©Usman Yousaf (Unsplash)

Les conséquences de la crise de la Covid sur les réformes de la psychiatrie

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L’auteur dénonce les réformes proposées par le gouvernement qui ne tient pas compte de la violence à laquelle sont soumis les soignants et qui, sans moyens humains supplémentaires, seront tout simplement vectrices de plus de situations de violences, plus d’arrêts maladie et une désertification plus importante des soignants dans un secteur déjà en crise.

Dans un entretien au Quotidien du médecin du 8 décembre 2020, le professeur Frank Bellivier,  délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie fait un état des lieux et présente ce que seront les futures réformes de la psychiatrie. Dans cet entretien il explique que la fameuse « troisième vague psychiatrique » n’est pas encore arrivée et que grâce aux mesures du Ségur la psychiatrie est un peu plus prête qu’avant à faire face. Ainsi, le Ségur permettrait un renforcement des Cellules d’Urgence Médico Psychologiques (CUMP) avec des interventions en en EHPAD et dans le médico-social, une augmentation des psychologues dans les Centres Médico-Psychologiques  et centres psychotraumatisme. Les Équipes de Liaison Spécialisée en Addictologie, Équipes Mobiles Psychiatrie Précarité et Permanences d’Accès aux Soins de Santé seront également renforcées. Différentes lignes téléphoniques sont mises en place pour recueillir la souffrance psychique et donner des informations. Plusieurs millions d’euros sont annoncés.

Puis il évoque l’augmentation de la demande de soins en psychiatrie notamment pour les troubles moins sévères. Il reconnaît que l’offre de soins n’a pas évolué avec la demande de soins et qu’il est nécessaire de réformer la psychiatrie. Pour cela plusieurs mesures sont évoquées, comme le Projet Territorial de Santé Mentale (PTSM), la réforme des autorisations et la réforme du financement de la psychiatrie. L’entretien se termine avec l’ambition de pérenniser les dispositifs mis en place pendant la crise et sur la bascule vers l’ambulatoire et le numérique.

Il est tout d’abord intéressant de remarquer qu’une « vague psychiatrique » a déjà eu lieu durant l’été, quelques mois après le début du premier confinement. Celle-ci a été assez difficilement vécue, car l’offre de soins ambulatoire a été fortement diminuée et des soignants à risque avaient été mis en retrait. L’hôpital psychiatrique a été fortement saturé pendant quelques mois. Il est donc probable que la nouvelle vague psychiatrique apparaisse également avec quelques mois de retard sur ce deuxième confinement.

Étant personnellement psychiatre responsable de la CUMP 88 (Vosges) le déploiement de ce dispositif reste à évaluer et à questionner. La CUMP est habituellement déclenchée pour des événements d’apparition brutale avec des psychotraumatismes. La CUMP est déclenchée via le SAMU et se déplace, l’objectif étant de repérer sur place les individus psycho-traumatisés. Dans ce cas de figure, nous sommes sur un temps long avec des situations de souffrance au travail et un mode d’action passif où les soignants de la CUMP attendent les appels de personnes psychotraumatisées. Les soignants ne vont pas vers les soignés, c’est l’inverse. Parfois la CUMP intervient sur place dans les EHPAD ou structures médico-sociales, mais uniquement de manière ponctuelle en appui à la médecine du travail (souvent le psychologue du travail). Nous n’avons pas de statistiques pour savoir si ce dispositif a été utilisé, mais en tout cas les appels ont été peu nombreux voir quasiment inexistants et de nombreux directeurs d’établissements qui font appel à la CUMP rappellent pour annuler les interventions, car le nombre de demandeurs de soins est trop faible. Par ailleurs les équipes d’addictologie, sur la précarité et le dispositif de rappel téléphonique des suicidants « vigilanS » méritent d’être développés.

Il est certain que la demande de soins en psychiatrie augmente. On peut y voir des personnes en souffrances qui ne consultaient pas hier et demandent des soins aujourd’hui. On peut aussi y voir aussi une société capitaliste aliénante qui mutile les esprits.

Les réponses apportées sont surtout structurelles. Elles semblent opposer « une vieille psychiatrie » celle de l’hôpital et du secteur, contre une « nouvelle psychiatrie » qui travaille avec de multiples partenaires. Il faut surtout y voir une manière de ne pas donner plus de moyens à la psychiatrie. Il suffit de lire les PTSM qui sont tous presque identiques : il n’y a pas assez de psychiatres, encore moins de pédopsychiatres, nous travaillons avec des partenaires (sociaux ou médico-sociaux) pour diminuer le nombre de patients suivis par la psychiatrie. Loin de moi l’idée qu’il ne faudrait pas travailler avec nos partenaires, mais cela doit se faire pour améliorer les soins en prenant en compte tous les aspects qui interviennent sur l’individu. En aucun cas ces partenariats ne doivent être des réponses à une pénurie médicale.

La réforme du financement de la psychiatrie se précise un peu. On y voit des critères faisant référence aux caractéristiques de la population du territoire, ce qui est une approche intéressante à condition que ces critères tiennent compte de la précarité des populations avec un financement adapté. Par contre la réforme fait apparaître un critère d’activité, qui semble identique à la fameuse T2A dont les effets néfastes sont tellement importants que même le Président de la République l’a reconnu, probablement le « en même temps »…

Pour finir, il est dommage que l’entretien ne traite pas de la loi qui limite l’usage des contentions et isolements. Une réforme belle sur le papier, qui garantit par des moyens juridiques une diminution des privations de libertés. Mais une réforme qui ne tient pas compte de la violence à laquelle sont soumis les soignants et qui, sans moyens humains supplémentaires, sera tout simplement vectrice de plus de situations de violences, plus d’arrêts maladie et une désertification plus importante des soignants dans un secteur déjà en crise.