Résumé :
L’auteur dénonce ici l’attitude des médecins qui freinent l’augmentation nécessaire du nombre de médecins en formation et qui profitent des déserts médicaux pour demander des augmentations insensées de leurs honoraires. Les médecins risquent de perdre la confiance de la population. Il prévoit le retour des guérisseurs de tous poils pour combler l’absence de réponse à leurs besoins. Ce retour en arrière, c’est le scénario de l’arroseur arrosé.
Abstract :
The author denounces here the attitude of the doctors who slow down the necessary increase in the number of doctors in training and who take advantage of the medical deserts to ask for insane increases in their fees. Doctors risk losing the trust of the population. It provides for the return of healers of all kinds to fill the lack of response to their needs. This backtracking is the scenario of the watered sprinkler.
De Diafoirus aux blouses blanches : une image contrastée des médecins
Il faut, pour comprendre la situation contemporaine des soins médicaux en France et l’attitude actuelle de certains groupes de médecins, brosser à grands traits leur histoire car elles en résultent directement. Pour résumer, durant des siècles, la médecine est restée démunie de tout moyen sérieux de guérir. L’absence totale de démarche et de cadre scientifiques favorisait alors le charlatanisme mais aussi le compérage, le trantran, l’exercice de la notabilité académique. Il reste encore des traces de tout cela comme on a pu le voir durant l’épidémie de Covid 19 et son ballet d’ego télévisuels.
Longtemps la médecine et les médecins ont été l’objet de toutes les moqueries et de toutes les craintes. Du Malade Imaginaire de Molière aux derniers jours d’Oscar Thibault dans « La mort du père » de Martin du Gard on n’en compte plus les traces. On reste toujours friand de ces Dr Knock ou même de ces Dr Petiot contemporains où se mêlent au guignol de Diafoirus, la figure de l’escroc vénal aussi bien que le frisson et le sanguinolent. Plus profondément, la confiance ne règne pas toujours entre les médecins et les malades. Le compérage, la dichotomie, l’abus de position dominante continuent d’être dénoncés par un grand nombre de patients et leurs familles, le plus souvent sans preuves établies bien sûr. L’idée qu’on « nous cache des trucs », qu’il y a « des lobbys, des cliques et des mafias » qui « font du pognon avec notre santé » est répandue dans la population. La « blouse blanche qui sauve des vies » n’est qu’un côté de la médaille.
La constitution du pouvoir médical
La révolution scientifique opérée au cours des XVIIIe et XIXe siècles a tout d’abord permis de régler leur compte aux concurrents historiques des médecins : les religieux et les guérisseurs, rebouteux ou sorciers. L’Université s’est libérée du pouvoir des clercs. Il y a fallu la révolution française qui a d’abord supprimé toutes les facultés en août 1792 puis la loi de 1795 créant les trois écoles spéciales de médecine (Paris, Montpellier, Strasbourg), puis, dans la France agrandie de 1803, celles de Mayence, Gênes et Turin et la loi de 1803 fixant les conditions d’exercice de la médecine.
Le XIXe siècle et la première moitié du XXe ont permis d’éloigner curés et bonnes sœurs du lit du malade. Dans les campagnes mais aussi à la ville, la chasse aux rebouteux et autres guérisseurs a été très vive et a pu manquer de discernement en détruisant des connaissances qui auraient pu être utiles à la santé. La naissance a été médicalisée. Les faiseuses d’anges ont disparu remplacées par les IVG médicalisées, etc… A la limite, les soins palliatifs ont remplacé le sacrement de l’extrême onction, aujourd’hui plus guère administré. La médecine, les médecins ont obtenu de solides garanties contre ces concurrents traditionnels. Ils ont d’abord fait voter la loi du 30 novembre 1892 reprenant et précisant la loi de 1803 prévoyant que « nul ne peut exercer la médecine s’il n’est muni d’un diplôme de docteur en médecine délivré par le gouvernement français, à la suite d’examens subis devant un établissement d’enseignement supérieur de l’État » (disposition valable aussi pour les dentistes et les sages femmes). Ils se sont organisés en syndicats à partir de 1850 puis en confédération de syndicats avec la création de la CSMF en décembre 1928. Le but était de faire respecter les valeurs de la profession et les intérêts moraux des médecins : liberté de choix du médecin par le malade, respect du secret professionnel, liberté de prescription, contrôle des médecins par leur syndicat, entente directe sur les honoraires. Le point d’orgue en a été la création de l’Ordre des Médecins par Vichy en 1940 confirmé par l’ordonnance du 24 septembre 1945, prise par le ministre communiste François Billoux. De tous côtés, on veut s’assurer de la participation des médecins au redressement du pays et de sa population mal en point depuis les années 20.
Besoins des médecins et besoins de médecins
Les problèmes que nous connaissons aujourd’hui viennent de la confusion rapidement opérée au sein du corps médical entre intérêts moraux et intérêts matériels. Ceci s’explique par le fait qu’avant la deuxième guerre mondiale nombreux étaient les médecins qui comme le Dr Destouches à Clichy-la-Garenne subsistaient assez misérablement faute de revenus. De là, un malthusianisme ancien de la formation, entretenu par les facultés pour assurer un certain niveau de revenus à chacun. Cette défense des intérêts matériels va se trouver facilitée par l’instauration de la Sécurité sociale en 1945. « Donnant, donnant » ou si l’on préfère, en français d’aujourd’hui, « Win-Win », les médecins acceptent non sans mal « la médecine de caisse » et la fin des honoraires libres. Pour y parvenir, l’État et les Caisses qui solvabilisent les revenus leur accordent des tarifs fixés initialement à un bon niveau. En contrepartie, les médecins s’engagent à la modération mais ils conservent le paiement direct, en partie en soutenant sa vertu thérapeutique. La généralisation du tiers-payant n’est effective qu’en 2017.
Quoi de mieux pour garantir les revenus que de limiter le nombre des médecins ? Comme toujours « les derniers ferment la porte ». Ce sont les médecins nombreux des années 60 et 70 qui imaginent le numerus clausus. Il permettra de garantir les revenus. En outre, il permettra de veiller aux intérêts moraux de la profession puisqu’il évitera la contagion de mai 68 dans les facultés de médecine ainsi que tout mouvement en faveur de médecines alternatives chez les jeunes médecins influencés par le mouvement hippie. A la faveur d’une conjonction des intérêts matériels et moraux des médecins et de ceux du monde politique et économique après mai 68 et les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, le numerus clausus instauré fin 1971, devient une réalité tangible en 1978. De 1972, à 1977, le nombre de places continue à croitre. Mais de 8 736 en 1977, il passe à 3 500 en 1993 puis remontera, mais lentement, à partir de 1999. Ce n’est qu’en 2019 qu’on reviendra au-dessus du niveau des années 70 avec 9 204 médecins puis 10 300 par an en moyenne jusqu’en 2025. Mais, dans le même temps, la population française sera passée de 53,7 millions d’habitants au recensement de 1975 à 68 millions en 2025 selon les prévisions de l’INSEE et, surtout, elle aura vieillie accroissant par là aussi les besoins.
Prix Nobel et déserts médicaux
Il y a 50 ans, peu nombreux étaient ceux qui voyaient poindre le risque d’une future carence du nombre… Il en alla de même et en partie pour les mêmes raisons financières, dans les années 90 et 2000, avec la « T2A » à l’hôpital, alors parée de toutes les vertus parfois par ceux-là même qui la dénoncent aujourd’hui tels des Résistants de la 25e heure. Par la suite, l’évolution du numérus clausus s’est longtemps faite sans considération de l’augmentation des besoins, liée pour large part au vieillissement de la population et au développement des maladies chroniques mais aussi à la volonté des Français de se faire soigner par des médecins quand ils en ressentent le besoin puisque notre médecine est « la meilleure du monde ». C’est ainsi que se sont formés les « déserts médicaux » et les difficultés pour aujourd’hui et pour au moins 15 ans. Curieux manque de sagacité qu’explique une vision à court terme des intérêts de la profession et qui met de côté la responsabilité sociale d’une profession. On comprend aussi l’origine des difficultés d’une large partie du corps médical actuel à envisager la question de la délégation des tâches autrement que de façon très limitée car vécue comme une menace sur le prestige et les revenus. Il faut cependant reconnaître ce que nous devons collectivement et souvent individuellement à la médecine. Elle est un bien précieux qu’il convient de préserver. Or, à se braquer comme on le voit en ce moment dans la rue ou avec la suspension des négociations conventionnelles, le risque est grand que l’arroseur-médecin ne se retrouve arrosé. Au-delà du blocage sur la revalorisation des actes, telle que proposée en l’état par l’Assurance-maladie, la négociation bute principalement sur l’ouverture d’un accès direct aux infirmiers de pratique avancée (IPA), et l’autorisation de primo-prescription sans passer par un médecin et en dehors d’une coordination par une “équipe traitante” dirigée par lui. Les syndicats de médecins dénoncent également l’adoption par les députés de la majorité du principe d’une responsabilité collective de participation à la permanence des soins, tant en établissement de santé qu’en ville. L’adoption par les députés de la rémunération des médecins libéraux sur des objectifs de santé publique et « à la mission », à l’échelle du territoire, est également un chiffon rouge pour les syndicats toujours attachés au paiement à l’acte.
Dans un contexte de pénurie de l’offre, s’ils demeurent trop exclusivement attachés à la défense de leurs intérêts matériels, les médecins risquent fort d’aller vers de graves déconvenues.
Cette crispation pourrait en effet entrainer des évolutions multiples et fâcheuses Ces évolutions seraient préjudiciables d’abord à la santé de tous car elles traduiraient un renoncement à l’esprit scientifique de la médecine. En effet, la nature ayant horreur du vide et le vœu d’être soigné étant aujourd’hui ancré, le risque est grand que les patients ne se retournent vers d’autres sources de soins… rebouteux, guérisseurs et pourquoi pas magiciens et religieux de tout poil. Les multiples « spam » reçus dans nos boites mail suggèrent bien que l’on voit poindre à nouveau le risque du recours à des « médecines » parallèles par une population ne trouvant plus autour d’elle de réponse médicale à ses besoins. Le marché des fake-news, des tisanes et autres régimes miracles pour lutter contre l’infection, le cancer ou le diabète est déjà très encombré.
Une conséquence terrible serait l’exacerbation des antagonismes entre médecins et malades, avec de multiples procès intentés par les Ordres Départementaux de médecins, pour exercice illégal de la médecine. Passé les prémisses d’une application stricte de la loi actuelle, surgirait un embarras des tribunaux coincés entre la loi sur le monopole de l’exercice médical et le principe supérieur de “nécessité fait loi » qui ne limite pas les secours que l’on doit apporter à quelqu’un qui en a urgemment besoin. Un très vieil antagonisme de plusieurs siècles entre médecins et juristes alliés historiques du clergé ressurgirait alors.
Que dire enfin de la réputation de la profession si les médecins, profitant de leur rareté demandaient une augmentation sensible de leurs revenus, au hasard le doublement de leurs honoraires, quand les salaires de presque tous sont à la traîne et ce malgré le bien-fondé d’une augmentation des tarifs depuis longtemps trop bas. A réclamer un doublement de leurs revenus déjà égaux à environ trois fois le revenu moyen français, le risque est grand de se mettre à dos la population.
Rares sont ceux dans les générations contemporaines qui n’ont pas fait l’expérience concrète de l’utilité vitale de la médecine à un moment ou un autre de leur vie, pour eux ou pour leurs proches. Mais à y bien regarder ce n’est pas tant le médecin en lui-même qui sauve que l’utilisation à bon escient qu’il fait au bon moment de moyens qui lui sont fournis par d’autres. Son diagnostic constitue son véritable apport. Mais là encore la donne change. L’intelligence artificielle a bien des chances demain de le fournir plus vite et mieux, pour des cas de plus en plus complexes.
Voilà pourquoi il faut encore et toujours nettoyer les écuries d’Augias et pour le moins balayer devant sa porte. Voilà pourquoi le temps est venu d’une réforme en profondeur de l’ordonnance de 1945 qui confierait à l’Ordre des médecins la responsabilité de la répartition territoriale des médecins et voici pourquoi les médecins devraient lever le pied sur la liberté d’installation en allant soigner ceux qui sont loin des soins. Des exemples nous montrent que la probité et l’intérêt général peuvent être répandus. Mais si cela ne marchait pas il faudrait bien en venir à d’autres mesures… qui elles-mêmes ne seraient bonnes ni pour les soignants qu’on ferait fuir, ni pour les soignés, qui ne le seraient plus.