Qui emmerde qui?

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L’auteur, donnant suite aux élégantes déclarations récentes du président Macron, montre que de simples cartes de géographie soulignent les inégalités d’accès aux médecins traitants. Il considère qu’une baisse de 20% de densité médicale (et non 30% comme le propose le gouvernement) permet de définir un désert médical. De ce fait 40% du territoire national doit être considéré comme désert médical. Il décrit les territoires marqués par cette inégalité. Il y a une corrélation étroite entre cette situation et la nature des territoires concernés.

Abstract :

The author, following up on the elegant recent declarations of President Macron, shows that simple geographical maps underline the inequalities of access to attending physicians. He considers that a 20% drop in medical density (and not 30% as the government proposes) makes it possible to define a medical desert. As a result, 40% of the national territory must be considered as medical desert. It describes the territories marked by this inequality. There is a close correlation between this situation and the nature of the territories concerned.

Le tableau et les cartes qui suivent permettent de se faire une idée territorialisée des déserts médicaux. La représentation établie à l’échelle des bassins de vie est simple. Elle permet la comparaison de 3 cartes :

  • La première est celle où la densité médicale est de 25% et plus, inférieure à la densité moyenne française ;
  • La seconde, celle où la densité oscille entre -25 et + 25 % autour de la moyenne ;
  • La troisième, celle où la densité est supérieure de plus de 25% à cette même moyenne.

Quelques remarques:

  • Les données ici utilisées sont celles du Répertoire Partagé des Professionnels de Santé (RPPS). La date de référence de l’extraction date de 2020. Compte tenu de l’inertie des effectifs due à la durée de la formation médicale et à une gestion sans à coup brusque des postes mis au concours, nous pouvons considérer que ces données décrivent bien la situation en ce début 2022. De toute façon, les données dont on peut disposer ne sont jamais absolument contemporaines, mais ont entre 1 an (PMSI) et 4 ans (données du Recensement de la population, actuellement 2018).
  • Les mesures portent ici sur les seuls médecins généralistes libéraux exclusifs et d’exercice mixte. Ils constituent ceux qu’on appelle aujourd’hui les médecins de premier recours et qu’on nommait hier les médecins de famille. C’est leur absence ou du moins leur rareté qui fait ressentir ces déserts médicaux.
  • L’indicateur mesuré est ici celui des écarts à la moyenne du nombre de médecins pour 10 000 habitants, soit des écarts de densité, plus simple à comprendre que ce nouveau standard de l’Accessibilité Potentielle Localisée (APL) qui n’est qu’une sophistication inutile dont on peut se demander si elle n’est pas destinée à « embrouiller les esprits des non-spécialistes » dans la mesure où les résultats qu’elle donne sont étroitement corrélés à ceux de la densité.

Le ministère de la Santé fixe (verbalement) ce seuil à – 30 % pour parler de désert médical, mais pourquoi 30 % ? Il n’y a aucune justification à ce seuil. Pour ma part, dans la pratique et s’agissant de taux d’équipements dont la puissance publique a la responsabilité, je considère que – 20 % c’est déjà tout à fait inacceptable et qu’on devrait plutôt seulement considérer comme « impondérable » un écart de ± 5%.  L’effort de la puissance publique doit en effet être celui de resserrer la concentration d’une loi normale et non de l’étaler, ce qui équivaut si l’on veut à créer toujours davantage du « commun » ou de l’égalité. Le seuil de 25% reconnu ici est donc déjà très large. Il permet de « parler ensemble » pour essayer de sortir d’une situation qui, malgré les promesses et les discours, ne s’améliore pas.  Avancer « step by step » cela fait moins de buzz, mais est beaucoup plus sûr.

Intéressons-nous ici à la première de ces cartes et donc à la première ligne du tableau ci-dessous :

Aujourd’hui, 40 % du territoire national doit être qualifié de désert médical. Ici trouver un médecin est non seulement difficile, mais en plus quand on en trouve un, il est souvent loin. De quoi dissuader de recourir aux soins même quand ils sont absolument nécessaires, de quoi ne pas pouvoir bénéficier des conseils éclairés d’un médecin par exemple pour comprendre le bien-fondé de la vaccination.

Cette situation concerne 10 millions de personnes, 15 % de la population. Ce n’est pas rien. Tous ne sont pas des ruraux. De nombreuses banlieues où la situation est souvent indigne d’une soi-disant grande nation médicale sont concernées. Moins de 10 % des médecins généralistes libéraux desservent cette population quand 30 % d’entre eux desservent les 20 % de population les mieux lotis.

Il suffit d’énumérer les noms de ces bassins de vie pour se représenter qui ils sont :

Ils sont d’abord une France rurale où l’on relève les beaux noms qui sentent bon les fromages fermiers et l’histoire de France, parmi lesquels en partant des plus mal lotis : Parigné-l’Évêque, Criquetot – l’Esneval, Châtillon – Coligny, Les Aix – d’Angillon, Ferrières en Gâtinais, Fresnay sur Sarthe, Saint-Lubin des Joncherets – Nonancourt, Chaumont-en-Vexin, Varennes-sur-Allier, Villaines-la-Juhel.

Ils sont aussi ceux de la désertification industrielle : La Grand-Combe, Tonneins, Digoin, Saulieu, Port-la-Nouvelle, La Ferté-Gaucher, Nogent-sur-Seine, Seyssel, Valognes, Revin, Baccarat, Suippes, Thizy-les-Bourgs, Cerizay et tant d’autres. Au total, un tiers des bassins de vie sont désormais concernés : 544 sur 1666 bassins de vie.

En regard qui sont les plus favorisés ? Leur énumération suffit à nous faire comprendre que ce ne sont pas les besoins qui guident la répartition :

Les villes d’eau, de repos et de villégiature, les stations de montagne, là où la santé et le « bien-être » sont un véritable business, au sud de préférence, des sortes de Las Vegas où souvent d’ailleurs les casinos pullulent, l’alibi de la cure ou de la « thalasso » en plus : Cambo-les-Bains, Amélie-les-Bains, Gréoux-les-Bains, Le Mont-Dore, Luchon, Argelès-Gazost, Bourg Saint-Maurice, Dax, Font-Romeu-Odeillo-Via, Villard-de-Lans.

Les bords de mer, du sud de préférence : Sausset-les-Pins – Carry-le-Rouet, Bayonne, Saint-Tropez, Sète, Marseillan, Cassis, Banyuls-sur-Mer, mais aussi ceux de l’Atlantique et de la Manche : Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-en-Royans, La Rochelle, Pornic, Saint-Malo.

Voilà où se pressent les médecins. Mais sur 40 % du territoire, 10 millions de personnes peinent à trouver un médecin généraliste disponible et proche d’eux. Pour le coup, ceux-là qui en tant que tels « n’emmerdent » personne, sont vraiment « emmerdés ». Et de fait « emmerdés » par ceux qui ont en charge de leur « garantir la protection de la santé ». Ne parlons pas de ces autres garanties que désigne la Constitution : « la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », cela ferait vraiment beaucoup « d’emmerdés » !

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Emmanuel Vigneron, «Qui emmerde qui?», Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, N° 40, Mars 2022.