© Norbu Gyachung (Unsplach)

Un malaise qui vient de loin

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L’auteur, infirmière syndicaliste, rappelle tous les mouvements de grève et toutes les manifestations qui ont eu lieu cet été pour défendre l’hôpital et ses personnels. Le malaise social de l’hôpital vient de loin et a été exacerbé par la pandémie. Les promesses non tenues du gouvernement accentuent la crise.

 Abstract :

The author a trade union nurse recalls all the strike movements and all the demonstrations that took place this summer in defense of the hospital and its staff. The hospital’s social unrest has come a long way and has been exacerbated by the pandemic. The government’s broken promises exacerbate the crisis.

30 ans de logique comptable, 1 an de pandémie et 3 confinements, le protocole Ségur, beaucoup de blabla et peu d’avancées. Le gouvernement prévoit des améliorations salariales minimes, promises à quelques- uns sans renforcer l’attractivité ni la reconnaissance dont ont besoin l’ensemble des professionnels.

Depuis les ordonnances JUPPE de 1996, le Parlement vote l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) et le PLFSS (Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale) sur propositions du gouvernement à l’automne. Alors que la caisse est privée de ses recettes essentielles par l’exonération des cotisations sociales (- 2 milliards par an), l’exonération de taxe professionnelle (-1,8 milliard), la politique des bas salaires, du chômage, etc…et qu’une fiscalité injuste prive les recettes de l’État de 20 milliards par an, le gouvernement fait endosser par la Sécurité sociale, les coûts liés à la crise sanitaire tout comme la dette hospitalière. Et au nom du déficit des comptes de la Sécurité sociale, les « économies de santé » se montent pour 2021 à 4 milliards dont 900 millions sur le dos des établissements hospitaliers.

Ces économies sont un accélérateur des restructurations hospitalières, la situation étant pire qu’en mars 2020. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé le contenu de son ”plan massif pour l’hôpital” (amélioration des rémunérations pour les salariés, réorganisation des soins, programme d’investissement), mais tout nous montre que le gouvernement continue sa politique de destruction de l’hôpital public, au bénéfice du privé.  Fermetures de lits (Dress : 3400 lits avaient déjà été supprimés en 2019, 4000 en 2018. Entre 2003 et 2017, plus de 69 000 places d’hospitalisation à temps complet ont disparu). Des dizaines de milliers d’emplois supprimés et la précarisation des personnels (moyenne de 30% de contractuels par établissement public). L’abnégation des soignants et de tous les métiers de première ligne a été mise en exergue et applaudie mais pour Macron/Castex, pas question de bouger d’un pouce de cette politique de santé dictée par l’Europe néo-libérale dans les mains des lobbys de la finance. « Les hospitaliers n’ont qu’à mourir avec les malades ! ».

Le Ministre soigne sa communication en avril 2021 car il craint la colère des hospitaliers, pour autant le Ministère refuse l’augmentation du point d’indice gelé depuis 12 ans. Il  discrimine et exclut 50 000 soignants des revalorisations salariales prévues pour octobre prochain. Le Ségur de la santé, un moment de l’histoire manqué pour tous les professionnels de santé. Zéro euro par exemple pour les Sage Femmes qui ouvrent le « bal » le 5 mai de toutes ces journées de mobilisation en mai et juin derniers. En 20 ans, 40% des maternités ont disparu. Les fortes responsabilités médicales et le haut niveau de compétences des Sages Femmes ne sont plus à prouver. Des cadences et des rythmes de travail qui poussent au départ. Des effectifs insuffisants pour garantir la prise en charge des patientes et un exercice professionnel de qualité en sécurité. Besoin urgent de renforcer les équipes, et pourtant des milliers sont maintenus en CDD (sur des postes vacants).

Le 11 mai, grève nationale des services de Réanimation, qui eux aussi demandent la reconnaissance de la technicité et de leurs compétences, une réévaluation du ratio soignants/lits, un parcours de formation adapté pour la sécurisation des soins, des emplois pérennes, une revalorisation salariale, une vraie reconnaissance de la pénibilité de l’exercice pour tous !

Le 17 mai, les infirmiers-anesthésistes et les personnels de  blocs opératoires le 25 mai. Tous les établissements ont su puiser dans ces ressources humaines pour pallier au manque de personnels pour les « lits éphémères de réanimation » durant la crise sanitaire. Et ce, au détriment des agents utilisés tels des pions, et des patients programmés pour une intervention reportée.

Le 18 mai, les techniciens de laboratoire, « les invisibles » avec une activité 7 jours sur 7, 24heures sur 24 et une exposition dans un environnement chimique, physique et biologique dangereux, les diététiciens et préparateurs en pharmacie. Tous se voient refuser la revalorisation promise, la reconnaissance de ces professions en concordance avec leur niveau de qualification, des effectifs.

Le 3 juin, ce sont les ASH, agents de bio-nettoyage, stérilisation, brancardage, blanchisserie, restauration et parfois même les faisant fonction d’aides-soignants. Elles et ils sont un des maillons important dans la chaîne de décontamination, beaucoup de soins et de professionnalisme, pour éviter le risque de propagation du virus. Dans beaucoup d’établissements, 40% d’entre eux sont sur des fonctions d’aides-soignants sans qualification et sous payés. Des contrats en CDD à outrance. Un des leviers pour sortir de cette situation, serait d’augmenter les budgets de formation en vue d’une vraie qualification. Eux aussi sont exclus des revalorisations salariales et de la prime grand âge ou prime territoriale alors qu’elles/ils participent aux soins !

Le 10 juin, mobilisation des psychologues dont le gouvernement s’emploie à nier leur place en imposant un accès sous prescription médicale qui pénalise le public, en limitant leur indépendance technique et en conditionnant leur exercice clinique. Sous couvert de préoccupation humaniste pour la santé mentale de nos concitoyens, IGAS, Cour des Comptes, ARS et législation menacent de plus en plus leurs pratiques. Elles et ils demandent la création massive de postes pérennes de psychologues dans le secteur public.

Le 16 juin, le Collectif national des directeurs de l’UFMICT-CGT a attiré l’attention sur les difficultés quotidiennes qu’ils rencontrent alors qu’ils restent en première ligne dans la gestion de la crise sanitaire. La CGT a insisté sur la nécessité d’aller au-delà des mesures d’urgence pour repenser en profondeur l’organisation du système de santé et d’action sociale à partir des besoins de la population. Des décennies d’austérité ont amoindri les capacités du service public et les directeurs ne veulent plus être les gestionnaires de la pénurie.

Après plus d’une année de sacrifices et d’engagement auprès des publics les plus fragiles souvent en perte d’autonomie, et subissant toujours une précarité inacceptable et incompatible avec l’exercice de missions d’utilité publique, et ce, malgré les promesses du président de la République, le constat reste le même : des salaires et des conditions de travail déplorables, une absence de reconnaissance de notre secteur et de nos métiers, malgré leur rôle indispensable dans notre société. Aujourd’hui encore, le 15 juin 2021, avec toutes leurs forces et leur détermination, les professionnels de l’Action Sociale se sont mobilisés dans tous les territoires. 50% de grévistes dans certains hôpitaux psychiatriques, 10 000 manifestants, et combien de personnels assignés pour le service minimum ? Une journée en demi – teinte, une mobilisation malgré tout décevante, même si elle est le prolongement de nombreuses journées spécifiques de ces mêmes personnels. Fatigue, résignation, collègues qui ne se retrouvent plus dans l’appel à la convergence des luttes ?

Comment agréger les revendications de ces professionnels de santé qui entrent en lutte  pour diverses  motivations  avec,  toujours  au  cœur,  des  éléments  de  conditions  de  travail,  de  rémunération  et  de  reconnaissance des qualifications ? La perte d’espoir, le découragement, le fatalisme ou le manque d’intérêt, l’éloignement des choix politiques qui conduisent notre pays et impactent chaque citoyen sont une réalité que nous venons de mesurer au 1er tour des élections régionales et départementales avec 66% d’abstention. La 5ème République agonise ? « Faisons la révolution d’abord, on verra ensuite » (Louise Michel) ; « Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge, lève-toi car il est temps…car le monde sera ce que tu le feras…(Le Chiffon rouge) ».