La publication des numéros hors-séries du BEH constitue toujours un événement dans la mesure où elle rassemble des données colligées et analysées qui représentent des filons d’informations fiables, voire opposables d’une part, aisément consultables d’autre part.
Il en est ainsi de ce BEH spécial « maladies cardio-vasculaires » qui reprend, pour l’essentiel, les données publiées dans Archives of Cardiovascular Diseases en décembre 2024 « Update on epidemiology of cardiovascular risk factors and diseases in France ».
Les maladies cardio-vasculaires, ainsi que neuro-vasculaires, représentent la première cause de mortalité dans le monde ainsi que la première cause de mortalité prématurée et imposent une charge de soins considérable. En France, les maladies cardio-vasculaires apparaissent comme la seconde cause de mortalité après le cancer, à la différence de nombreux autres pays, que ce soit dans d’autres régions du monde ou bien en Europe.
L’intérêt principal de la lecture et de l’analyse détaillée des résultats publiés ici tient aux multiples façons dont on peut les aborder, qu’il s’agisse :
- Des pathologies elles-mêmes (cardiopathies ischémiques, hypertension artérielle, maladies artérielles, veineuses, AVC…)
- Des facteurs de risque (obésité, troubles métaboliques, activité physique insuffisante, alimentation, tabac). Ce point est d’importance considérable car il apparaît évident que les pathologies C-V ne se déclarent quasiment jamais dans existence de facteurs de risque préalables.
- De l’accès aux soins et à une prise en charge optimale. Si la prise en charge des grandes affections cardio-vasculaires a considérablement progressé au fil des décennies, ces progrès ne profitent pas à tout le monde de la même façon.
- Des différences de genre, de région, de catégorie socio-économique, dont le rôle apparait majeur, tant au chapitre prévention qu’au chapitre prise en charge.
Globalement, un million d’hospitalisations, 140 000 décès en 2021 soit un décès sur 5.
1 Français sur 10 seulement peut être considéré de santé cardiovasculaire optimale.
Les inégalités apparaissent criantes selon la catégorie sociale, seuls 4 % des adultes de niveau scolaire inférieur au baccalauréat apparaissent dans la catégorie optimale, contre 21 % pour le niveau supérieur.
De même les inégalités de genre posent question de façon majeure : les femmes apparaissent moins bien prises en charge, moins souvent hospitalisées en soins intensifs, avec un taux de complications aiguës plus élevé que les hommes.
Au fil des articles, on trouvera des mises au point actualisées :
- Sur les cardiopathies ischémiques et leurs filières de prise en charge. On notera la prudence des auteurs sur les différences des données brutes. Ainsi, en ce qui concerne les différences régionales, largement en défaveur des DROM, les auteurs ne concluent pas entre la sur-représentation des facteurs de risque, notamment le tabac et les difficultés d’accès aux soins. De même, pour la différence de prise en charge entre hommes et femmes en soins intensifs (taux de revascularisation plus faible chez les femmes), les auteurs évoquent un éventail de causes plus varié (rôle du spasme coronarien plus élevé chez la femme) mais n’excluent pas une prise en charge moins optimale. Ils pointent également une insuffisance de prise en charge rééducative secondaire, alors que ses bénéfices sont amplement prouvés.
- Sur les accidents vasculaires cérébraux, le rapport collige 122 000 hospitalisations et une prévalence estimée à 1 million de cas en 2023 (c’est-à-dire 1 million de personnes vivant avec au moins un antécédent d’AVC). Inégalité de prévalence en défaveur des DROM, du Nord-Pas de Calais, des Côtes d’Armor et de la Seine Saint Denis, à un moindre degré le Sud-Ouest. Les taux d’accès aux techniques de désobstruction restent très bas, renforçant l’utilité des campagnes d’information sur les signes et symptômes des AVC en cours de constitution. Les inégalités sociales sont encore plus criantes que pour les cardiopathies ischémiques. Les auteurs ne peuvent conclure sur les éventuelles disparités ethniques (très nettes dans l’épidémiologie des Etats-Unis) et mettent en avant la problématique du handicap résiduel, notamment chez les patient.e.s les plus jeunes avec les conséquences sur le travail.
- L’insuffisance cardiaque justifie une approche particulière, pathologie chronique moins emblématique que l’infarctus ou l’AVC, symptomatologie pas vraiment identifiée par la population générale, génératrice d’hospitalisations prolongées et de perte d’autonomie. Ici encore, forte influence des facteurs régionaux et socio-économiques.
- Les maladies artérielles font également l’objet d’un chapitre autonome et d’une prédiction d’accroissement de la charge qu’elles induisent.
- L’étude de la maladie veineuse thrombo-embolique (MTEV) révèle que celle-ci est en augmentation en France, ce qui peut apparaître surprenant compte-tenu des recommandations de traitements prophylactiques. Toutefois, le lien MTEV/cancer est clairement démontré, expliquant au moins la mortalité à un an.
- Une longue place est consacrée à la fin du numéro spécial aux facteurs de risque d’origine dite « comportementale ». La source des données n’est ici pas issue des données hospitalières mais principalement de l’étude ESTEBAN (étude transversale 2014-2016) sur un échantillon de 3000 adultes en France, le Baromètre de Santé Publique France et l’étude Eropp 2023 pour le point particulier des psychotropes.
- On y retrouve de longs développements sur le tabagisme, ses effets très néfastes sur le système cardio-vasculaire, l’évolution de la consommation (avec le ralentissement de la baisse de prévalence depuis la pandémie de COVID-19 ainsi que la diminution d’initiation de tentatives d’arrêt de consommation).
- Le rôle de l’alimentation est aussi discuté, à la fois sur le plan de l’alimentation réelle et de la diffusion de la connaissance des bénéfices de l’alimentation végétale, riche en fibres, de la limitation de la viande rouge, des sucreries et des aliments transformés. Là encore, des déterminants psycho-sociaux sont clairement identifiés.
- Une large place est attribuée à la consommation d’alcool dont l’effet délétère est connu, notamment comme facteur d’HTA et d’AVC hémorragiques, avec discussion sur l’évolution de la consommation selon la tranche d’âge et le genre, tout en soulignant, certes, la tendance à la réduction de consommation chez les plus jeunes, mais également la réduction de l’écart hommes/femmes. En toile de fond, le marketing agressif des industries alcoolières ne peut être oublié.
- Les questions liées à l’activité physique sont longuement discutées, du fait du niveau de preuve élevé qui soutient le rôle préventif de celle-ci en matière de prévention primaire. Les études convergent à nouveau pour retrouver un niveau d’activité plus bas chez les femmes et les personnes les moins diplômées.
- La sédentarité (comportement d’éveil avec une dépense énergétique inférieure à 1,6 MET) doit être considérée comme un facteur de risque indépendant de l’activité physique.
- Sont également à prendre en considération épidémiologique certaines substances illicites, cocaïne en particulier, les effets cardio-vasculaires en étant bien documentés, également protoxyde d’azote et MDMA. Les choses sont moins claires pour le cannabis, quoique l’on puisse retrouver plusieurs références bibliographiques.
- On voit apparaitre de façon insistante l’influence des questions liées à la qualité du sommeil, et à la prévalence des syndromes dépressifs, avec là encore, des références bibliographiques de bon niveau de preuve.
- Globalement, l’établissement d’une échelle d’évaluation du risque cardio-vasculaire individuel est complexe car il dépend de l’objectif recherché (prise en charge, épidémiologie, prévention) et de la population étudiée. Au niveau populationnel ; la préférence des auteurs va à l’échelle mise en avant par l’American Heart Association, le Life’s Essential 8. Les classements en 3 niveaux (idéal/intermédiaire/dégradé) en France ont été réalisés à partir de l’étude ESTEBAN qui commence à dater, notamment ne prend pas en compte les changements post-pandémiques.
- La dernière partie du BEH s’intéresse aux facteurs de risque dits « non comportementaux » qui semblent modifiables par une meilleure connaissance / reconnaissance et dont la réduction pourrait conduire à des résultats en termes de morbidité / mortalité cardio-vasculaire. On abordera donc obésité, hypertension artérielle, dyslipidémie, diabète et maladie rénale chronique. Leur connaissance épidémiologique, au-delà des études purement comportementales demande un recueil de données d’examen. L’étude ESTEBAN reste, pour l’instant, la dernière enquête utilisable. Les prévalences respectives à l’époque étaient de 17,2 % pour l’obésité (IMC moyen de l’adulte, 7,4% pour le diabète, 30,6% pour l’HTA, 23,3% pour l’hypercholestérolémie LDL et 1,5% pour la maladie rénale de stade 3-5. Suit une revue détaillée des ces facteurs de risque
- En ce qui concerne le surpoids, s’il l’on constate que celui-ci concerne de facto un adulte sur deux en France, la prévalence de l’obésité ne progresse pas de 2006 à 2015 et se situe dans la moyenne de l’Europe Occidentale, inférieure aux pays anglo-saxons.Pour le diabète (10% de la population si l’on inclut le pré-diabète, 7,4 % de diabète répondant aux critères diagnostiques de l’OMS), le marquage de niveau socio-économique et de genre, en défaveur des femmes est évident. En revanche, l’incidence standardisée sur l’âge a tendance à ne plus progresser.L’hypertension artérielle est également un fardeau sanitaire très lourd. La prévalence est plus élevée chez l’homme et s’accroît avec l’âge. La caractéristique française la plus inquiétante est l’absence de progrès de la prise en charge entre 2006 et 2015. Ce phénomène semble lié à l’absence de progression de la connaissance de l’affection par le public et le retard de prise en charge, notamment chez la femme. De même, la proportion de personnes bien contrôlées par le traitement est peu élevée (23%). Les auteurs évoquent entre autres les conséquences de la crise sanitaire pandémique et le recul de l’accès aux soins. Le retrait de l’HTA sévère de la liste des ALD en 2011 (malgré les timides remarques de l’HAS), que l’article n’évoque pas, n’a certainement pas aidé le grand public a prendre conscience des dangers de cette tueuse silencieuse.L’hypercholestérolémie LDL est plus complexe à analyser puisque le taux-cible dépend des autres facteurs de risque et du score cardio-vasculaire global. Les auteurs pointent une observance globalement insuffisante des traitements médicamenteux chez les personnes traitées. Les auteurs évoquent la polémique récurrente sur les statines, traitement le plus habituellement proposé.La maladie rénale chronique (souvent conséquence d’HTA et/ou diabète) atteint plus souvent les femmes que les hommes mais la proportion s’inverse dans les stades les plus évolués. La MRC aurait concerné 1,6 million de personnes en France en 2021, dont 92000 avec prise en charge terminale (dialyse ou greffe)
- Enfin, et ce n’est pas le moins intéressant, un paragraphe regroupe l’ensemble des circonstances qui peuvent induire un risque C-V (artériel ou veineux) spécifique chez les femmes pour des raisons hormonales : contraception oestro-progestative, polykystose ovarienne, endométriose, conséquences de la ménopause, ainsi que les événements cardio-vasculaires liés à la grossesse : HTA gravidique sous ses diverses formes (pré-éclampsie comprise), HELLP syndrome et par ailleurs diabète gestationnel (16,4 % en 2021 dans l’enquête périnatale française).
- La dernière stratification disponible remonte donc à 2015 avec l’exploitation de l’enquête ESTEBAN et l’application de l’échelle Score qui donnaient une proportion de 55 % des adultes dans la catégorie « risque faible », 31% « risque modéré », 11% « risque élevé » et 3% « risque très élevé » tout en soulignant qu’il existe désormais Score 2 mais sans publication d’études permettant de déterminer une nouvelle stratification populationnelle en France.
La synthèse ci-dessus a pour vocation de résumer la publication de ce numéro du BEH, de susciter une lecture plus détaillée et surtout la consultation des très nombreuses annexes, figures, diagrammes et cartographies, ainsi que de la bibliographie qui permettent d’approfondir la connaissance sur tel ou tel des chapitres. Rappelons que le Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire est de lecture et téléchargement gratuits sur le site de Santé Publique France.
Bibliographie sommaire
- BEH Hors-série 25 mars 2025 https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2025/HS/index.html
- Update on epidemiology of cardiovascular risk factors and diseases in France. Arch Cardiovasc Dis. 2024; 117(12):655-784.
- https://www.who.int/europe/tools-and-toolkits/noncommunicable-diseases-(ncd)-dashboard
- https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/articles/les-resultats-de-l-etude-esteban-2014-2015
- Lloyd-Jones DM, Allen NB, Anderson CAM, Black T, Brewer LC, Foraker RE, Grandner MA, Lavretsky H, Perak AM, Sharma G, Rosamond W; American Heart Association. Life’s Essential 8: Updating and Enhancing the American Heart Association’s Construct of Cardiovascular Health: A Presidential Advisory From the American Heart Association. Circulation. 2022 Aug 2;146(5):e18-e43. doi: 10.1161/CIR.0000000000001078. Epub 2022 Jun 29. PMID: 35766027; PMCID: PMC10503546.