«La toute-puissance des Laboratoires», article du Monde diplomatique de Mars 2021.

NOTE DE LECTURE PAR LE DR PAUL CESBRON

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Une économie marchande de nos vies.

À propos de l’article : Frédéric Pierru, Frédérick Stambach, Julien Vernaudon, «La toute-puissance des Laboratoires. Les brevets, obstacle aux vaccins pour tous»,  le Monde diplomatique, Mars 2021.

Voilà un excellent article, signé par Frédéric Pierru, sociologue, Frédérick Stambach, coordinateur de Santé, et Julien Vernaudon, médecin généraliste. On ne plaisante pas avec l’économie de marché : on négocie (?) et l’on paie. D’autant que la concurrence est au départ limitée, sinon faussée. Quant aux tractations elles sont parfaitement dissimulées et les firmes dégagées de toute responsabilité sanitaire. La démocratie n’a guère sa place dans le monde des grosses affaires.

Alors que les pays les plus riches du monde représentent 13% de la population du monde, ils se sont assuré plus de 51% de la production de vaccin à ce jour ! D’ailleurs, même dans cette catégorie la première servie, les inégalités sont aussi la règle. Le plus offrant est évidemment le mieux secouru. Didier Fassin n’a pas attendu 2021 pour rappeler la persistance de l’inégalité des vies au Collège de France.

En janvier 2021, l’Organisation Mondiale de la Santé faisait part du caractère scandaleux de la répartition des vaccins dans le monde, administrés en presque totalité aux pays à revenus élevés, en dépit des deux outils égalitaires qu’elle avait conçus :

  • le groupement d’achat mondial (Covax) et,
  • un pool d’accès aux technologies de fabrication du vaccin, garantissant le partage universel de la propriété intellectuelle (C-TAP).

Alors que dès le début 2020, notre Président affirmait que les vaccins devaient devenir des biens publics mondiaux, commençaient les premiers versements de fonds publics aux laboratoires. Ils n’étaient, en définitive, pas si démunis que cela, face à cette pandémie que la communauté scientifique internationale considérait comme vraisemblable, à terme, après le SRAS, H1N1, et EBOLA. Et les premiers ne tardèrent pas à s’installer sur un marché absolument considérable (plusieurs milliards de doses nécessaires, représentant des milliards de dollars de bénéfice). Le cofondateur de BioNTech a expliqué, le 20 novembre 2020, que son vaccin a été conçu en quelques heures en janvier 2020. Les premières firmes obtiennent les autorisations de mise sur le marché (A.M.M.) dès décembre 2020 (Astra-Zénéca, Pfizer, Moderna). Pour un prêt préliminaire de la Banque européenne d’Investissement de 100 millions de dollars à BioNTech, 25 millions sont consacrés aux profits. Et les auteurs de l’article de s’émouvoir de l’exigence de profits sur des vaccins. Pourtant il ne s’agit pas de cynisme, mais seulement de la logique de notre économie. Sans oublier les droits sur la propriété intellectuelle (durée 30 ans) qui ne cessent de se renforcer. Devrait s’y opposer la licence obligatoire ou licence d’office (Déclaration de Doha, 2001, consécutive à l’épidémie de VIH). Dans les situations d’urgence, n’est-ce pas le cas y compris pour nos gouvernements qui ne cessent de nous inonder de discours alarmistes pour réduire les droits démocratiques ? Il est autorisé de déroger aux droits de la propriété intellectuelle. La France pourrait, comme de très nombreux pays, appliquer cette dérogation et assurer ainsi ses propres besoins en vaccin… et au-delà.

Or notre vieux et très riche pays ne le peut pas tant sa désertification industrielle programmée réduit sa souveraineté sanitaire. Effarant ! D’autant qu’il nous faudrait, Europe comprise, affronter les prétentions hégémoniques des États-Unis. Nos gouvernements leur ont déjà cédé en 2014 à propos des tarifs prohibitifs imposés pour le Sovaldi (traitement des hépatites C). Alors qu’ils ne se sont pas privés d’utiliser cette procédure d’urgence lors des attaques bioterroristes, utilisant des bacilles du charbon (Anthrax).

Déplorable : la politique très active de vaccination de la Grande-Bretagne semble donner raison aux adversaires d’une Europe incapable d’élaborer une stratégie commune face à cette pandémie. Chacun y va du côté de ses intérêts propres.

Pour conclure, les auteurs proposent un certain nombre d’exigences salutaires. Elles n’aboutiront pas aujourd’hui, bien sûr. Pour l’avenir, il nous faut mobiliser les consciences afin de rendre la citoyenneté aux citoyens et notre capacité à orienter le monde vers plus de justice et de respect de la personne.