaine, confinements, couvre feux, jauges …,

– les stratégies vaccinales, les priorités et les approches choisies, à l’échelle de la pandémie, c’est-à-dire mondiale, et non pas seulement dans les pays nantis,

– la prise en charge des plus vulnérables (malades déjà fragilisés, précaires, détenus et migrants dans les centres de rétention…),

– les conséquences de l’isolement imposé aux personnes âgées en Ehpad, aux personnes malades dans les hôpitaux,

– les retentissements sur les étudiants, en particulier ceux qui ont été contraint de renoncer définitivement à leur parcours universitaire,

– les conséquences de la mise au second plan de la santé globale des enfants, ainsi que la sous-estimation des vécus et des dimensions psycho-affectives,

– et surtout les modalités d’anticipation d’autres crises à venir. Sans omettre les appréciations et valorisations des « échappées belles » :

– « La crise a fait surgir certains des meilleurs côtés de nos sociétés : qu’il s’agisse de la  solidarité entre voisins, de la bravoure des personnels de santé et des autres travailleurs essentiels qui n’ont pas craint de mettre en danger leur propre santé afin de servir leur  communauté, ou encore de la collaboration entre pays pour apporter une aide d’urgence ou rechercher traitements et vaccins ». Cette affirmation de l’OMS en septembre 2021 peut être complétée par la mobilisation des familles (sûrement les plus favorisées) qui ont renforcé les liens autour de l’apprentissage.

 

  • Dans les pays nantis, les systèmes de soins, malgré leurs failles, ont permis l’accès aux soins pour tous dans des conditions certes variables au prix d’un effort considérable des personnels soignants.
  • La découverte rapide d’une solution vaccinale efficace est aussi une bonne nouvelle tant pour l’évolution de la pandémie que pour l’avenir de la vaccination contre d’autres agents infectieux[5].
  • L’errance initiale autour de la prise en charge des enfants et des adolescents a été partiellement corrigée essentiellement suite aux réactions des familles, des associations et des sociétés pédiatriques. Ne plus négliger la santé de cette population s’impose.
  • Cette aspiration de prise en charge globale est exprimée aussi pour la santé des adultes. Les retours sur cette période ont valorisé les accueils bienveillants et regretté le manque de coordination de certaines équipes de soins et l’attente souvent insatisfaite de vraies rencontres. Car si « l’utilisation des technologies numériques a donné un coup d’accélérateur à de nouvelles manières de travailler et d’être reliés les uns aux autres »[6], on a très vite vécu les limites des supports numériques : télé travail, télé consultation, échanges familiaux et amicaux par Visio. L’intérêt des contacts en direct, du présentiel a pris du relief.
  • Le même constat est également fait pour l’enseignement des enfants et des adolescents. On peut espérer qu’avec cette expérience, on ira au-delà de l’illusion du tout numérique pour ne garder que l’utile et les facilités des outils technologiques.

 Quelques pistes de travail, pour notre part:

  • Poursuivre, plus que jamais, dans notre intérêt pour l’approche pour le multisectoriel prônée par l’OMS : « Protéger et préserver la source de la santé humaine, la nature ; investir dans les services essentiels, depuis l’eau et l’assainissement jusqu’aux énergies non polluantes dans les établissements de soins ; assurer une transition énergétique rapide dans l’intérêt de la santé ; promouvoir des systèmes alimentaires sains et durables dans un mouvement mondial pour la santé et l’environnement ».
  • Aller au-delà des constats et mesures des inégalités, sociales et territoriales, pour en comprendre et prendre mieux en compte les causes aggravantes. L’inégalité d’accès à la vaccination et aux soins, en est la manifestation la plus criante et la plus récente.
  • Conforter le développement de centres et maisons de santé ambulatoires prodiguant les soins essentiels, y compris les premiers paliers des urgences avec le renforcement de structures qui peuvent assumer des soins globaux auprès des enfants, adolescents et jeunes: PMI, Santé scolaire et universitaire, Maisons des Adolescents, avec plus d’attention à la prévention (vaccination) et aux soins somatiques et psychiques.
  • Le développement d’unités hospitalières polyvalentes qui doivent retrouver leurs personnels et tous les lits supprimés durant les cinq dernières années.
  • La refonte du modèle EHPAD vers des lieux de vie à dimension plus humaine et plus ouverts sur la vie sociale avec définition de ratio de personnel autour de ces objectifs et non pour des logique marchandes, et des statuts plus protecteurs des soignants.
  • Une réhabilitation du travail d’information, de communication et d’éducation, libéré des diktats des « audimat » et socialement émancipateur.

En conclusion: «La pandémie marque la fin du tout à l’égo, de la dérégulation généralisée, de l’hôpital entreprise. Retour à la planification aux services publics et à la vaccination obligatoire, mais danger de l’autoritarisme de centralisme et de bureaucratie d’où l’exigence de la démocratie». A. Grimaldi – Manifeste pour la santé 2022, Odile Jacob Ed, Paris octobre 2021

[1] https://www.sparadrap.org/actualites/professionnels/comment-ne-pas-gacher-la-crise-par-lassociation-parole-denfants

[2] Magazine Psychologies, déc. 2011

[3] Pour construire un avenir postpandémique, dans lequel la santé de chacun est protégée et promue, que pouvons-nous apprendre des événements de la pandémie de COVID-19 et des crises précédentes ? https://www.euro.who.int/en/health-topics/health-policy/european-programme-of-work/pan-european commission-on-health-and-sustainable-development/publications/drawing-light-from-the-pandemic-a-new- strategy-for-health-and-sustainable-development-2021

[4] « This time, we must learn the lessons of history. No country can do it alone. We need a multilateral rules-based system in which everyone recognizes their interdependence on this small planet and acts accordingly » écrit le Lancet en Aout 2021.

[5] Une évaluation récente faite au Canada montre que cette vaccination diminue par 10 le risque infectieux et par 36 le risque d’être hospitalisé. Ceci vient d’être confirmé par l’étude EPI-PHARE en France.

[6] OMS 2021 Après Covid-19 Manifeste pour un monde en meilleure santé.

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Omar Brixi & Georges Picherot, «Comment ne pas gâcher la crise?», Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, N° 39, décembre 2021.