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La COVID-19 et l’Afrique: l’expérience du Sénégal

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Même si la situation épidémiologique de la COVID-19 est pas comparable à celle de l’Europe ou de l’Amérique du nord, elle n’en pose pas moins d’énormes défis aux systèmes de santé des pays africains. La Pandémie a apporté une preuve supplémentaire de l’inanité des politiques néolibérales en cours.  Les statistiques de morbidité et de mortalité doivent être manipulées avec prudence parce que le dépistage de masse est hors de portée des nombreux États. Alors que se profile une deuxième vague beaucoup de questions restent sans réponses.

Depuis le 30 janvier 2020, l’OMS a déclaré l’épidémie de COVID-19 comme urgence sanitaire de portée internationale. Mais il s’avère, de plus en plus que la crise sanitaire actuelle va bien au-delà d’une simple épidémie due à un virus particulièrement contagieux. Elle révèle, au grand jour, les dysfonctionnements gravissimes du mode de production capitaliste dominant, qui accentue les inégalités sociales au sein des pays riches et creuse davantage le fossé entre ces derniers et les pays en développement.

Les politiques publiques, à l’épreuve de la COVID-19

Au-delà des aspects purement sanitaires, la crise de la COVID-19 a permis de mesurer les niveaux d’équité, de redevabilité et de performance dans la mise en œuvre des politiques publiques, surtout celles ayant trait à la santé et à l’action sociale. Si la maitrise des techniques épidémiologiques a pu parfois faire illusion, l’absence, dans la plupart des pays africains, d’une vision holistique de la santé, prenant en compte les déterminants sociaux de la santé, a été préjudiciable à une gestion correcte de la pandémie de COVID-19. Malgré un profil épidémiologique moins sévère que dans certains pays occidentaux, la prise en charge médicale des patients COVID-19 a pâti, ici plus que partout ailleurs, de contraintes économiques antérieures, dont notamment la soumission aveugle au diktat des politiques néolibérales d’ajustement structurel.

En effet, au-delà de la faiblesse structurelle de systèmes sanitaires sous-financés, rares sont les pays, qui ont réussi à mettre en place des politiques adéquates portant sur les déterminants que sont le niveau de revenu et le statut social, les réseaux de soutien social, l’éducation et l’alphabétisation, l’emploi et les conditions de travail, le développement de la petite enfance, l’addiction, l’alimentation, le transport, le stress, l’exclusion sociale… Dans le même sens, on a observé, ces dernières années, des reculs dans la mise en œuvre de la stratégie des soins de santé primaire au profit d’une approche hospitalière curative coûteuse et peu accessible à la majorité des citoyens, surtout les couches les plus modestes de la population, exclues de fait de l’accès aux soins.

De plus, l’inexistence ou le caractère embryonnaire de la couverture sanitaire universelle ont favorisé le développement fulgurant de la médecine privée remettant en cause la prédominance du secteur public, qui a toujours porté les mécanismes de protection sociale des couches vulnérables. Le leadership des ministères en charge de la santé a souffert et continue de pâtir du fait que les partenaires techniques et financiers, qui jouent un rôle-clé dans le financement des programmes de santé et d’action sociale, définissent leurs propres feuilles de route, sans toujours prendre en compte les priorités nationales et locales dans les pays à revenus faibles. Par ailleurs, les mauvaises habitudes de mal-gouvernance ancrées dans le système sanitaire (récurrence des conflits d’intérêts, quasi-impunité pour les auteurs de fautes de gestion, non-respect fréquent du code des marchés publics…etc.) ont eu des effets délétères sur la gestion de la pandémie.

Concernant les prestations de services, il y a énormément d’efforts à faire pour la rationalisation des soins et le respect de normes de qualité. En effet, des difficultés réelles apparaissent, dès qu’il s’agit de mettre en place une offre de paquets de soins répondant à l’ensemble des problèmes de santé de la population, en raison de l’insuffisance des ressources humaines, matérielles et financières et/ou de la faiblesse des plateaux techniques. D’autant que la redevabilité des prestataires vis-à-vis d’usagers de plus en plus informés et exigeants reste problématique.

Un dépistage de masse, hors de portée des États

Les tests de dépistage constituent un outil irremplaçable pour contrôler la pandémie selon la formule des 3 T (test, track and treat). Après plusieurs mois de gestion de la pandémie, il apparaît clairement que le dépistage massif des cas est hors de portée de la majorité des pays à revenu faible et intermédiaire pour des raisons de disponibilité du test, de coût, mais aussi d’absence de volonté politique. Or, la stratégie de contrôle, dans le cas du Covid-19, repose sur la détection active des cas (active case-finding), en vue d’identifier un maximum de patients, de mettre en place des mesures d’isolement et de limiter la circulation du virus. Cette stratégie ne peut fonctionner de manière optimale, que si le maximum possible de personnes a accès à un test diagnostique.

En réalisant un faible nombre de tests et en laissant en rade des centaines voire des milliers de cas positifs asymptomatiques, d’autant plus contagieux qu’ils ignorent leur statut virologique, on contribue à l’accroissement du taux de reproduction et à l’extension de la pandémie. En définitive, en privilégiant le dépistage des patients symptomatiques, les gouvernements privent volontairement des outils pour identifier les chaînes de transmission individuelle et les sources de contamination. Tant et si bien que la pandémie tend à devenir silencieuse avec des statistiques très peu fiables. En raison des limites réelles liées à la disponibilité des tests PCR et à leur coût prohibitif, le dépistage de masse devrait s’intégrer dans une démarche d’ensemble basée sur la mise en œuvre de la communication sur les risques et l’engagement communautaire.

Pour minorer les conséquences fâcheuses liées à la sous-estimation du nombre de cas positifs, il faudrait mettre en place une stratégie nationale de dépistage appropriée. Elle devra associer plusieurs variétés de tests (PCR, antigéniques, TDR et sérologiques) et diverses modalités de dépistage, comme des investigations ponctuelles au niveau de certains groupes (professionnels et/ou à risques) et utilisant des techniques judicieuses d’échantillonnage.  Malgré les insuffisances du dépistage, la progression inexorable de la mortalité renseigne sur le sérieux de la situation. Certes, les statistiques sur les causes de mortalité sont faussées par le fait que la détermination du genre de mort ou l’autopsie ne sont pas systématiquement faites pour les décès survenant à domicile ou au sein de la communauté. C’est le lieu d’en appeler à la mise sur pied d’observatoires nationaux des causes de décès ouverts aux professionnels de santé et aux organisations de la société civile et communautaire, pour mesurer l’impact réel de la pandémie, en termes de mortalité.

 Les opportunités de l’engagement communautaire

Une des raisons de la relative résilience des pays africains à la pandémie se trouve dans leur expérience de gestion des épidémies, l’existence dans plusieurs d’entre eux, d’un système de santé de district, pyramidal avec maillage communautaire dense, tel que recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Malheureusement, les décideurs ont souvent préféré miser sur une approche top-down et ont négligé leur travail de facilitation et de coordination de l’engagement communautaire.

Au bout du compte et malgré tous les efforts surtout en matière de prise en charge médicale, la situation épidémiologique est loin d’être maitrisée après une accalmie passagère et on a remarqué l’apparition de phénomènes tels que la stigmatisation, le déni. Cela a fini par entraîner une baisse de la confiance des populations vis-à-vis des directives provenant des autorités et l’abandon progressif des mesures barrières. Les experts en santé communautaire partent toujours du postulat, qui veut que les communautés doivent être au cœur de toute intervention de santé publique. Cela a pu être démontré pour plusieurs problèmes de santé, notamment la prise en charge de maladies telles que le paludisme, la tuberculose, l’infection à VIH, certaines maladies tropicales négligées… Pour le cas de la présente pandémie, il s’agit surtout d’initier des actions identifiées par les communautés, à la suite d’une analyse des comportements et pratiques à risques dans leur environnement, dans le but de rompre la chaîne de transmission. Cette stratégie, bien que s’appuyant sur les principes généraux,  devrait embrayer sur les dynamiques existantes, prendre en compte les spécificités locales, qui sont connues des acteurs communautaires, pour amener les communautés à procéder à une auto-analyse des barrières locales qui entravent les pratiques.

 Une prise en charge excessivement médicalisée

Au début, la prise en charge était trop médicalisée et on a mis beaucoup de patients dans les hôpitaux, dont la plupart étaient asymptomatiques et jeunes, ayant peu de chances de mourir de la COVID-19, comparativement aux personnes du troisième âge. On a donc observé des phénomènes comme l’encombrement des hôpitaux par les patients COVID-19, une prise en charge thérapeutique onéreuse, alors que les structures hospitalières n’avaient pas encore et n’ont toujours pas les outils nécessaires à la prise en charge des cas urgents. La crainte de la contagion par le nouveau coronavirus a conduit certains patients, surtout les plus âgés et les plus vulnérables à déserter les structures de soins posant un problème de continuité du service public.

On a donc assisté à l’émergence d’une seconde préoccupation sanitaire induite par l’explosion des autres pathologies due à la sous-utilisation par les patients non-COVID, des services de santé. Cela a conduit au relâchement dans le dépistage et le suivi des pathologies chroniques. C’est pour cela que certaines organisations d’obédience communautaire avaient, très tôt, plaidé pour la prise en charge à domicile pour les cas pauci-symptomatiques, dans une optique communautaire, démarche qui sera finalement adoptée par la plupart des pays. Il y a eu également des retards énormes du système de régulation des patients aggravés par la lenteur des tests et le risque de contagion poussant certains services à différer l’hospitalisation de cas graves.

Des universitaires et membres de sociétés savantes ont développé des algorithmes pour les différents paliers de la pyramide sanitaire, du poste de santé à l’hôpital de référence. Qu’il s’agisse de patients COVID ou non-COVID, il s’agit, surtout d’établir une vraie relation de soins prenant en charge les patients, avec un équipement optimal, qui malheureusement fait souvent défaut, poussant certains hôpitaux à se reposer sur le secteur privé pour certains aspects de la prise en charge. C’est le lieu de déplorer l’ostracisme dont sont victimes les chercheurs africains ayant élaboré des protocoles de recherche opérationnelle aussi bien pour la prise en charge (incluant la médecine traditionnelle), que pour les aspects communautaires et socio-anthropologiques.

La protection du personnel traitée en parent pauvre

Au début, l’approche était de cantonner les cas COVID-19 dans des services dédiés et de privilégier le personnel des centres de traitement épidémiologiques (CTE) en leur faisant bénéficier de formation, d’informations et de tous les moyens de protection. Cette approche a montré ses limites dès que la pandémie s’est véritablement installée, avec une circulation accrue du virus, mettant fin aux illusions qu’avait le gouvernement de circonscrire rapidement l’épidémie. On a même pu observer des infections nosocomiales dues au nouveau coronavirus, à travers le personnel soignant, les accompagnants, les visiteurs. On a aussi observé des difficultés d’acquisition de matériel de protection dans des hôpitaux croulant sous le poids de la dette.

Les structures étaient, elles-mêmes, mal préparées, sans circuit du malade digne de ce nom, sans mise en place de protocoles sur les conduites à tenir, en cas de COVID-19. Autant dire que les prestataires officiant hors des CTE n’étaient pas outillés pour l’accueil et, à plus forte raison, pour la prise en charge des cas COVID. On a déploré l’absence de formation et de mise à disposition de matériel et supports IEC comme affiches, aide-mémoires. Devant un tel état de dénuement, le personnel ne s’est pas véritablement approprié des mesures préventives, ne s’est pas senti concerné par l’application des mesures barrières et a donc été victime de plusieurs contaminations. Les autorités elles-mêmes ont fait dans le déni des risques encourus par le personnel, ayant tendance à minimiser leurs plaintes qu’on mettait sur le compte de la psychose, avec pour résultat  le fait de différer le dépistage.

La deuxième vague ou le grand saut dans l’inconnu

Le talon d’Achille de la lutte contre la pandémie de COVID-19 dans les pays africains réside dans l’insuffisance des mesures d’accompagnement face à la détérioration de la situation économique consécutive à la quasi-paralysie des systèmes productifs. Cela se traduit également par les difficultés énormes rencontrées par les autorités pour prendre des décisions de confinement ou de couvre-feu, dans le but de réduire la transmission virale. Déjà, lors de la première vague, on avait pu observer des mouvements d’humeur des populations consécutives aux lenteurs notées dans la mise en œuvre des plans de résilience économique et sociale.

Cela avait donné lieu à des émeutes, obligeant les pouvoirs exécutifs à prendre des mesures d’assouplissement inopinées et mal comprises, conduisant à la démobilisation des citoyens. Le mécontentement populaire semble s’être accentué avec cette deuxième vague, d’autant que les ressources des pays ont considérablement fondu et que la réduction du train de vie dispendieux de l’État de même que l’utilisation judicieuse des ressources budgétaires ne semblent pas encore être à l’ordre du jour. Les chefs d’État africains, sous prétexte de lutter contre la pandémie, optent pour la coercition et la remise en cause de droits et libertés des citoyens, car craignant une instabilité sociopolitique, qui risque de s’avérer fatale à leurs mandats présents ou futurs, indépendamment de leur légitimité supposée.

Conclusion

Tout indique que la poursuite de la pandémie risque de poser la question cruciale de la viabilité du modèle capitaliste en provoquant une récession mondiale, dont les pays à revenus faibles et intermédiaires risquent d’être les premières victimes. C’est dire que l’heure est à la recherche de modèles de développement alternatif au lieu de se glorifier du soutien d’officines financières internationales, qui ne sont rien d’autre que des instruments d’une idéologie libérale sur la voie d’un déclin inéluctable.

 

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