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Comment concevoir le télétravail de demain?

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L’auteur s’interroge sur le télétravail qui a fortement augmenté durant l’épidémie de Covid 19. Elle examine les pratiques managériales et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Elle décrit l’isolement de ces travailleurs et cite les troubles musculo-squelettiques. Le télétravail néanmoins peut être un progrès. Il est essentiel de garder en tête que c’est l’humain qui est au centre de l’organisation, que ce soit dans le cadre du travail à distance ou sur site.

 Abstract :

The author questions telework, which has increased sharply during the Covid 19 epidemic. She examines managerial practices and the balance between professional and private life. She describes the isolation of these workers and cites musculoskeletal disorders. Telework, however, can be a step forward. It is essential to keep in mind that it is the human being who is at the center of the organization, whether in the context of remote work or on site.

Conséquence de la crise sanitaire, cela fait deux ans que le télétravail est devenu, de fait pour de nombreux nouveaux travailleurs, leur quotidien : le télétravail exclusif, à mi-temps, confiné, avec garde d’enfants etc… Les articles et sondages se multiplient. Êtes-vous pour ? contre ? équilibre ou déséquilibre ? autonome ou surveillé ? plus ou moins de temps de travail ? … Un constat surtout : deux ans plus tard, le télétravail souffre d’un manque évident d’encadrement. Preuve en est, c’est le ministère du travail, qui se substitue « aux partenaires sociaux » pour indiquer les règles à appliquer à chaque phase de l’évolution de la crise sanitaire.

L’accord national interprofessionnel de 2020 n’étant ni normatif, ni prescriptif, c’est donc le gouvernement qui fixe les règles et les contraintes aux entreprises par défaut. Lorsqu’on est nombreux à penser que le télétravail ne s’improvise pas, peu d’entreprises ont mis en place des actions et mesures concrètes pour accompagner le télétravail. Le télétravail est avant tout un mode d’organisation du travail dont il faut prévenir les risques et les anticiper en mettant en place des mesures appropriées notamment la mise en place de bonnes pratiques managériales pour permettre aux salariés de le vivre de manière sereine et efficace.

Quel télétravail après la crise sanitaire ?

Selon la 2e étude d’Eurofound « Living, working and Covid19[1] », 1/5 des travailleurs européens continueront le télétravail après la pandémie.

 

Vers une organisation hybride ?

Selon le baromètre Malakoff Humanis 2021, en France, le nombre de salariés en télétravail fin 2020 est le même que celui d’avant la pandémie mais avec un nombre de jours en moyenne plus élevé : un tiers des salariés en télétravail fin 2020 pour 3,6 jours en moyenne par semaine. La très grande majorité (86 %) des télétravailleurs souhaite poursuivre le télétravail après la crise sanitaire. Pour les salariés, le nombre idéal de jours de télétravail par semaine s’établit à 2 jours, contre 1,4 jour en novembre 2019. Se pose alors la question du partage des tâches en fonction du lieu de travail : Quelle place a le télétravail dans la nouvelle organisation du travail ? Le télétravail n’est pas juste le fait de réaliser à distance le même travail que l’on faisait sur site. Une vraie réflexion doit être menée avec les organisation syndicale sur l’organisation du travail.

Quelles pratiques managériales ?

Mais à cela s’ajoute les questions du management qui nécessitent d’être pensées en amont car elles ne s’improvisent pas : Comment piloter à distance de façon efficace ? Comment manager une équipe en confiance ? Il est donc indispensable de faire évoluer les pratiques managériales dans ce nouveau cadre de travail. Selon cette même étude Malakoff, la part des managers qui ont déclaré rencontrer des difficultés lors de la mise en place du télétravail a augmenté, passant de 18 % fin 2018 à 40 % fin 2020.

Parmi les nombreuses adaptations qu’impose le télétravail, celles qui leur semblent les plus difficiles à mettre en place sont :

  • de faire évoluer les postures managériales dans l’entreprise (33 %)
  • de repenser le maintien des liens collectifs pour éviter l’isolement et maintenir l’esprit d’équipe (31 %)
  • de faire évoluer en profondeur les modalités d’organisation du travail dans l’entreprise (30 %).

Face à ces difficultés, seul un tiers (32 %) déclare avoir bénéficié d’un accompagnement dans la mise en œuvre du télétravail. 28% disent avoir mis en place des formations pour leurs collaborateurs. Plus de la moitié (55 %) déclare cependant avoir veillé à ce que les collaborateurs en télétravail soient sensibilisés à l’utilisation et aux bonnes pratiques des outils collaboratifs. Ce que confirme 39 % des télétravailleurs interrogés (formation, sensibilisation aux risques, maîtrise des outils de travail à distance, bonnes pratiques…). Malgré ces difficultés, les managers reconnaissent toujours au télétravail les bénéfices suivants : une plus grande autonomie (51 %), une diminution des absences (35 %) et une meilleure satisfaction des salariés (33 %). L’importance de la formation du management ne doit pas être négligée. Même si le télétravail a l’air de fonctionner notamment sur des courtes périodes, les méthodes de management doivent évoluer pour un management de confiance.

L’équilibre vie privée et professionnelle : un mythe ou une réalité ?

Un lien de subordination permanent

Le débordement de la vie professionnelle sur la vie privée est encouragé par les modes d’organisation et de management des entreprises. Il se matérialise avec l’usage des outils numériques qui entretiennent un lien de subordination permanent avec l’entreprise, y compris hors des locaux et des horaires de travail, s’il n’existe pas d’encadrement sur l’usage des outils de communication et d’accord négocié sur le droit à la déconnexion. L’organisation du travail est un exercice qui se fait de façon collective et intelligente. Elle doit répondre à la volonté des salariés dans le but de leur offrir les conditions de travail qui leur permettent de s’émanciper et donc d’être productifs et créatifs au travail.

Une charge de travail qui explose, un temps de travail de plus en plus difficile à maîtriser, la sphère privée absorbée par la vie professionnelle

Selon l’étude Secafi-Viavoice de l’UGICT CGT en Octobre 2021 auprès de cadres et techniciens, 65 % des cadres souhaitent disposer d’un droit à la déconnexion effectif. Cette aspiration est aujourd’hui très largement majoritaire quelque soit la taille de l’entreprise, le champ professionnel et le secteur d’activité public ou privé. Le défaut d’encadrement des conditions de déploiement du télétravail participe au phénomène. Le télétravail défini de gré à gré dans chaque entreprise a ses limites. 56 % des cadres considèrent que les pratiques de télétravail sont insuffisamment encadrées et 68 % qu’elles ne protègent pas des durées excessives de travail.

La situation est davantage dégradée dans la Fonction publique par rapport au secteur privé sur :

  • l’insuffisance d’encadrement : 60 % vs 54 %.
  • la protection sur les durées excessives de travail et la garantie d’un droit à la déconnexion : 71 % vs 67 %.

Dans le secteur privé, l’analyse de ce sondage cadre montre que la situation est particulièrement dégradée dans les entreprises de moins de 50 salariés où 61 % des cadres estiment que le télétravail n’est pas suffisamment encadré, et à 71 % ne protège pas des durées excessives de travail. Ces chiffres traduisent aussi le lien étroit entre l’exposition des salariés à des durées excessives de temps de travail et à des risques pour la santé, et le défaut de représentation syndicale et de négociation d’accord avec les syndicats, notamment dans les plus petites entreprises.

La question de la durée du travail devient cruciale de nos jours et ce phénomène est mondial. Eurofound explique que la proportion de salariés travaillant pendant leur temps libre pour répondre à des exigences professionnelles, quotidiennement ou plusieurs fois par semaine, est beaucoup plus élevée parmi les personnes qui télé-travaillent que parmi les autres salariés. Il en va de même pour les longues heures de travail – définies comme étant supérieures à 48 heures par semaine – et, ici, particulièrement pour les télétravailleurs très mobiles, où les travailleurs disposent généralement d’un niveau élevé d’autonomie. L’autonomie en matière de temps de travail ne permet pas à une grande partie des télétravailleurs très mobiles d’éviter de travailler de longues heures. La probabilité que les télétravailleurs fassent de plus longues heures augmente avec l’incidence de la pression du travail et des interruptions.

 

 

Il existe un certain risque que les heures supplémentaires travaillées soient informelles et non rémunérées, surtout si les heures supplémentaires ne sont pas enregistrées. Travailler de longues heures peut également réduire le temps de repos entre deux journées de travail. Les télétravailleurs sont plus susceptibles de ne pas bénéficier d’une période de repos de 11 heures consécutives par 24 heures, ce qui est le niveau stipulé par la directive sur le temps de travail (2003/88/CE). Là encore, ce sont les télétravailleurs très mobiles qui sont les plus touchés. Ces travailleurs sont également plus susceptibles de déclarer souffrir de problèmes de santé, tels que le stress lié au travail et les troubles du sommeil.

 

 

Isolement

Pour certains salariés, le travail en distanciel est synonyme d’isolement et de perte de repère. Et cette problématique est d’autant plus accentuée chez les nouveaux recrutés qui n’ont jamais trouvé leur place dans l’entreprise. Ce sentiment d’isolement prévaut surtout quand le télétravail est subi et non pas choisi. Il ne suffit pas de décrocher son téléphone pour appeler un salarié qu’on soupçonne en souffrance pour régler la situation ; il est nécessaire d’anticiper ce risque et de mettre en place une organisation du travail et un mode de communication pour l’éviter. Certaines entreprises ont décidé de mettre en place des baromètres télétravail pour prendre contact avec les salariés et mesurer l’impact du télétravail notamment sur cette question d’isolement. Autant cette mesure permet une prévention tertiaire, autant elle ne permet pas d’anticiper ce risque évident si la communication ou les actions collectives ne sont pas efficaces.

Ergonomie et troubles musculo-squelettiques

Combien parmi nous ont travaillé sur la table de la cuisine ou dans le canapé ? Les salariés ne bénéficient pas toujours de conditions appropriées pour travailler convenablement à leur domicile. Et les accords d’entreprise ainsi que l’accord national interprofessionnel laissent à l’appréciation de l’employeur le remboursement des frais engendrés par le télétravail. Les troubles musculo-squelettiques liés aux mauvaises postures et au manque de matériel ergonomique se sont aussi multipliés. De même plusieurs salariés se plaignent des problèmes de sédentarité et notamment avec le télétravail à temps plein. Selon l’étude Viavoice, un an après le télétravail massif, une majorité de répondants considère que le télétravail a un impact négatif sur leur activité physique, 40% ressentent davantage de troubles musculo-squelettiques et près d’un tiers des migraines ou gênes oculaires.

L’entreprise a un rôle à jouer sur cette question de l’hygiène de vie en sensibilisant les salariés mais surtout en leur permettant d’avoir des plages horaires suffisantes pendant la journée pour exercer une activité sportive afin de prévenir ces risques.

Focus sur les télétravailleuses

Selon l’étude de la DARES[2], les télétravailleuses connaissaient en moyenne une plus forte dégradation de l’intensité du travail que leurs homologues masculins, qu’elles soient en télétravail régulier ou non. Par rapport à l’avant crise, elles sont plus nombreuses à subir une augmentation de la pression au travail, à devoir penser à trop de choses à la fois, ou encore, à recevoir des ordres contradictoires. Les télétravailleuses signalent davantage que les télétravailleurs la dégradation de leurs conditions de travail et des exigences émotionnelles plus fortes : elles ressentent davantage une hausse des tensions au travail et sont plus souvent bouleversées dans leur travail. Par rapport à l’avant crise, elles sont plus nombreuses à se voir reprocher par l’entourage, leur manque de disponibilité. Une partie de l’explication vient de la différence dans la composition des profils de télétravailleurs, le groupe de ceux qui éprouvent des difficultés matérielles dans sa mise en œuvre (« vulnérables ») étant le plus féminisé. Toutefois, au-delà de ces effets de composition, l’écart entre genre persiste au sein du groupe qui télé-travaille toute la semaine (« exclusifs ») : la conciliation vie professionnelle / personnelle est plus difficile pour les femmes qui se situent dans ce groupe [5 et 6].

L’importance du volontariat

Le télétravail doit être sur la base du volontariat pour qu’il participe au progrès. C’est un élément clé. Ce volontariat est en quelque sorte remis en cause aujourd’hui puisque plusieurs entreprises saisissent la situation exceptionnelle que le Covid19 a imposé pour mettre en place une organisation qui ne laisserait pas grand choix au salarié. Ne serait-ce que par la diminution des espaces de travail, quel choix a-t-on si notre poste de travail physique n’existe plus ? Des milliers d’accords ont été négociés dans les entreprises depuis le Covid mais souvent ces accords ont été accompagnés par des réaménagements des locaux sur décision unilatérale de l’employeur. Or la productivité est directement liée à la question de volontariat et au fait que le salarié soit au centre du processus.

Le télétravail peut être un progrès pour les salariés

Le télétravail peut être un « progrès » pour les salariés et les cadres en particulier s’il est bien encadré et si sa pratique a bien été pensée avec l’organisation du travail des équipes. Des mesures doivent être prises pour prévenir les risques qu’engendre cette organisation du travail car il s’agit avant tout d’une organisation du travail. Comment bien encadrer le télétravail à une époque où nous pouvons nous connecter n’importe où n’importe quand, et où pouvoir disposer de plus d’autonomie dans l’organisation de son travail est une forte demande des salariés ? C’est pour cela que la négociation dans les entreprises est essentielle pour prévenir l’intensification du travail et les organisations du travail pathogènes que montrent beaucoup d’études. La hausse de la charge et du temps de travail que signalent ses études nécessite d’anticiper les risques.

Il faut évidemment garder l’atout de la flexibilité de l’organisation que permet d’obtenir le télétravail : en passant moins de temps dans les transports, en pouvant répondre à certaines obligations personnelles durant le temps de travail, en ayant la liberté de se déconnecter pendant les heures de travail et se reconnecter à des moments plus propices. Cette maitrise des temps à la main des salariés permet une meilleure efficacité dans le travail et favorise un meilleur équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Mais à ce jour, les dérives restent multiples : le temps de trajet est souvent remplacé par du temps de travail, les pauses sont inexistantes, la charge de travail est croissante et le fonctionnement du collectif du travail ne permet pas d’apporter le soutien entre collègues car l’organisation du travail et le management ne sont pas adaptés.

Cette crise a contraint beaucoup d’employeurs, par la force des choses, à faire confiance à leurs travailleurs ; ils se sont même rendu compte que leur productivité a augmenté. Il faut continuer dans ce sens. L’autonomie et la confiance sont des demandes fortes des salariés. Mais il faut aussi revoir l’organisation du travail pour permettre au collectif de travail de bien fonctionner. Il est essentiel de garder en tête que c’est l’humain qui est au centre de l’organisation, que ce soit dans le cadre du travail à distance ou sur site. Si nous partons de ce principe nous ne pouvons que progresser.