Pour une politique de santé territoriale ambulatoire de proximité : la nécessité d’un réseau national des centres de santé de service public

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Résumé :
Les auteurs, acteurs majeurs du mouvement des centres de santé, proposent une nouvelle politique pour répondre à la crise du système de santé, en particulier celle de l’ambulatoire. Ils demandent la création d’un service public ambulatoire de santé. Les centres de santé de service public sous la forme d’un réseau seraient le support de cette réforme. De nombreuses propositions concrètes sont avancées et seraient la base d’une nouvelle loi.

Abstract :
The authors, major players in the health center movement, propose a new policy to respond to the crisis in the health system, in particular that of the outpatient sector. They are calling for the creation of a public outpatient health service. Public service health centers in the form of a network would support this reform. Many concrete proposals are put forward and would be the basis of a new law.

La crise que traverse le système de santé français nécessite des réformes profondes pour répondre aux besoins de la population. Chacun le sent bien et même ceux qui ont provoqué ce désastre le reconnaissent. Cette crise est d’abord une crise du financement (insuffisance de ressources de l’assurance maladie) mais aussi une crise structurelle : insuffisance du nombre de professionnels de santé, réduction des moyens alloués à l’hôpital public et aux services publics de santé (PMI, santé scolaire), développement d’une privatisation tout azimut, manque de démocratie, vieillissement de la population, besoins nouveaux liés aux progrès de la médecine, insuffisance des politiques de prévention notamment dans le cadre du travail, pénurie d’offre de soins dans les territoires, creusement des inégalités sociales de santé, nouvelles pratiques professionnelles d’équipe etc. Nous nous limiterons ici à aborder les problèmes de la médecine ambulatoire et nous présenterons notre projet de réseau national de centres de santé de service public.

La médecine ambulatoire, en ville comme en campagne est touchée de plein fouet par la pénurie de professionnels. La médecine libérale en cabinet isolé est en perte de vitesse, les derniers médecins pratiquant ainsi prenant leur retraite et ne trouvant pas de successeurs. La pénurie savamment organisée et jamais démentie par les pouvoirs publics et les syndicats libéraux depuis 1971 aboutit à une situation insupportable pour les usagers et finalement pour les professionnels aussi. L’aspiration des jeunes médecins à un autre mode de vie et de pratique oblige le système à évoluer. Les centres de santé sont reconnus maintenant – même par ceux qui s’y opposaient jusqu’à il y a encore peu – comme une piste sérieuse possible pour ouvrir un chemin de sortie de crise.

Les centres de santé qui se sont fortement développés depuis quelques années ont une expérience importante de la médecine ambulatoire (c’est à dire hors hôpital). Ils sont inscrits dans le code de santé public et sont plus de 2945 en France aujourd’hui (chiffres de l’Observatoire national des centres de santé pour 2023). Ils existent aussi dans de nombreux autres pays européens. Ils sont basés sur les principes d’une médecine sociale, facilitant l’accès de tous aux soins ; ils pratiquent le tiers payant et ne font aucun dépassement d’honoraires. Les professionnels sont salariés. Ils pratiquent une médecine d’équipe, coordonnée et pluriprofessionnelle et disposent pour certains de plateaux techniques, notamment d’imagerie médicale.

  1. Les centres de santé de service public sont le support de la réforme que nous proposons

Nous listons ici une série de propositions qui nous paraissent indispensables pour atteindre les objectifs sanitaires essentiels.

  • Il faut transformer les centres de santé publics et les centres de santé de gestion non lucrative pluriprofessionnels de premier recours qui le souhaiteront en établissements publics de santé ambulatoire, ce qui implique un statut juridique nouveau et commun à tous ces établissements dans leur diversité. Cela nécessitera un cadre légal nouveau.
  • Leur créations’appuie sur un projet de santé territorial. Elle se fait à l’initiative des collectivités territoriales, des établissements de santé publics ou privés à but non lucratif ou de structures privées à but strictement non lucratif. Les organismes à but lucratifs gestionnaires de centres de santé ou qui souhaiteraient le devenir sont en dehors du champ de ce statut. En cas d’absence d’initiatives locales, c’est l’État qui doit assumer sa responsabilité sanitaire et d’égalité territoriale. Ce projet territorial de santé permettra l’articulation avec l’hôpital public et la gradation des soins.
  • La typologie des gestionnaires comporte les collectivités publiques territoriales, les associations, les hôpitaux publics ou participant au service public, des comités d’entreprise ou assimilés, des organismes de protection sociale (CNAM, Mutuelles), les congrégations etc. L’État a l’obligation de créer ce type d’établissement public partout où ils n’existent pas et ne trouvent pas de gestionnaires locaux pour les créer.
  • Les locaux restent la propriété des gestionnaires mais l’État doit les fournir en cas de carence ; idem pour les équipements.
  • La direction administrative et médicale des centres est nommée par le gestionnaire et reste sous sa responsabilité financière.
  • Les centres ont l’interdiction d’être créés et gérés par des organismes à but lucratif.
  • Les obligations légales actuelles seront renforcées pour ces établissements  : équipe de premier recours composée au minimum de médecins généralistes et d’un autre professionnel de santé ( infirmière et/ou sage-femme et/ou kinésithérapeute …), pratique du tiers-payant intégral, secteur 1 strict, salariat avec rémunération des professionnels à la fonction, possibilité de création de comités médicaux d’établissements incluant des usagers, etc.
  • Conventions spécifiques avec la CNAM (Accord National rénové) indépendantes des conventions libérales.
  • Les méthodes de travail s’imposent selon les règles suivantes : liberté de choix des praticiens par les patients, médecine d’équipe, coordonnée et pluriprofessionnelle, salariat, dossiers médicaux communs accessibles aux praticiens du centre, obligation pour l’établissement de prendre en charge tous les patients. Le centre de santé est reconnu comme équipe traitante.
  • Le financement des centres de santé de service public reposera sur des financements composites : forfait patient médecin traitant (capitation) pour les soins, missions d’intérêt général et territorial, continuité des soins, soins non programmés, PDSA, formation aux métiers de la santé initiale et continue, participation aux coordinations territoriales et à leurs actions (CPTS, CLS, CLSM, CLIC etc).
  • Les centres de santé de service public sont des établissements ouverts à toute la population sans restriction aucune. Ils ont statut  de service public ou de services participant au service public.
  • Les personnels médicaux et paramédicaux ont un statut défini par la loi comme pour les praticiens hospitaliers.
  • La grille salariale nationale pour les médecins et chirurgiens-dentistes des centres de santé – établissements publics de santé ambulatoires est celle qui est appliquée pour les praticiens hospitaliers à temps complet (Fonction publique hospitalière) et pour les autres paramédicaux avec une égalité d’indices, de progression de carrière, de droits et de devoirs avec leurs collègues hospitaliers. Il s’agit ainsi de permettre les transferts et parcours de professionnels entre hôpitaux et centres de santé en maintenant leur déroulé de carrière et ainsi de favoriser les différentes formes de coopérations entre hôpitaux et centre de santé.
  • Pour les personnels administratifs des collectivités territoriales qui exerceront dans ces centres, il y a lieu de créer une filière administrative territoriale santé spécifique (attachés etc..).
  • Les centres de santé pourront être équipés de plateaux techniques adaptés aux besoins du territoire ( imagerie, biologie etc).
  • Les professionnels de santé participent à la permanence des soins en lien avec les autres professionnels du territoire, libéraux et hospitaliers.
  • Ils participent aux actions de santé publique et de promotion de la santé.
  • Les investissements publics d’État systématiques sont garantis en complément de ceux des gestionnaires.
  • Les professionnels de santé des centres bénéficient des programmes de formation continue obligatoire (DPC mais aussi hors DPC).
  • Les centres de santé  ont la possibilité d’avoir un statut universitaire et de recherche.
  • Les pré-recrutements des professionnels par concours sont possibles par l’État lors des études initiales avec engagement de service public de 10 ans afin de garantir l’engagement des dits professionnels et de favoriser le recrutement.
  • Le service lui-même : un service public national sous forme de réseau
  • Sa définition : c’est un service public national sous forme de réseau inscrit dans le code de la santé et les autres codes afférents. Il est garanti et géré par l’État.
  • Le but est de couvrir l’ensemble du territoire national.
  • A quels besoins veut-il répondre ?
  • lutter contre les inégalités sociales et territoriales
  • garantir des pratiques de soin pertinentes, de qualité et en toute sécurité  éliminant ainsi les pratiques non fondées sur les preuves
  • prise en charge globale des personnes et des populations
  • médecine de premier recours et si besoin de second recours
  • Ce service est public car il répond aux normes d’égalité territoriale et sociale
  • Il est national car il intervient sur l’ensemble du territoire français. 
  • Il est territorial car il tient compte des besoins locaux des populations. 
  • Il est ambulatoire car il intervient dans un cadre de proximité en dehors de l’hôpital y compris à domicile.
  • Le lien avec les autres acteurs de santé est une nécessité: coopération avec les hôpitaux publics , avec les services de prévention, de PMI, de santé scolaire, les services de psychiatrie etc. Les centres de santé participent obligatoirement aux CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) définies par la loi.
  • La gestion doit être démocratique par les élus locaux ou associatifs représentant les usagers, le Conseil d’Administration est obligatoirement présidé par le maire.

Ce réseau de centres de santé organisé en service public a pour objet la satisfaction d’un intérêt général. Il sera pour la médecine ambulatoire, la base d’un Service Public Territorial de Santé de Proximité qui devra intégrer les autres acteurs de santé et de prévention des territoires, y compris les professionnels de santé libéraux volontaires pour y participer. Il sera la forme moderne de prise en charge de la santé des citoyens. Il réduira les inégalités territoriales et sociales. Inspiré par la devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité il participera à ce titre à la cohésion  nationale par la résorption de la crise sanitaire et sociale.

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Michel Limousin, Eric May, Julie Chastang, Frédéric Villebrun, Richard Lopez, Hélène Colomba, « Pour une politique de santé territoriale ambulatoire de proximité : la nécessité d’un réseau national des centres de santé de service public », Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, N° 50 septembre 2024