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Santé orale et pandémie de la Covid 19

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La pandémie Covid 19 a frappé durement aussi les services dentaires. Faute de matériel de protection et du fait des mesures de confinement les patients ont renoncé aux soins. La prévention a été abandonnée. La transmission par aérosols a été mise en cause. L’auteur montre à partir de données venues de l’OMS, de Grande-Bretagne et de France l’impact de la pandémie. Il souligne l’importance de préparer l’avenir en adaptant le système de santé bucco-dentaire aux futures épidémies.

Abstract:

The Covid 19 pandemic has also hit dental services hard. For lack of protective equipment and due to containment measures, patients have given up on treatment. Prevention has been abandoned. Aerosol transmission has been implicated. The author uses data from WHO, Great Britain and France to show the impact of the pandemic. It stresses the importance of preparing for the future by adapting the oral health system to future epidemics.

La Pandémie que nous vivons depuis plus d’une année a mis en souffrance la santé orale dans le monde comme dans notre pays. Elle a révélé à quel point, notre système de santé n’était pas adapté à une telle crise, mais de surcroit combien finalement, la santé orale peine encore à s’intégrer dans une santé globale que nous défendons. En novembre dernier, lors de sa 20ème Journée de santé publique dentaire, l’ASPBD en partenariat avec le Département du Val-de-Marne, organisait sa session annuelle autour du thème « Impact de la COVID 19 en santé publique et en santé orale», sous la présidence du Dr Benoit Varenne, responsable du Programme de santé bucco-dentaire de l`OMS.

Une occasion de revenir sur cette pandémie, qui ne fut pas une surprise pour celles et ceux qui sont attentifs à nos manières de vivre de par le monde. Elles sont contributives à la transmission de ces virus, de ces bactéries, particulièrement lors de grand rassemblement dans des populations et dans des zones très densément peuplées, avec une explosion des voyages internationaux, des échanges internationaux. Il y a aussi les changements écologiques, mais aussi des changements dans nos manières de produire la nourriture comme dans l’utilisation des espaces agricoles avec notamment la déforestation qui nous pousse à être de plus en plus en contact avec des espèces animales qui peuvent nous transmettre certaines maladies.  Comme le notait Margaux Matis dans son intervention, «depuis le début des années 2000 on a déjà en effet été confronté à un certain nombre de crises majeures. Ce fut le cas notamment du SARS en 2003, qui est un autre coronavirus. Cela a été encore le cas en 2009 lors de la pandémie de grippe et d’autres événements majeurs comme le choléra en Haïti, en 2010, puis l’Ebola en Afrique de l’Ouest, une énorme épidémie qui a eu lieu en 2014/2015. Il faut savoir qu’on est toujours en cours d’épidémie d’Ebola en République Démocratique du Congo. Et depuis la fin de l’année 2019, cette épidémie devenue une pandémie de la COVID 19».

Pour autant, force a été de constater que nos systèmes de santé n’ont pas été en mesure de répondre à cette nouvelle attaque virale, et ont donc été mis sous pression. Ce fut le cas dans tous les pays, y compris les pays dit « développés » comme en Europe ou en Amérique du Nord qui avaient des indicateurs de préparation à ce type d’événement pourtant assez élevés, avec des plans de lutte contre la pandémie, etc. … mais ces systèmes de santé ont été quand même en difficulté, leurs personnels soignants affectés, beaucoup sont morts, ce qui malheureusement est quelque chose d’assez classique lors des épidémies puisque ces personnels soignants sont en première ligne (14% des cas rapportés pour des personnes travaillant dans les structures de santé alors qu’il ne représente qu’environ 2 à 3 % de la population générale sont des personnels soignants). On a assisté à un manque de matériels en France. Il y a eu ce qu’on a pu appeler le scandale des masques et tous les équipements de protection individuelle.  Il y a eu également un manque d’oxygène et de ventilateurs, un manque de tests diagnostiques. Des soins de santé ont été annulés et repoussés.

Concernant ces soins de santé annulés, l’OMS a effectué un sondage dans 105 pays au sujet de leurs services de santé essentiels. 90% des pays ont rapporté des perturbations importantes dans les soins primaires et les soins de santé essentiels. Des secteurs comme les vaccinations de routine furent assez touchés, ce qui est assez inquiétant, l’OMS estimant que cette épidémie de la COVID a mis plus de 80 millions d’enfants en risque d’attraper une maladie comme la polio, la diphtérie ou la rougeole. Ceci alors que ces maladies sont facilement prévenues avec la vaccination. Mais il y aussi des soucis en santé mentale, avec de la dépression, du stress face à l’inconnu de la maladie, face à l’inconnu de la situation économique, etc. … Autant de facteurs qu’il faut prendre en compte dans les plans de préparation aux pandémies auquel il faut ajouter les perturbations dues à l’offre et à la demande médicale.

On doit aussi noter la baisse de demande même des patients en ne se présentant pas dans les services ni dans les structures de santé préférant repousser leurs soins pour éviter d’être confronté à des cas de contamination dans les hôpitaux. Ce fut un réel souci, et si nous n’avons pas de chiffres exacts, on sait qu’il y a eu une baisse de détection par exemple de cancer dans le monde. Mais, il y a eu également une baisse au niveau de l’offre médicale dans les hôpitaux, des refus ou annulation des soins de santé considérés comme non essentiels avec des services déjà saturés.

Enfin au niveau de la pauvreté, selon des données de la banque mondiale, on estime qu’avec cette pandémie plus de 80 à 115 millions de personnes de plus auront été en situation d’extrême pauvreté en 2020, cela correspond à un retour en arrière des efforts de la lutte contre la pauvreté de trois ans environ.

Au plan international, un recensement indépendant des réponses sur l’état de préparation des pays au niveau mondial a été lancé en 2020. Cela fera l’objet d’un rapport sur l’état de préparation des pays lors de la prochaine assemblée mondiale de l’OMS en mai 2021.

L’instance internationale revoit également le règlement sanitaire international qui est le document qui tente de réguler la coopération entre les pays pour gérer les risques infectieux. Ce document avait été révisé en 2005 à la suite de l’épidémie de SRAS, un autre coronavirus. C’est ce comité qui devra estimer si les mécanismes, qui y sont mentionnés, sont toujours valables et d’actualité pour lutter contre les risques infectieux.

Dans ce contexte, les services de santé bucco-dentaire ont été les plus affectés, tant par les mesures de santé publique de confinement qu’en raison du risque particulier que les soins dentaires représentaient face à la pandémie, en particulier du fait des procédures génératrices d’aérosols. Cela a affecté tant les services de soins, que les programmes de prévention. À cette dimension de restriction de soins et d’actes préventifs, il faut ajouter celle de la diminution de la demande de soins, les patients eux-mêmes ne se présentant pas à leurs soins ambulatoires pour 77%, mais aussi du fait des perturbations, voire l’arrêt des transports publics et/ou les difficultés financières rencontrées pendant l’épidémie.

Du côté de l’offre de soins, il est important de noter l’annulation des soins de routine non urgents dans 70 % des cas et les soins dentaires évidemment rentrent bien dans cette catégorie en partie liée aux difficultés des personnels de santé. À cela s’ajoute l’indisponibilité des services dentaires en raison de décisions administratives, sans compter le manque de fourniture et d’équipements de protection individuelle pour les prestataires de soins de santé.

Pour autant, il a été progressivement mis en place une démarche dite de « triage » pour identifier les priorités, les cas prioritaires ou les patients prioritaires, ceci afin de les prendre en charge en urgence et/ou d’éviter qu’ils ne soient dirigés vers des services fermés ou en pénurie de personnel. Parmi les autres approches fréquemment signalées, on peut noter le déploiement de ce qu’on peut appeler la télémédecine pour remplacer les consultations aux personnes. Dans 63% des cas, des pays ont répondu avec cette stratégie de transfert des tâches, mais aussi par une délégation des rôles, en ajustements dans les prescriptions et dans la distribution des médicaments. Ainsi en France, il a été mis en place assez rapidement la possibilité pour que les gens de prendre en pharmacie les médicaments nécessaires pour faire face à une infection ou à la douleur.

Le Dr Benoit Varenne, dans son exposé, illustra son intervention par des données venant du Royaume-Uni, montrant bien «que le nombre de patients vus par mois a complètement chuté à partir de mars, au moment où le Royaume-Uni a connu sa première vague de pandémie. Une autre courbe intéressante, celle du type d’actes faits pendant cette période-là et on voit que la courbe du nombre de dents soignées s’écroule radicalement alors que le nombre de dents extraites pendant cette période est en augmentation à partir de juin/juillet lorsque les cabinets dentaires ont rouvert». Il notait, de même en Écosse, que le nombre d’appels reçus par le service dentaire des urgences au niveau au niveau de ce pays a été en nette augmentation pour des urgences dentaires pendant le pic de l’épidémie et pendant la période du confinement alors que les appels liés à des soins de routine sont restés très faibles. Autre conséquence de la fermeture des cabinets dentaires, c’est la prescription en antibiotiques dentaires qui a presque doublé, augmentant l’inquiétude en matière de résistance aux antibiotiques.

L’Organisation mondiale de la Santé (World Health Organization) a conçu une série de 3 vidéos décrivant ses recommandations sur les mesures à mettre en place pour garantir des soins appropriés et efficaces aux patients tout en protégeant les patients et le personnel de l’infection par la COVID-19. Elles sont destinées à être utilisées dans le cadre de #formations pour les équipes de SBD sur la prévention et le contrôle des #infections.

Les publics cibles sont les autorités de #santépublique celles responsables de la SBD, et le personnel de SBD qui entreprend ou assiste les procédures décrites, travaillant dans les secteurs public et privé.

Le 3 août 2020, dans une note, l’OMS conseille aux pays, dans le cadre des soins bucco-dentaires, qu’au regard des modes de transmission, mais aussi des recommandations officielles, d’éviter ou de minimiser les actes dentaires générant des aérosols, de prioriser les actes cliniques avec instruments à main et retarder les soins non urgents de routine. L’objectif visait la préconisation d’un ensemble de mesures pour prévenir et réduire les risques de transmission au cours d’une visite dentaire, prioriser le dépistage et les procédures de prévention comme de contrôle des infections pendant les traitements. Depuis, trois vidéos de formations ont été créées et sont disponibles.

Le Dr Violaine Smail-Faugeron, MCU-PH à l’Hôpital Bretonneau, dans une étude dont elle est l’un des coauteurs, a exploité un questionnaire diffusé au niveau national en avril 2020.  L’équipe du Service de médecine bucco-dentaire de l’hôpital Bretonneau (AP-HP Nord – Université de Paris – Pr Benjamin Salmon) a analysé les réponses de plus de 4000 chirurgiens-dentistes et 1800 assistants dentaires, un échantillonnage représentant plus de 10% de l’ensemble des professionnels de la santé orale en France. Les prévalences de la Covid-19 confirmées par test PCR positif sont de 1,9 % pour les chirurgiens-dentistes et de 0,8 % pour les assistants dentaires ; néanmoins des valeurs plus élevées sont retrouvées concernant les manifestations cliniques associées à la Covid-19, tant chez les chirurgiens-dentistes (15 %) que chez les assistants dentaires (11,8 %).  Un deuxième volet de cette étude intégrant notamment les données sérologiques est à paraître.

S’il est encore trop tôt pour tirer tous les enseignements de cette période spéciale, il est bon de noter dès à présent que le système de santé orale, en général, a été particulièrement perturbé dans la plupart des pays en raison des mesures de santé publique visant à contenir la contamination, liée à la nature des interventions médicales puisque les soins dentaires sont les seuls justement qui génèrent ces aérosols, facteur on le sait aujourd’hui de transmission du virus de personne à personne. Cette pandémie suscite toujours et continue à susciter pour un certain temps des craintes tant auprès des chirurgiens-dentistes que des autres personnels de santé dentaires comme chez les patients, d’un risque de contracter ou de disséminer le virus lors de ces soins. À cela, il nous faut relever, dans ces cas de maladies non transmissibles que sont les maladies bucco-dentaires, la manière disproportionnée d’affecter les populations les plus pauvres, les personnes les plus vulnérables. Il est certain que les inégalités sociales en termes d’accès aux soins essentiels se seront amplifiées au cours de cette pandémie. Enfin, n’oublions pas que lorsqu’on parle de système de santé orale, c’est à la fois les soins, mais c’est aussi la recherche, l’éducation et les campagnes de prévention mises en place au niveau des pays qui ont été touchées. Ces manquements, liés à l’absence de préparation et de réponse des services de santé orale, doivent pour l’avenir nous amener à prendre en considération ce genre de situation pour mieux nous préparer dans le futur à un système de santé plus résiliant.

L’absence, en France, de coordination nationale en santé orale au ministère de la Santé, de départements de santé publique bucco-dentaire a aggravé notre réactivité par rapport à d’autres pays, et cela correspond à une absence ou un retard de reconnaissance de la santé orale dans la santé globale. Les autorités sanitaires ont été absentes, et ce fut pour les services dentaires, un chaînon manquant dans le parcours de soins des patients.

Seul l’Ordre a finalement joué ce rôle, alors que ce n’est pas le sien. On peut ainsi déplorer, un demi-siècle après la création des Facultés d’Odontologie, le peu de place de la santé orale, son isolement, par rapport à la santé et au système de santé en général.

Maintenant, comment reconstruire en mieux ce système de santé, qu’est-il important aujourd’hui de de mettre en place et à réaliser ?

Ce qui est ressorti de notre Journée, c’est tout d’abord, de ne pas oublier les équipes dentaires dans l’équipement en protection individuelle comme leur accompagnement dans la formation des personnels soignants, mais aussi du personnel administratif. Il faut nous assurer qu’ils aient acquis un niveau de connaissance et de comportement en matière de prévention, de contrôle des infections virales. Mais il faut en faire de même en direction des individus et des populations pour s’assurer justement qu’il n’y ait pas trop de fausses informations, de fake news qui circulent dans le domaine dentaire ce qui a été le cas en de nombreuses reprises.

Cette expérience en matière de de pandémie et de soins essentiels, doit nous permettre dans les années à venir à travailler sur un concept de services de santé bucco-dentaire essentiels qui comprend donc des interventions sans procédures génératrices d’aérosols et donnant la priorité aux procédures non invasives. La recherche doit nous permettre dans le monde dentaire de revenir sur cette sorte de fuite en avant vers toujours plus de très haute technologie visant essentiellement à augmenter les coûts des soins dentaires, ce qui ne fait qu’augmenter par là même les inégalités d’accès aux soins dentaires sans pour autant améliorer la qualité des soins auprès des patients. Cela n’aide pas à mieux répondre aux besoins et à la demande des patients. Autre activité intéressante, que nous avons aussi entendu durant cette journée, c’est le besoin d’intensifier la recherche opérationnelle sur la télémédecine et les solutions technologiques numériques. Pour les soins dentaires, on sait qu’il y a dans ce domaine-là de nombreux projets en cours et c’est en effet un domaine où il faudrait investir.

Il nous faudrait aussi, de manière urgente, faciliter une recherche scientifique sur le niveau de risque de transmission par voie aérienne lors de la réalisation de procédure génératrice d’aérosols. Tant qu’on n’aura pas ce niveau de preuves sur la part de risque de transmission entre patients, entre patients et praticiens, au cours des soins dentaires, il sera difficile aux autorités sanitaires d’éditer les lignes directrices, des recommandations, des directives plus politiques que celles qui ont été publiées au cours de ces derniers mois. L’ASPBD, qui a introduit en France ce concept de santé publique en santé orale, demande que l’on repense la place et la priorité de la santé orale dans le système de santé avec une vision plus de santé publique. Un sujet qui fait partie aussi des sujets d’actualité pour l’OMS, mais aussi pour la plupart des pays.

En conclusion, la COVID nous a rappelé que les pandémies ne connaissent pas de frontières, d’où l’importance d’élaborer des stratégies en santé orale nationale évidemment, mais aussi régionales. On reste persuadé qu’à l’échelle régionale, au niveau de l’Union européenne, il y a des initiatives à prendre qui pourraient être très efficaces dans ce genre de situation. Il nous semble important que dans chaque pays, il y ait une coordination nationale en santé orale qui puisse coordonner, faciliter le travail et la planification dans ce domaine de la santé orale. Il faudrait évidemment des équipes interdisciplinaires au niveau régional comme au niveau local, essentielles mais manquant en France. Il nous faudra poursuivre lors d’assises nationales en 2022, ces réflexions pour un système de santé où la santé orale est intégrée au système de santé général, plus résilient face à des événements comme la pandémie due à la COVID, centrée sur la personne pour être sûr que l’on réponde à la demande de la personne.