Au lieu de la refondation annoncée, nous avons droit, après la parenthèse du Ségur sur les salaires hospitaliers, à la reprise de la politique de santé suivie depuis 2010 de façon continue alliant rustines et “rigueur budgétaire cumulative” (autre nom de l’austérité). Une vraie refondation supposerait un exercice de démocratie sanitaire, comportant notamment une comparaison avec les modèles étrangers comme le fait le rapport publié par l’IRDES. La deuxième partie de ce rapport est consacrée aux hôpitaux.
On y apprend:
1) que l’Allemagne consacrait en 2021 3.2% du PIB aux soins hospitaliers contre 2.8% pour la France à égalité avec le Royaume Uni et l’Espagne.
2) Que les dépenses hospitalières (en dollars PPA) ont augmenté entre 2013 et 2019 de 20% en Allemagne et de seulement 6% en France (moins qu’aux Pays Bas et moins qu’en Italie). De 2016 à 2019 elles ont complètement stagnées en France, le ministre de l’économie de François Hollande étant devenu en 2017 Président de la République. Ce n’est qu’à la suite du mouvement des hospitaliers de 2019-2020 et surtout du COVID19 qu’elles ont augmentées en France de 20% entre 2019 et 2021 contre 13% en Allemagne. Entre 2010 et 2020 les dépenses d’investissements (en termes réels) ont baissé en France alors qu’elles ont augmenté de 25% en Allemagne.
3) Le nombre d’établissements est comparable entre les deux pays mais l’Allemagne dispose de 7.8 lits pour 1 000 habitants contre 5.2 pour 1000 en France. L’Allemagne est très en retard sur la France en matière de soins hospitaliers ambulatoires (sans nuitée), la durée moyenne d’hospitalisation est plus longue (6.3 jours vs 5.6 jours) et le taux d’occupation des lits moins élevé (67%vs 72%).
4) Entre 2010 et 2021 le nombre de lits en soins psychiatriques a augmenté de 10% en Allemagne et baissé de 10% en France. Le nombre de places (sans nuitée) en psychiatrie est resté stable en France mais a augmenté de 46% en Allemagne ; comme on le sait, la psychiatrie française est sinistrée, la pire situation étant celle de la pédopsychiatrie.
5) L’Allemagne comme la France rémunère les hôpitaux à l’activité (la T2A) mais elle le fait de façon apparemment moins bête. En Allemagne, la T2A rémunère le fonctionnement et les soins mais pas les investissements et il vient d’être décidé de sortir la masse salariale du financement par la T2A. La régulation ne se fait pas comme en France suivant une péréquation volume/prix avec des coups de rabots décidés à l’aveugle et appliqués nationalement pour le public et pour les ESPIC ou le privé lucratif. Elle se fait établissement par établissement après avoir fixé préalablement par un accord négocié le volume d’activité cible pour l’année avec un tarif dégressif en cas de dépassement de la cible et le maintien d’un financement socle même si la cible n’est pas atteinte.
6) Les médecins hospitaliers ont des revenus comparables dans les deux pays sauf les chefs de service qui gagnent beaucoup plus en Allemagne. Comme en France les rémunérations hospitalières sont très inférieures en comparaison de l’exercice libéral. Surtout en comparaison du salaire moyen, les internes français gagnent deux fois moins que les internes allemands.
7) Une infirmière gagnait en Allemagne 3938 euros (brut) contre 2450 (brut) en France, en 2020 avant le Ségur. Depuis le Ségur, le salaire de l’infirmière reste 20% en dessous du salaire moyen en début de carrière pour s’élever à 35% au-dessus en fin de carrière. Comme en France, la pénurie de personnel infirmier est importante en Allemagne entraînant une dégradation des conditions de travail. En conséquence, il a été décidé de mettre en place des Ratios de patients par infirmier précisant pour chaque spécialité le nombre maximal de patients par infirmier afin de garantir la sécurité des patients.
8) À partir de mai 2024, un atlas sur la qualité de l’ensemble des hôpitaux devrait être publié sur la base d’un déclaratif de chaque hôpital précisant le nombre de personnels, le nombre d’interventions et de complications…. Si les hôpitaux ne fournissent pas ces informations ou trichent, ils devraient s’exposer à des sanctions. C’est plus intelligent que la carotte du P4P anglais copié avec retard par la France.
Conclusion : d’après ce rapport instructif de Zeynep Or les hôpitaux français semblaient plus performants que les hôpitaux allemands avec des résultats de meilleure qualité jusqu’en 2014-2015. Mais l’austérité prolongée sous François Hollande et sous Emmanuel Macron jusqu’en 2019 (à nouveau à l’ordre du jour) et l’addiction à la T2A des directeurs et de la FHF avec la stupide régulation prix/volume a mis le Service public hospitalier français par terre. On aurait voulu favoriser sa privatisation / financiarisation (“régulée”) qu’on ne s’y serait pas pris autrement, mais il ne faut pas sous- estimer l’incompétence.