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La médecine générale, médecine d’engagement

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Résumé :

L’auteur face aux transformations en cours de la médecine générale souligne la nécessité d’un véritable engagement personnel des médecins. Cet engagement est d’abord scientifique puis éthique, social, de permanence des soins, territorial, un engagement à travailler en équipe coordonnée et en coopération, un engagement en santé publique. C’est cette diversité qui constitue les fondements à préserver et la richesse de ce métier.

 Abstract :

The author, faced with the ongoing transformations of general medicine, underlines the need for a real personal commitment from doctors. This commitment is first scientific then ethical, social, ongoing care, territorial, a commitment to work in a coordinated and cooperative team, a commitment to public health. It is this diversity that constitutes the foundations to be preserved and the richness of this profession.

La médecine générale est en pleine transformation. Cette transformation est due à plusieurs facteurs : à la pénurie de médecins et des autres professionnels médicaux qui crée les déserts médicaux, à l’évolution des sciences et techniques et à l’évolution des pratiques et de l’état d’esprit tant des patients que des médecins eux-mêmes. Longtemps la médecine générale a été à la recherche de son identité. Les changements de dénomination ont été nombreux. Elle s’est appelée médecine de famille signifiant par là-même qu’elle soignait tout le monde, l’enfant qui vient de naître, l’adolescent, l’adulte comme les personnes âgées. Médecine de campagne ou médecine de ville. Cela supposait une continuité de la prise en charge, une permanence de l’activité. La médecine générale a également été intitulée omnipraticienne. L’omnipratique supposait que le médecin soit une sorte de savant qui savait tout et pouvait tout faire. Ce mot est apparu paradoxalement au moment où s’est développée une médecine spécialisée qui se voulait à la pointe de la science et qui maîtrisait des actes techniques particuliers. Le terme d’omnipraticien qu’on voyait fleurir partout, même dans le nom des syndicats représentatifs, a disparu du fait des contradictions qu’il portait en lui. L’apparition de la médecine d’urgence, de la gériatrie, de la gynécologie purement médicale voire de l’addictologie ainsi que le développement d’une multitude de diplômes universitaires donnant des formations spécialisées (sans qu’ils soient reconnus par la Sécurité sociale d’ailleurs) ont mis un coup d’arrêt à cette conception. La médecine omnipraticienne s’est vu déclassée socialement et financièrement. Aujourd’hui on en est revenu au terme de médecine générale que tout le monde comprend.

Dans le milieu des généralistes, des mouvements se sont organisés pour porter la reconnaissance de cet exercice. On a vu des syndicats catégoriels se créer, des sociétés savantes se mettre en place ; des organismes de formation continue ont émergé et l’université elle-même, après avoir ouvert l’internat pour tous les médecins généralistes a créé une filière universitaire propre à la médecine générale.

Enfin les patients mieux informés, via internet notamment, ont modifié leurs comportements, sont devenus plus exigeants, à tort parfois, mais aussi souvent à raison. Mais les jeunes médecins généralistes ont aussi changés. Ils n’hésitent pas au cours de leur carrière à changer de lieu de travail ou d’activité et surtout ils ne veulent plus être « taillables et corvéables à merci » ; ils recherchent des solutions professionnelles qui préservent  leur vie privée. Cela pose entre autres la question de la permanence des soins.

Alors comment envisager aujourd’hui cette pratique de la médecine générale ?

Il me semble qu’il faut mettre en avant cette idée que la médecine générale est une médecine d’engagement. Un engagement personnel et collectif, mais d’abord personnel. Comment définir cet engagement ?

Un engagement d’abord scientifique

La médecine s’est dégagée des pratiques traditionnelles et non scientifiques tout au long du XXe siècle grâce au développement des connaissances. Elle est devenue efficace contre beaucoup de maladies. Les charlatans ont alors disparu. Les médecins, quelle que soit leur spécialité – la médecine générale en est maintenant une reconnue comme telle – doivent s’appuyer sur des connaissances scientifiques. C’est la médecine par les preuves. La médecine générale ne peut se concevoir comme un art pifométrique que j’appelle la patamédecine. Toutes les petites manœuvres mises en place pour faire de l’argent en multipliant les actes comme la mésothérapie doivent être abandonnées. L’idée est qu’on doit pouvoir justifier ses diagnostics, ses bilans et ses traitements. Tout doit pouvoir être expliqué aux malades. Évidemment cela ne justifie en rien l’absence de prise en charge psychologique ; le lien avec le patient reste central. C’est de toute façon la condition de la confiance si nécessaire.

Certains, dans cette recherche de la reconnaissance de la médecine générale, ont cherché à définir une science qui serait spécifique au médecin généraliste. Je pense particulièrement au Dr Robert N. Braun, médecin autrichien qui a publié « Pratique, critique et enseignement de la médecine générale » en 1979, un gros ouvrage aux éditions Payot sous les auspices de la Société française de médecine générale. Ce fut un ouvrage de référence. Il constatait à l’époque que « le travail du médecin praticien n’était simplement que l’application de ce qu’enseignaient les professeurs d’université ». Pour une part il avait raison mais aujourd’hui l’existence de médecins généralistes devenus eux-mêmes professeurs de médecine et les réformes pédagogiques ont bien changé la donne.

Disons le, il n’y a pas de concepts médicaux spécifiques d’une pratique médicale. Il y a seulement des connaissances médicales scientifiques connues ou non. Ainsi le champ de la médecine générale est extrêmement étendu. Non pas que le médecin doit tout savoir dans toutes les disciplines médicales, mais qu’il doit avoir une connaissance élargie qui lui permette de commencer à prendre en charge les patients dans la diversité des pathologies, de suivre les traitements, d’expliquer au patient ce qu’il a besoin de savoir. À tout moment dans la consultation, un patient peut venir avec une pathologie rare ou inattendue; il faut alors savoir comment s’y prendre. Cela suppose un élargissement des connaissances initiales et le maintien permanent de l’acquisition des connaissances nouvelles. Aucun médecin ne peut se satisfaire des connaissances acquises. Il faut vraiment une culture scientifique large. De plus le médecin ne doit pas sortir de cette pratique scientifique pour complaire à l’attente d’un public crédule dans le but d’en tirer profit. C’est un engagement permanent, tout au long de la carrière.

Cet engagement est le gage d’une médecine efficace, utile et doit rassembler toute la communauté médicale.

Un engagement éthique

Comme tous les médecins le généraliste doit appliquer une éthique professionnelle rigoureuse. La recherche du profit ne peut se faire contre l’argent public ou contre celui des patients. Les règles de discrétion, de secret médical, de dévouement, de prise en charge de tous les patients quels que soient leurs moyens financiers ou leurs situations sociales s’imposent. La pratique confraternelle doit rechercher la coopération au service du malade plutôt que la concurrence. C’est un engagement.

Un engagement social

Les patients vivent dans une société qui ne leur offre pas toujours tout ce dont ils ont besoin. La médecine générale, médecine de premier recours doit donc être facilement accessible. Elle ne peut mettre des barrières financières ou plus subtilement des barrières organisationnelles pour limiter l’accès aux plus démunis. Non seulement la médecine générale doit se concevoir comme un accès social au système de santé mais encore elle doit s’intégrer aujourd’hui dans une pratique coopérative avec les services sociaux, aussi bien dans le domaine du soin que de la prévention. Bref il faut concevoir ce métier dans la participation à une politique sociale globale.

Un engagement de permanence

Les patients doivent pouvoir établir des liens de confiance dans la durée. Il faut donc une médecine stable. Il faut aussi que les médecins participent aux permanences de nuit, de Week-End et assurent la continuité des soins lors de leurs absences ; il faut qu’ils fassent des visites à domicile. Ceci nécessite une organisation professionnelle qui ne soit pas individuelle mais collective et des moyens que doivent mettre en oeuvre les pouvoirs publics. Mais sans engagement personnel, rien ne marchera.

Un engagement territorial

La médecine générale se pratique sur un territoire. Ce territoire a des caractéristiques diverses mais aussi des besoins en santé spécifiques. S’intéresser et connaître les problèmes de santé publique du lieu où l’on exerce est constitutif de la médecine générale. La vie associative offre alors souvent de grandes possibilités d’action.

Un engagement à travailler en coordination et en coopération

La médecine ne s’exerce pas seul. Les patients ont besoin que les médecins, quel que soit leur statut, travaillent avec tous les autres acteurs de la santé et du social. Cela doit se faire dans la coopération, la coordination et non dans la concurrence ce qui met en cause le libéralisme. Ces organisations territoriales parfois existent déjà : il faut chercher à s’y intégrer. Sinon il faut chercher à les créer. La pratique en centre de santé et le salariat sont idéals de ce point de vue, encore faut-il mettre en oeuvre ces possibilités dans le cadre d’une politique nationale et territoriale de réseau de centres de santé.

Un engagement en santé publique

Le médecin généraliste est au coeur des problèmes de santé de la population. Il est le premier témoin des problématiques de santé publique de son territoire, à la fois vigie et lanceur d’alerte. Il se doit de participer aux actions de santé publique, que ce soit en lien avec les médecins de santé publique (PMI, médecine scolaire, médecine du travail etc) du territoire ou à l’occasion d’initiatives de prévention ou de promotion de la santé.

La médecine générale est un beau métier exigeant qui ne peut se pratiquer sans un engagement personnel.