Résumé :
L’auteur ouvre le débat à l’occasion des élections européennes à venir sur la place de la santé dans cette construction. L’UE ne dispose pas de compétence exclusive mais d’une compétence d’appui dans le domaine de la santé. Pour autant, elle peut faire avancer bien des dossiers. On peut citer la protection sociale, les retraites, le financement, la recherche, la formation, le médicament, le système transfusionnel, les droits des femmes, l’accès à la santé des personnes exilées en France et en Europe. L’auteur développe ses propositions.
Abstract :
The author opens the debate on the occasion of the upcoming European elections on the place of health in this construction. The EU does not have exclusive competence but a supporting competence in the field of health. However, it can move many issues forward. We can cite social protection, pensions, financing, research, training, medicine, the blood transfusion system, women’s rights, access to health for people exiled in France and Europe. The author develops his proposals.
L’UE ne dispose pas de compétence exclusive mais d’une compétence d’appui dans le domaine de la santé. En effet, cette dernière n’a pas été un thème central dans le processus d’intégration européenne. Cependant, la crise de la Covid-19 a créé des attentes très importantes chez les citoyennes et citoyens vis-à-vis de la santé. L’Union européenne (UE) a rapidement été perçue comme un échelon adéquat pour apporter une réponse coordonnée à cette pandémie. Cette pandémie du covid 19 qui a aussi révélé au grand jour les conséquences des politiques d’austérité portées depuis plusieurs décennies, avec des sous-investissements dans les services de santé et d’accompagnement social, contre les politiques de santé publique et, à l’échelle européenne.
Cette période a mis en évidence l’impréparation et la fragilité du système européen de réponse aux crises alors que l’Union Européenne peut être une solution pour assurer en matière de santé réponses et coopérations face à des pandémies mondiales. Construire une Europe solidaire, coordonnée et de coopération en matière de santé publique exige donc de rompre avec les logiques concurrentielles, les règles de compétitivité et bien entendu les politiques austéritaires de baisses des budgets.
A contrario élever la politique de santé publique européenne à un haut niveau, permettra de réconcilier les citoyennes et citoyens européens avec le projet européen. L’idée que la santé doit être appréhendée comme un bien commun et la santé publique doit primer sur les intérêts commerciaux et industriels est, aujourd’hui portée par beaucoup de citoyens, de politiques, de représentants des salariés, d’associations, d’ONG et nous devons ouvrir la voie à des propositions exigeantes et révolutionnaires.
La pénurie de médicament à l’échelle européenne, la délocalisation de la production pharmaceutique, le déclin de la recherche pharmaceutique sont clairement les choix du capitalisme. Notre proposition d’un pôle public du médicament en France, et nous avons démontré que sa mise en œuvre est possible avec des rapports de force favorables, est une piste à proposer au niveau européen. Et nous ne sommes pas les seuls à porter cette exigence : une députée européenne, pourtant de droite, propose, la création d’établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif capables de produire des médicaments…
La santé, aujourd’hui sous l’influence et la pression de puissants lobbies, doit retrouver une indépendance démocratique, une démocratie sanitaire qui doit également reposer sur les notions de contrôle et de transparence. Le financement et les budgets des pays européens alloués à la santé dans sa globalité, à la prévention, la santé au travail, la formation, la recherche doivent être libérés du diktat des politiques d’austérité et des règles budgétaires européennes. La doxa de la concurrence portée par l’Europe et les États au service du capital justifie le démantèlement des services publics de santé et la baisse de la part des cotisations sociales dans le financement de la Sécurité sociale de notre pays qui assèche ses ressources.
Les centaines de milliards déversés par la BCE vers les banques privées pourraient être réorientés pour servir au développement humain au lieu d’alimenter les profits et la finance. Nous devons centrer le projet européen sur les priorités sociales qui permettent d’ouvrir la voie, de manière durable, à un véritable co-développement entre peuples européens, impulser un nouveau modèle social avancé, et gagner le principe qu’aucune loi européenne ne doit entraîner de régression des droits sociaux et démocratiques ni de remise en cause des services publics. L’alignement par le haut des droits sociaux doit être la norme, les conquêtes sociales, démocratiques doivent bénéficier à l’ensemble des peuples.
Quels sont nos objectifs et propositions?
Protection sociale
La protection sociale est un droit humain reconnu au sein du droit international, et un pilier de la construction des sociétés. Elle joue un rôle essentiel en protégeant les individus contre l’insécurité du revenu tout au long de leur vie. La protection sociale solidaire est une des forces de notre société qui consent un investissement collectif exceptionnel pour protéger l’ensemble de la population contre tous les facteurs d’insécurité (maladie, invalidité, vieillesse…) et améliorer la santé de tous les individus dans le cadre d’un système unifié. Cela passe par une Sécurité sociale renforcée. Le financement est un enjeu pour la solidarité, dans notre système français, la cotisation porte une signification forte. Le système doit répondre aux besoins ce qui emporte la nécessité du contrôle démocratique, de la gestion par les intéressés eux-mêmes.
Faire de l’Europe sociale et de la santé, celle de la solidarité, où la santé serait considérée comme un bien commun et non une marchandise négociable entre des individus et les fournisseurs sur un marché commercial. Reconnaître un droit explicite à la Sécurité sociale solidaire et unifiée intégrant l’intervention décisionnaire des représentants des bénéficiaires et leurs représentants dans la gestion avec un financement solidaire. Se donner la perspective que dans l’ensemble de l’Europe soit institué un remboursement à 100% des soins prescrits.
Retraites
En Europe, les organisations de retraités font le même constat : une mise en cause sans précédent des droits et du pouvoir d’achat des retraités. Elles ont décidé d’organiser des mobilisations dans toute Europe pour impulser un nouveau modèle social avancé, intergénérationnel, dans une société pour tous les âges, commun à tous les européens et toutes les européennes.
Parmi ces priorités sociales, le droit à une pension garantissant le pouvoir d’achat, le droit à la santé, le droit à l’autonomie, le droit aux services publics et aux services d’intérêt général, l‘égalité salariale entre les femmes et les hommes en France et en Europe Cela permettrait aux actifs de se constituer des droits pour un haut de niveau de retraite.
Financement
Depuis 2008, la BCE et les banques centrales nationales qui, avec elle, constituent l’Eurosystème, ont acheté à leurs détenteurs (compagnies d’assurance, banques, fonds de placement, multinationales…) des milliers de milliards de titres de dette émis par les États de la zone euro. Cet argent, déversé sur les marchés financiers sans aucun contrôle démocratique, a contribué à affaiblir les économies européennes, à priver les peuples de tout pouvoir sur son utilisation et à favoriser l’inflation des prix. Nous proposons que la BCE fasse l’économie de ce détour coûteux par les marchés financiers et qu’elle finance plutôt un fonds de développement économique, social, écologique, solidaire européen voué au financement de projets démocratiquement élaborés, décidés, réalisés et contrôlés de façon décentralisée dans les différents pays membres de l’UE. Il ne serait alors pas nécessaire d’attendre une révision du traité pour que le fonds européen puisse accéder aux financements monétaires de la BCE ; l’article 123.2 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) l’autorise formellement. Sa constitution pourrait même être amorcée dès le niveau national, en s’appuyant sur les institutions publiques telles que la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) et la Banque Publique d’Investissement (BPI France), qui peuvent dès aujourd’hui se refinancer auprès de la BCE. L’intervention de ce fonds européen, mis sous contrôle des parlements nationaux, permettrait de financer par des crédits à taux zéro, des investissements et des dépenses de développement indispensables dans le système de santé, l’hôpital, comme l’environnement et la formation.
Recherche.
Depuis plusieurs années, il y a un désengagement au niveau de l’UE pour la recherche fondamentale. Le décrochage en matière de budget alloué à la recherche et tout particulièrement en France (diminution des crédits publics R&D hors Crédit Impôt Recherche de 28% de 2011 à 2018 selon l’OCDE) entraine un sous-investissement dans la recherche fondamentale avec un impact important sur le processus d’innovation. Et cela s’est concrétisé avec les échecs de Sanofi dans la course aux vaccins anti-covid.
Nous proposons de réorienter les financements du Conseil Européen de la Recherche (ERC) vers des projets de collaboration transnationaux en complément d’une politique de recherche nationale avec des financements récurrents et libérés de l’injonction de la rentabilité immédiate.
Formation
Que ce soit dans les hôpitaux ou en médecine de ville, les pays de L’union Européenne souffrent de la pénurie de professionnels de santé. Le vieillissement de la population génère une augmentation de la demande de soins, mais la formation des personnels n’a pas suivi. Les professionnels sont aussi vieillissants, selon un rapport 2022 de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 40% des personnels de santé sont proches de la retraite dans un tiers des pays d’Europe. Les écarts entre les pays sont aussi importants, la moyenne européenne du taux de médecins est de 37 praticiens pour 10 000 habitants, la France est au dessous avec environ 33 médecins pour 10 000 habitants. Les écarts en terme d’offre de formations ou d’offre d’emplois qui existent en la matière entre les différents pays européens génèrent la migration de professionnels qui progresse. Ainsi, dans notre pays, les flux de professionnels formés à l’étranger ont été particulièrement croissants, c’est particulièrement net pour les médecins hospitaliers, les chirurgiens dentistes et les masseurs kinésithérapeutes. Ce pillage de formations et de professionnels entre les pays européens pose des problèmes d’éthique mais aussi d’harmonisation des formations théoriques et cliniques. Selon l’OMS, «Toutes ces menaces représentent une bombe à retardement qui, si on n’y prend pas garde, risque d’entraîner de lourdes conséquences pour la santé partout, des temps d’attente importants avant traitement, beaucoup de décès évitables, voire un effondrement des systèmes de santé » et toujours selon l’OMS, il est urgent de mettre en place des plans de formation ambitieux, notamment dans les pays européens qui sont les moins bien dotés (dont la France) afin d’assurer à l’ensemble de la population, quelle que soit la zone géographique, des services de proximité. Nos objectifs sont de mettre en place un grand plan de formation sur l’ensemble de l’Union Européenne prenant en compte les paramètres de chaque pays en matière de formation des différentes professions médicales ou paramédicales ainsi que l’indice de vieillissement de la population et l’évolution des pratiques des professionnels. Ce plan de formation devant intégrer pour la France un rattrapage immédiat sur les années des quotas bas de formation du numerus clausus par la formation de 15000 médecins et 1900 chirurgiens dentistes par an. Enfin, en place, au niveau européen, un plan d’investissement dans les structures de formation des professionnels universitaires et cliniques des différents pays de l’union.
Médicaments
La pandémie de covid 19 a montré que la mise à disposition et la disponibilité des médicaments et des vaccins pouvait être compromise. L’incapacité structurelle des entreprises capitalistes du médicament à réaliser les partages de technologies et les coopérations nécessaires, avec les capacités de production insuffisantes qui en résultent, ont expliqué les difficultés initiales d’approvisionnement en vaccin.
Les prix des vaccins à ARN (que Pfizer et Moderna n’ont pas hésité à augmenter en pleine vague pandémique) ont été imposés aux États et ont permis des profits scandaleux (près de 34 milliards de dollars en 2021, soit 1000 dollars par seconde, ou 93,5 millions de dollars par jour, selon l’association People’s vaccine alliance et OXFAM) alors que la mise au point de ces vaccins a largement bénéficié de plusieurs milliards d’investissement publics aux étapes initiales. La situation est similaire dans le domaine des nouveaux médicaments, comme les nouveaux anticancéreux par exemple, dont les prix exorbitants sont totalement déconnectés des coûts de R&D et de production et mettent sous tension les systèmes de protection sociale, avec le risque de menace au final l’accès aux innovations.
De nombreux médicaments du quotidien ne sont plus produits sur le territoire européen. Les pénuries de médicament se poursuivent et s’amplifient. Selon l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), plus de 3 700 ruptures ou risques de ruptures de médicaments ont été signalées sur le sol français en 2022, contre 700 en 2018 et moins de 200 en 2012. Ces pénuries sont liées
– aux arrêts de commercialisation décidés unilatéralement en raison du peu d’intérêt commercial pour certains médicaments, souvent anciens et peu coûteux mais pourtant indispensables aux malades,
– aux difficultés d’approvisionnement en principes actifs et/ou aux défauts de qualité dans leur production, en rapport direct avec l’externalisation et la fragmentation toujours plus importante de la production
– 40 % des médicaments commercialisés dans l’UE proviennent de pays extra-communautaires et 80% des fabricants de principes actifs entrant dans la composition des médicaments disponibles en Europe sont basés hors-UE, plus du tiers des matières premières nécessaires provenant d’Inde, de Chine et des États-Unis
– la production des médicaments se réalise à flux tendu avec un minimum de stock ne permettant pas de faire face à une hausse inattendue de la demande ou à un problème sur la chaîne de fabrication.
Des mesures de régulation s’imposent sans lesquelles, à terme, des millions d’assurés sociaux ne pourront plus avoir accès à ces médicaments. Le système de brevets et les lobbies pharmaceutiques (sous couvert de conseillers experts) influencent les réglementations européennes.
Nos objectifs sont :
- de reprendre la main sur la régulation du marché du médicament, opposer la force publique aux industriels pour agir sur le prix des médicaments à l’échelle de l’UE par des négociations transparentes de prix avec l’industrie pharmaceutique à l’échelle de l’Union.
- de revoir régulièrement ce prix en fonction des profits dégagés et des dividendes versés aux actionnaires. Nous devons exiger la transparence des coûts sur les prix revendiqués par les industriels, notamment ceux remboursés. Le prix d’un médicament ne peut être calé ni sur la financiarisation d’une entreprise, ni sur le service médical rendu.
- de créer un pôle public du médicament au niveau Européen ou un organisme public de coopérations renforcées pour : produire les médicaments essentiels, c’est-à-dire ceux de la liste prioritaire établie par l’OMS et qui sont considérés comme essentiels aux besoins humains en santé. Faire face aux pénuries récurrentes dès lors que l’espérance du profit n’est pas suffisante pour les actionnaires. Être capable le cas échéant de dégainer l’arme absolue de la licence d’office, celle qui permet aux États, lorsqu’ils considèrent que leurs intérêts vitaux en santé publique sont menacés, de casser les brevets et de produire eux-mêmes les médicaments dont l’industrie refuse de négocier les prix. Redonner du poids à la recherche clinique publique dans le domaine pharmaceutique puisque celle-ci a été totalement abandonnée par la logique libérale. Pour ce faire la création d’un pôle public du médicament en France sera stratégique.
Système transfusionnel : sang, produits et médicaments dérivés du sang
L’organisation des systèmes transfusionnels en Europe est très hétérogène, allant de systèmes publics reposant sur le don bénévole à des systèmes proches des organisations marchandes (Allemagne, Autriche, Hongrie et République tchèque). En septembre dernier, le parlement européen a voté une directive qui confirme que le don doit être gratuit dans l’Union, tout en permettant cependant une “indemnisation des donneurs”. Des directives européennes dont celle de 1993, ont qualifié les «dérivés du plasma» en «médicaments» ce qui leur permet d’être commercialisés. L’UE est fortement tributaire des importations lorsqu’il s’agit de garantir un niveau suffisant d’approvisionnement. En particulier, l’UE se tourne vers les États-Unis pour obtenir en suffisance le plasma utilisé pour fabriquer des médicaments dérivés du plasma. La législation actuelle encourage la constitution d’un approvisionnement suffisant fondé sur les dons volontaires et non rémunérés sans pour autant prévoir des mesures concrètes pour garantir ou accroître cet approvisionnement.
Cette commercialisation s’applique à la France, dont une partie du plasma des MDS «Médicaments Dérivés du Sang», utilisés dans nos hôpitaux, est importée. Un travail de lobbying des multinationales, tant dans les hôpitaux qu’au parlement européen, cherche à asphyxier le laboratoire du fractionnement et des biotechnologies (LFB), de petite taille, comparé aux mastodontes multinationaux. Nos objectifs sont:
- avec la création du pôle public du médicament, sortir le médicament et les produits dérivés du sang de la logique de profit et permettre l’accès de la population européenne à ces produits essentiels.
- de défendre l’éthique du système transfusionnel français et de promouvoir les dons de substances d’origine humaine reposant sur le principe du don volontaire et non rémunéré, de l’altruisme du donneur et de la solidarité entre donneur et receveur.
Droits des femmes
Nos objectifs: les Droits des Femmes à disposer de leur corps doit devenir une exigence inscrite dans le programme de l’UE avec des budgets à la hauteur. L’accès libre et gratuit à la contraception sous toutes ses formes doit être garanti. L’inscription du droit à l’avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux pour que ce droit soit respecté et garanti comme vient de la faire la France dans sa Constitution.
Accès à la santé des personnes exilées en France et en Europe.
Les personnes exilées arrivant en Europe ont subi un parcours d’exil traumatisant et des situations sanitaires et psychiques souvent catastrophiques, qui nécessitent une mobilisation rapide et coordonnée des acteurs de la santé comme de lutte contre les exclusions. C’est essentiel pour assurer la sécurité de ces personnes mais également pour assurer la sécurité sanitaire de toute la population des territoires.
Nos objectifs :
- Dans un contexte d’extrême tension sur la santé des personnes en situation de précarité, il devient urgent de faire des choix politiques ambitieux dans une perspective de santé publique plutôt que de gestion de flux migratoires.
- Toute personne étrangère et exilée, en France comme en Europe doit bénéficier d’une visite médicale dès son arrivée sur le territoire.
- Les personnes exilées arrivant dans un pays de l’UE doivent pouvoir accéder à tous les soins, de façon inconditionnelle.
- Seront pérennisés et renforcés, notamment financièrement, les réseaux et les centres ressources d’appui et d’expertise spécialisés sur l’accompagnement de la santé des exilés, notamment en santé mentale. Cela passe par une meilleure formation des professionnels de santé à l’accompagnement des publics étrangers. Il faut aussi un développement des moyens de l’interprétariat et de la médiation en santé.
Au total, l’Europe peut offrir un cadre pour le développement de la santé si elle oriente sa politique vers des objectifs sociaux répondant aux besoins des populations. Cela implique un abandon des politiques ultralibérales en vigueur aujourd’hui. J’invite chaque citoyen à bien regarder les programmes des candidats de ce point de vue.