Cette note est écrite à propos d’un texte signé Aifang MA, publié par la Fondation pour l’innovation politique. Celle-ci se présente comme un think tank libéral, progressiste et européen.
On ne s’attardera pas à l’analyse de cette auto-désignation, sans doute délibérément contradictoire dans notre vocabulaire politique contemporain. Non, il s’agit d’une belle analyse à partir de données de base, actuelles et tendant à l’exhaustivité. D’emblée ce travail ne s’inscrit pas dans une perspective historique, mais dans le cadre des rivalités géopolitiques avec les États-Unis. Nous y reviendrons.
En premier, c’est l’affirmation d’un choix stratégique de la Chine, ce pays-continent grand et peuplé aujourd’hui comme environ vingt fois la France, d’ancienne et très riche culture, pauvre et mis en pièce au début du XXe siècle, réellement indépendant depuis 1949 et désormais grande puissance mondiale. Ce grand bond en avant, vilipendé à l’époque où ce pays se donnait cet objectif, n’en est pas moins une forte réalité qui permet de nourrir, d’éduquer, de soigner, une population qui connaissait les privations alimentaires, culturelles, d’hygiène… Ce niveau de développement acquis en moins de soixante-dix ans, émerveille ou inquiète. Ce que nous appelons atteintes aux libertés démocratiques, conquises en Occident par des siècles de luttes alors que nos pays conquérants s’enrichissaient par l’exploitation de peuples des autres continents, mérite pour le moins attention. Quoiqu’il en soit, ce pays a réellement atteint un haut niveau de développement, jusques et y compris, dans ce que nous nommons les biotechnologies.
Voyons cela à travers cet article et les questions qu’il pose à la Chine, tout particulièrement sur le plan éthique, pour son auteur.
5 octobre 2015
Une femme, Tu Youyou, reçoit le Prix Nobel de médecine, c’est considérable ! Dans les années 1980, la Chine s’inscrirait dans une compétition scientifique internationale, privilégiant dorénavant la recherche et la volonté de construire une véritable puissance technologique. Elle prend alors une avance considérable dans l’édition du génome humain, et des techniques dites PD-1, CAR-T cells, de Cellules souches…, ses chercheurs publient à un rythme soutenu et ses brevets en biotechnologies dépassent en nombre celui obtenu par leurs collègues des USA. Ces résultats concernent la médecine, l’agriculture et l’industrie. L’article, on l’a dit, se propose de souligner le niveau des rivalités sur ce terrain avec les États-Unis et l’avenir de cette activité novatrice.
1978, démarrage officiel des biotechnologies en Chine
Elle n’est donc pas en retard dans ce que l’auteur considère comme une compétition internationale. Ne s’inscrit-elle pas en fait simplement dans l’évolution logique, pour ne pas dire naturelle, des sciences et des techniques ? En tout cas elle s’en donne les moyens, affichant très officiellement son objectif au niveau de l’État. Le programme d’action, Développement et Recherche (R&D) se précise en 1987 en particulier en médecine et agriculture : génétique, dont la génothérapie, la vaccination et mise au point de nouvelles espèces animales et végétales de haut rendement. Il faut d’abord nourrir et assurer la santé de ce peuple de près d’un milliard et demi d’habitants, dont la croissance démographique doit être freinée pour mettre fin aux catastrophes du passé (Politique de l’enfant unique). D’autant que de nouvelles menaces infectieuses ne se font pas attendre (SARS et Covid 19). De plans quinquennaux en plans quinquennaux, les objectifs et financements se précisent : la Chine ne part pas à l’aventure, elle dirige son navire avec clairvoyance et volonté dans le cadre d’une économie laissant désormais place à l’initiative privée : Talents en priorité, Chine en bonne santé…
Le dynamisme se poursuit sous les yeux ébahis du Monde : thérapies cellulaires, vaccins, banque de gènes, banque de cellules, médicaments biologiques… Sur le plan économique la biotechnologie atteint 4% du PIB, devenant ainsi une des industries dominantes du pays et est assurée de la vente de sa production par l’État. Le taux d’imposition est réduit pour ce secteur de 25% à 15%. Résultat : les investissements privés sont en plein essor (l’article comporte un tableau chiffré des objectifs quantifiés de cette activité en 2020).
Recruter des talents
Tout d’abord, compter sur ses propres forces, mot d’ordre de la Révolution culturelle, toujours principe fondateur. Les biotechnologies doivent atteindre 60% d’autoproduction (!) avec une dépendance de moins de 30% de produits étrangers dans cette spécialité. Brevets et travaux scientifiques doivent appartenir au groupe de tête (cinq premiers sur le plan mondial).
Le recrutement de chercheurs est évidemment primordial : 5 millions en 2020 ! Les conditions sociales de ce personnel sont très favorablement assurées (plus de 150 000 €. annuels dans une université). À faire rêver la plupart des chercheurs français, auxquels il faut associer, logement gratuit et diverses aides. Le succès est complet d’autant que s’y associent des chercheurs étrangers également choyés. Peut-on trouver mieux ?
Cependant le marché chinois ne représente encore que 10% du marché étasunien. Au succès des formations étrangères et du retour au pays s’associe le transfert de biotechnologies sous la forme de fusion-acquisition très intéressante réciproquement. (Syngenta, entreprise suisse spécialisée dans le phytosanitaire et les semences). Les Contrats d’Organisation de la Recherche (CRO) offrent aux industries occidentales des services externalisés pour les études précliniques et cliniques (36% sont implantés en Chine). Quant aux CMO, Contrat d’organisation de la fabrication, autorisation de production et de mise sur le marché, la Chine est aujourd’hui le deuxième pays attribuant des C.M.O., après les États-Unis.
La biomédecine d’abord
La biomédecine est principale dans le secteur des biotechnologies en Chine.
C’est à une source biologique que s’alimentent ces produits (exemple lointain : les vaccins).
L’incidence des cancers est élevée en Chine et l’espérance de vie dans ces conditions reste basse. À ce titre la Chine s’est fixé un objectif sanitaire ambitieux en 2030. Et puis, résultat remarquable, l’espérance générale de vie n’a cessé de progresser, sans toutefois rejoindre celle des pays les plus riches. Il faut donc encore accomplir de nouveaux bonds en avant. Certes la biopharmacologie s’est développée, ce n’est pas vraiment nouveau dans ce vieux pays, ainsi que de multiples centres thérapeutiques spécialisés. La Chine dispose du deuxième marché génomique du monde. Près de deux cents anticorps monoclonaux y sont mis au point ainsi que des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire (bloquant les protéines inhibitrices du système immunitaire protégeant du cancer).
À la génothérapie, la cellulothérapie, s’associent les recherches sur les vaccins, la détection précoce d’affections graves, la régénération tissulaire, les anticorps… Bref une palette de recherches et d’applications thérapeutiques considérables, équivalentes à celle des pays occidentaux et souvent originales, ne cesse de s’élargir et d’innover, fortement soutenue par l’État et stimulée par l’intérêt que porte la population du fait du remboursement des médicaments. Hors médecine, la biotechnologie s’intéresse à la bioénergie également en pleine croissance et réductrice de pollution ainsi qu’à tous les matériaux bio-sourcés (biomanufacturing). Il n’est plus dit qu’à ce sujet la Chine restera à la traine (plastique biodégradable, biosolvants, carburant à l’éthanol, production d’électricité…). Du biologique partout !
Les Chinois adorent le bio, mais refusent les O.G.M.
Qui l’aurait dit : Plus bio, tu meures ! Ni herbicides, ni engrais chimiques, réduction de la souffrance animale, riz hybridé avec un riz sauvage, multipliant la production et assurant la sécurité alimentaire de la population… mais cependant les OGM de toutes sortes végétales et animales sont produits alors qu’autour de 45% des Chinois leur sont défavorables quel que soit l’avis de la Food and Drug Administration (F.D.A.). Il faut rappeler que les chinois, ils ne sont pas les seuls, ont été marqués par quelques scandales alimentaires (Intoxication d’enfants par du lait frelaté, porcs en mauvais état de conservation…). Vive le bio ! Y compris si c’est plus coûteux. Et tant pis pour les inégalités d’accès (Labels affichés). La volonté de faire progresser cette activité est très forte, les moyens pour avancer également. Répondre aux besoins du peuple est premier, mais il faut aussi participer au grand commerce international, c’est-à-dire beaucoup investir. Ce n’est pas simple pour un immense pays parti d’aussi bas.
Il en est de même pour la médecine interventionnelle (chirurgie endoscopique et prothétique), échographie, I.R.M., angiographie… très dépendantes de l’importation. Mais la Chine possède de véritables atouts : séquençage du génome et thérapies géniques (CRISPR-Cas9), traitements novateurs des cancers, du V.I.H. diagnostic moléculaire. Nous approchons du futur : biopuces diagnostiques, nanorobots permettant des interventions à distance ! Les manipulations génétiques sont autorisées en Chine. La demande intérieure est très forte, liée à l’accroissement rapide du niveau de vie et à l’incidence élevée des cancers.
Et l’avenir?
L’auteur de l’article insiste sur la grande confiance de la population dans les progrès médicaux, en dépit d’erreurs et d’échecs. Elle a de fortes raisons : les souvenirs encore récents d’un passé souvent misérable et dangereux. À l’extérieur, la crainte d’un développement aussi impétueux génère, en partie, des critiques qui méritent l’attention. En particulier éthiques.
Certes les manipulations génétiques sur les humains doivent être interdites selon nos normes morales, religieuses et culturelles, d’autant que nous en avons vécu la cruelle expérience. Ces leçons nous paraissent s’imposer à toute l’Humanité, à juste titre. Des falsifications diverses ont déjà eu lieu. Elles ont été sévèrement sanctionnées (c’est probable, ne serait-ce que parce qu’elles nuisent gravement à la réputation de la recherche du pays). Il serait sans doute injuste de considérer les Chinois insensibles à ces arguments dans un monde désormais globalisé, quoi qu’on puisse en discuter. L’exemple de deux bébés génétiquement modifiés est mondialement connu et le chercheur chinois responsable s’est vu accusé de ne pas avoir eu l’autorisation de pratiquer ce geste. Qui connaitra la vérité ? Il sera bien difficile à l’avenir de reproduire cette thérapeutique.
Les profits faramineux empochés par les fabricants encourageraient-ils le crime ? Cette suspicion mériterait qu’on examine d’autres profiteurs, d’autres nations. D’ailleurs la défiance de principe dont bénéficierait la Chine ne lui est-elle pas profitable. Un homme averti n’en vaut-il pas deux ? La Chine a rattrapé un retard lié aux tragédies de l’Histoire. Quoi de plus normal ? Sera-t-elle enivrée de son succès, devenant menaçante pour le monde ?
L’auteur du texte confond, semble-t-il, émulation et rivalité, c’est un choix marqué du sceau de l’expérience humaine. La Chine n’a-t-elle pas tout connu et son peuple semble, si l’on croit Aifang MA, posséder une grande sagesse ? La tâche principale des gouvernements chinois n’était-elle pas d’apporter le pain et la paix à son peuple et non de se poser en rivaux des États-Unis ?
Cependant, comme l’a proclamé le poète,
«Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce»
Louis Aragon, 1946
Aifanf Ma, «État des lieux des biotechnologies en Chine», Fondation pour innovation politique, février 2020.