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Transplantation d’organes au Sénégal

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Résumé :
La transplantation d’organes au Sénégal reste marginale malgré une loi adoptée en 2015, dont l’application est entravée par l’absence de décrets d’application et un cadre juridique incomplet. Les premières greffes rénales réalisées en 2023 et 2024 marquent une avancée. Des défis éthiques, juridiques, socioculturels et financiers freinent l’expansion de la transplantation, notamment l’interdiction du prélèvement post-mortem et la dépendance aux solutions à l’étranger.

Abstract :
Organ transplantation in Senegal remains marginal despite a law adopted in 2015, the application of which is hampered by the absence of implementing decrees and an incomplete legal framework. The first kidney transplants performed in 2023 and 2024 mark a step forward. Ethical, legal, socio-cultural and financial challenges are hampering the expansion of transplantation, including the ban on post-mortem collection and dependence on solutions abroad.

Les greffes d’organes représentent une avancée médicale majeure permettant de sauver des vies et d’améliorer la qualité de vie des patients atteints d’insuffisances organiques terminales. Cependant, à l’échelle mondiale, la demande en organes dépasse largement l’offre disponible. En Afrique, cette pratique reste encore limitée (OMS, 2020)​.

Au Sénégal, la transplantation d’organes est peu développée, bien que l’insuffisance rénale chronique constitue un problème de santé publique de plus en plus préoccupant. Le recours massif à la dialyse, faute d’un programme de transplantation opérationnel, limite les perspectives thérapeutiques des patients et engendre des coûts élevés. Malgré un potentiel de donneurs vivants, révélé par plusieurs études (Niang et al., 2012)​, la greffe d’organes demeure marginale en raison de nombreuses barrières institutionnelles, socioculturelles et financières. Cet article vise à analyser les défis liés à la transplantation d’organes au Sénégal, en identifiant les obstacles à sa mise en œuvre et en explorant les opportunités pour un développement structuré et efficace de cette pratique.

1. Contexte et état des lieux

1.1. La situation actuelle des greffes d’organes au Sénégal

La transplantation d’organes au Sénégal demeure une pratique balbutiante, voire expérimentale, encore largement insuffisante pour répondre aux besoins croissants des patients atteints d’insuffisance organique terminale. Malgré l’adoption de la loi n° 2015-22 régissant le don et la transplantation d’organes, l’absence de décrets d’application a considérablement retardé sa mise en œuvre, limitant ainsi l’accès à ces interventions thérapeutiques. De ce fait, les patients en attente d’une greffe sont contraints de se tourner vers des traitements palliatifs coûteux, tels que la dialyse, ou de rechercher des solutions à l’étranger, notamment en Tunisie, où le coût d’une transplantation rénale varie entre 10 et 20 millions de FCFA (15 000 à 22 500 euros).

Le Sénégal a franchi une étape décisive en novembre 2023, avec la réalisation de ses trois premières greffes rénales au sein de l’hôpital militaire de Ouakam, en collaboration avec une équipe du CHU Aristide Le Dantec de Dakar et de spécialistes turcs. Cet événement marque une avancée significative dans la prise en charge des patients souffrant d’insuffisance rénale terminale. Le 27 juillet 2024, une quatrième transplantation rénale a été réalisée avec succès par une équipe entièrement sénégalaise, confirmant ainsi la montée en compétence du personnel médical local.

1.2. Un cadre juridique encore incomplet

Le cadre juridique des greffes d’organes au Sénégal repose sur la loi n° 2015-22 du 8 décembre 2015, qui établit les principes fondamentaux du don, du prélèvement et de la transplantation. Cette loi garantit l’intégrité physique et la dignité humaine, impose la gratuité du don et interdit toute transaction commerciale sur les organes. Elle institue également le Conseil National du Don et de la transplantation (CNDT), chargé de superviser les procédures et d’assurer la transparence du processus. Toutefois, le prélèvement sur donneurs décédés reste interdit, à l’exception de la cornée, et les greffes ne peuvent être réalisées que dans des établissements publics agréés sous contrôle du ministère de la Santé (Ndiaye, 2021). Cependant, plusieurs insuffisances entravent l’application effective de cette loi. L’absence des décrets d’application empêche la mise en œuvre des mesures prévues, notamment l’organisation des prélèvements et la gestion des greffons. De plus, le cadre légal limite le don aux seuls donneurs vivants apparentés, excluant ainsi le consentement présumé ou les dons altruistes. Cette restriction réduit considérablement le nombre de donneurs potentiels et oblige de nombreux patients à chercher des solutions à l’étranger. Par ailleurs, le manque d’harmonisation des textes législatifs et réglementaires bioéthiques crée des incohérences : alors que la loi interdit le prélèvement post-mortem, le Code d’éthique pour la recherche en santé autorise le don du corps entier à la science, illustrant une approche fragmentée et incomplète du cadre bioéthique (Ndiaye, 2021).

1.3. Un coût financier élevé

Le coût des transplantations d’organes représente un obstacle majeur à l’accessibilité de ces interventions au Sénégal. En l’absence d’un programme national de prise en charge des greffes, les patients sont contraints de se tourner vers des solutions coûteuses à l’étranger. Par exemple, une transplantation rénale en Tunisie coûte entre 10 et 20 millions de FCFA, une somme largement hors de portée pour la majorité des Sénégalais, dont le salaire moyen ne permet pas de couvrir de telles dépenses (Niang et al., 2012). Cette situation crée une inégalité d’accès aux soins, où seuls les patients bénéficiant d’un soutien financier familial ou d’une couverture médicale internationale peuvent prétendre à une greffe.

Une comparaison internationale met en évidence des écarts significatifs dans les coûts des transplantations. En France, le coût moyen d’une greffe rénale s’élève à 80 000 à 100 000 euros, entièrement pris en charge par le système de sécurité sociale, ce qui garantit une accessibilité universelle aux patients souffrant d’insuffisance rénale (OMS, 2020). Aux États-Unis, le coût est encore plus élevé, atteignant jusqu’à 260 000 dollars pour une transplantation rénale, sans compter les frais postopératoires et les traitements immunosuppresseurs indispensables à la survie du greffon (OMS, 2020). Toutefois, les patients américains disposent de solutions de financement à travers l’assurance maladie privée ou des programmes d’aide fédéraux, contrairement au Sénégal, où aucun mécanisme de remboursement spécifique n’existe pour les greffes. Face à ces défis financiers, la mise en place d’un mécanisme de financement public et d’un cadre d’assurance médicale adapté devient une nécessité. Le coût de la dialyse à vie représente déjà une charge importante pour l’État sénégalais, estimée à 7 000 euros par an et par patient (OMS, 2020). Une subvention des greffes par l’État ou une réforme du système de couverture sanitaire pourrait ainsi réduire cette dépendance aux traitements palliatifs et améliorer l’accessibilité des transplantations pour les patients souffrant d’insuffisance organique terminale.

2. Défis à relever pour rendre accessible la transplantation d’organes au Sénégal

L’accessibilité de la transplantation d’organes au Sénégal est entravée par de multiples défis qui relèvent des dimensions éthiques, juridiques, socioculturelles, techniques et logistiques. Ces obstacles freinent le développement d’un programme national efficace de greffes et maintiennent une dépendance des patients aux soins à l’étranger. Leur résolution nécessite une approche holistique intégrant réformes institutionnelles, investissements médicaux et mobilisation sociale.

Défis éthiques : entre gratuité, consentement et marchandisation

L’un des principaux enjeux éthiques réside dans le respect du consentement libre et éclairé des donneurs vivants. La loi sénégalaise interdit toute transaction commerciale sur les organes, consacrant ainsi la gratuité du don (Ndiaye, 2021). Toutefois, la pression familiale et sociale peut influer sur la décision des donneurs, brouillant la frontière entre volontariat et contrainte. De plus, la marchandisation du corps humain, bien que prohibée par la loi, reste une menace dans un contexte où la pénurie d’organes pourrait engendrer des pratiques clandestines (Steiner, 2006).

L’absence de donneurs décédés, du fait de l’interdiction du prélèvement post-mortem, pose également un problème éthique et pragmatique. Dans plusieurs pays, le consentement présumé permet d’augmenter le nombre de greffons disponibles, mais au Sénégal, cette perspective se heurte à des réticences culturelles et religieuses qui perçoivent la préservation du corps après la mort comme un impératif moral et spirituel (Ndiaye, 2021).

Défis juridiques : un cadre légal incomplet et des incohérences normatives

Le Sénégal dispose d’une loi spécifique sur la transplantation d’organes (n° 2015-22), mais son application est freinée par l’absence des décrets d’application, ce qui laisse plusieurs dispositions inopérantes. Le Conseil National du Don et de la transplantation (CNDT), censé superviser l’ensemble du processus, ne dispose pas encore des moyens réglementaires et institutionnels pour fonctionner efficacement (Ndiaye, 2021). Par ailleurs, le droit sénégalais présente des incohérences bioéthiques. Tandis que le prélèvement post-mortem est interdit, le Code d’éthique pour la recherche en santé autorise le don du corps entier à la science (Ndiaye, 2021). Cette contradiction témoigne d’une absence de coordination des textes juridiques, rendant difficile une politique cohérente en matière de transplantation d’organes.

Défis socioculturels : entre tabous et acceptation progressive

Le don d’organes se heurte à une forte résistance sociale et religieuse au Sénégal. L’idée de prélever des organes sur une personne décédée est perçue comme une atteinte à l’intégrité du corps et un empêchement au repos spirituel du défunt, selon des croyances largement partagées (Ndiaye, 2021). L’islam majoritaire n’offre pas de consensus clair sur la légitimité du don d’organes, ce qui alimente la méfiance des populations et limite l’adhésion aux programmes de greffes. Toutefois, certaines études récentes montrent une ouverture progressive : une enquête menée à Dakar a révélé que 71,5 % des personnes interrogées étaient prêtes à donner un rein à un proche en cas de besoin (Niang et al., 2012). Cela démontre que des efforts de sensibilisation et d’éducation du public pourraient contribuer à lever ces freins culturels et à encourager davantage le don d’organes.

Défis techniques et logistiques : un manque d’infrastructures et de formation

La transplantation d’organes exige une infrastructure médicale spécialisée et un personnel qualifié. Or ces ressources restent limitées au Sénégal. Seuls deux centres hospitaliers (le CHU Aristide Le Dantec de Dakar et l’Hôpital militaire de Ouakam) sont actuellement habilités à pratiquer des greffes rénales, avec un nombre restreint de chirurgiens et de spécialistes formés (Diao, 2023).

Les défis techniques sont multiples :

  • Un déficit en équipement biomédical avancé, notamment pour la conservation des organes et la chirurgie de transplantation.
  • Un manque de formation du personnel médical, nécessitant un recours régulier à des spécialistes étrangers pour encadrer les premières transplantations.
  • Des coûts élevés des interventions, estimés à 13 millions de FCFA par patient, ce qui rend ces opérations inaccessibles sans une politique de financement adaptée (Diao, 2023).

L’organisation même du processus de transplantation reste complexe. L’expérience récente des premières greffes au Sénégal a mis en évidence l’importance d’une coordination stricte entre les équipes médicales pour garantir le succès des opérations et minimiser les complications (Diao, 2023).

Conclusion

Dix ans après l’adoption de la loi n° 2015-22 sur le don et la transplantation d’organes, le Sénégal demeure encore dans une phase balbutiante, voire expérimentale, en matière de greffe. L’absence persistante des décrets d’application entrave la mise en œuvre effective de cette loi, rendant les avancées très limitées. Les premières greffes rénales, réalisées en 2023 et 2024, bien qu’encourageantes, restent des opérations isolées qui ne reflètent pas encore l’existence d’un véritable programme national de transplantation. Sans un cadre réglementaire clair et opérationnel, la transplantation d’organes au Sénégal risque de rester une exception plutôt qu’une solution médicale accessible et durable.

Pour sortir de cette phase expérimentale, une mobilisation nationale est impérative. L’accélération du processus législatif, avec l’adoption des décrets d’application, est un prérequis pour organiser et structurer les greffes d’organes sur le territoire national. Par ailleurs, les défis liés aux infrastructures, à la formation du personnel médical et à l’acceptation socioculturelle du don d’organes doivent être relevés de manière concertée. Le Sénégal ne manque ni de compétences médicales ni de patients en attente de transplantation, mais il manque encore une volonté politique et des ressources adaptées pour transformer ces essais en un programme durable.

Si rien n’est fait rapidement, le pays continuera à dépendre des structures étrangères pour la prise en charge des patients nécessitant une greffe, avec des coûts prohibitifs et une accessibilité réservée à une minorité. Au lieu de laisser s’enliser la transplantation dans une dynamique ponctuelle et expérimentale, il est temps d’adopter une approche globale, systémique et pérenne, où le droit, la médecine et la sensibilisation publics avancent de manière coordonnée. Le Sénégal ne peut pas se contenter de réussites sporadiques : il doit faire des greffes une réalité structurée et accessible à tous.

Bibliographie :

  • Diao, B. (2023). Première greffe de rein au Sénégal : « Nous n’avons fait que combler un retard ». Radio France internationale (RFI), 4 décembre 2023 (4:29)
  • Ndiaye, E. H. S. (2021). L’envers du droit de la bioéthique en gestation au Sénégal : le corps humain saisi par le droit. Revue internationale de droit comparé, (4), 897-930.
  • Niang, A., Leye, M. M., Dione, L., Ka, E. H. F., Dia, A. T., & Diouf, B. (2012). Perception du don de rein au Sénégal et potentiels donneurs. Néphrologie & Thérapeutique, 8(6), 468–471. https://doi.org/10.1016/j.nephro.2012.03.005
  • Organisation mondiale de la Santé (OMS). (2020). Situation des dons et des transplantations d’organes et de tissus humains dans la région africaine de l’OMS. Organisation mondiale de la Santé.
  • Steiner, P. (2006). Le don d’organes : une typologie analytique. Revue française de sociologie, 47(3), 479-506.
  • République du Sénégal. (2015). Loi n° 2015-22 du 8 décembre 2015 relative au don, au prélèvement et à la transplantation d’organes. Journal officiel du Sénégal.