La remise de Prix Jean-François Rey au Dr Kazumi Yamamoto

Document N° 3 : Discours du Docteur Kazumi YAMAMOTO, vice-président de MIN-IREN, au Congrès des centres de santé, le 10 octobre, 2024.

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Chers amis, bonjour !

Je vous remercie de m’avoir invité ici aujourd’hui. Avant tout, je tiens à vous exprimer mon profond respect pour vos activités quotidiennes auprès des personnes souffrantes, et pour les efforts que vous déployez pour protéger les droits de la population en matière de santé. Je suis honoré de m’adresser à vous au nom de la Fédération japonaise des institutions médicales démocratiques (MIN-IREN) à l’occasion de votre Congrès.

Je m’appelle Kazumi Yamamoto, vice-président de MIN-IREN. MIN-IREN a été créé en 1953 et, l’année dernière, nous avons fêté ses 70 ans. Nous avons eu l’honneur et le plaisir d’y accueillir Dr Michel Limousin.  Le Dr Limousin nous a présenté, dans le discours de solidarité, qu’il a prononcé lors de la réception, ses réflexions profondes sur une perspective globale de l’état du monde. Merci beaucoup, pour ces 20 années d’échanges avec nous.  Ces échanges sont précieux car ils nous ont permis de garder les yeux ouverts sur le progrès et la régression des droits de l’homme au niveau international.

MIN-IREN trouve son origine dans les dispensaires et cliniques créés pour et par les gens modestes, avant la Seconde Guerre mondiale, avec des praticiens conscients qui voulaient protéger la vie ainsi que la santé des travailleurs et des paysans. Les 20 dispensaires que nous avons mis en place au début ont été contraints de fermer par la suite, à cause des répressions conduites par un gouvernement militariste. Mais, après la fin de la guerre, MIN-IREN a repris le mouvement et s’est battu dans le Japon dévasté et appauvri par la défaite. Nous nous sommes battus pour établir la sécurité sociale en tant que droit de l’homme permettant à chacun de protéger sa vie et sa santé. Nous nous sommes opposés à toutes les politiques de guerre en promouvant la recherche de la paix, qui est le principe de base de la sécurité sociale. Nous avons soutenu les rescapés du bombardement atomique (les hibakusha) et lutté avec eux pour l’abolition des armes nucléaires.

En tant qu’établissements médicaux privés, nous avons toujours dû aborder les questions difficiles de la pérennisation de nos activités et de la recherche de successeurs. À l’heure actuelle, 1733 établissements, dont 143 hôpitaux, et 80 000 membres du personnel, dont 3623 médecins, exercent des activités médicales et de soins.

Lorsque le Japon a été frappé par le COVID-19, nous avons été les témoins de situations absurdes diverses dans certains établissements de santé : des personnes qui ont perdu leur emploi se sont trouvées sans revenus au point de souffrir de la faim, des personnes âgées qui se sont vues refusé l’accès aux soins après une poussée de fièvre, des auxiliaires de vie âgés qui devaient se rendre sur le terrain avec des connaissances et des mesures de sécurité inadéquates etc.  Ceux qui étaient les plus menacés étaient les personnes âgées, les handicapés, les femmes et les personnes économiquement vulnérables. En particulier, la vie des personnes âgées était traitée de façon discriminatoire. Une fois de plus, nous avons dû nous battre contre une politique sanitaire qui nie la vulnérabilité des patients, mais qui choisit la concurrence et non une offre de soins adéquats pour toutes et tous.

Inégalité, intolérance et exclusion: derrière cela, se cache le néolibéralisme, la recherche du profit au détriment de la vie humaine. Nos sociétés ne sont toujours pas libérées de la peur et de la pénurie. Les agressions militaires, les guerres et l’expansion militaire sur la planète, le génocide palestinien et la crise climatique sont en cours. La question qui se pose à nous dans cette phase complexe de crise est d’identifier ce que l’humanité doit valoriser: se reconnaître et se tolérer les uns les autres, et savoir comment nous pouvons travailler en ensemble.

Dans les bouleversements politiques auxquels la France est actuellement confrontée, le fait que le bon sens français obtienne des résultats avec une prise de position ferme sur les droits de l’homme et la démocratie est une lueur d’espoir pour le progrès social.

Aujourd’hui, au Japon, les préparatifs de guerre se multiplient en ordre grandissant , conformément à la stratégie du bloc militaire américain. La sécurité sociale est réduite au profit des coûts de la guerre. Les emplois sont de plus en plus précaires, les salaires réels n’augmentent plus depuis longtemps et la militarisation progresse dans une société stagnante et sans croissance.

MIN-IREN essaie d’offrir une contre-proposition à ces politiques néolibérales, une solution basée sur les principes de non-guerre, de non-violence, de droits de l’homme, d’égalité des sexes et d’éthique des soins. Nous nous concentrons en particulier sur l’éthique des soins, qui considère la société humaine comme une relation dans laquelle chacun est pris en charge par quelqu’un d’autre et prend soin de quelqu’un d’autre. Et nous pensons que la réalisation d’une société qui valorise les soins et les soignants est cruciale pour affronter le néolibéralisme et ceux qui promeuvent la guerre.

Le respect des droits de l’homme qui est l’une des bases de notre mouvement, ne se crée pas automatiquement. Il a été conquis à travers les luttes passées et présentes des peuples, le courage des classes opprimées, la solidarité et la collaboration des personnes conscientes qui agissent ensemble. Nous avons beaucoup à apprendre de la façon dont vous, et les citoyens français, avez lutté au cours de votre propre histoire pour mettre en place la sécurité sociale en tant que droit de l’homme et pour la protéger contre ceux qui voudraient la détruire.

Aujourd’hui, à l’aimable initiative du Dr Michel Limousin, deux jeunes médecins japonais visitent vos centres de santé.  Ces jeunes sont l’avenir de MIN IREN. Je suis convaincu que cette visite en France élargira les horizons de notre Fédération en sensibilisant davantage ces jeunes docteurs aux droits de l’homme et leur donnera la force de bâtir l’avenir sur la solidarité.  Ils repartiront plus confiants en s’appuyant sur les liens de solidarité qui les unissent à leurs collègues français.

Avançons solidairement vers le jour où chacune et chacun sera respecté en tant qu’individu, et libéré de la peur et du manque.

Merci