© Romani (phototheque.org). Manifestation à Paris « Sauvons l'hôpital public ! » 14 novembre 2019

La crise sanitaire ne se résoudra que par la mobilisation populaire

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Résumé :
L’auteur critique le manque d’ambition de la nouvelle loi instituant un nombre minimum de soignants par malade dans les hôpitaux publics et appelle à la mobilisation

Abstract :
The author criticizes the lack of ambition of the new law establishing a minimum number of caregivers per patient in public hospitals and calls

Une loi vient d’être votée instituant un nombre minimum de soignants par malade dans les hôpitaux publics. Une proposition de loi (PPL) est déposée contre les déserts médicaux d’initiative « transpartisane ». A quoi va servir la première, ne posant aucune des questions de fond : celle du budget des hôpitaux, celle de la nécessaire formation en nombre de soignants, alors même que les régions alertent sur des réductions possibles du nombre d’élèves infirmiers du fait de la réduction des dotations de l’État pour ses formations ? La PPL est une réécriture d’une première tentative, avortée dans les vicissitudes de la dissolution, une réécriture améliorée, mais restant bien en dessous des besoins !

La loi instituant un nombre minimum de soignants par malade.

Elle a provoqué beaucoup de remous dans le milieu militant de la santé, applaudie par certains, qualifiée de dangereuse par d’autres. De fait, c’est une très mauvaise loi ! Qu’en fera le gouvernement et qu’en faisons nous ?

a) le contenu

Elle n’a qu’un article (ce qui est fréquent dans les propositions de loi). Elle charge la HAS d’établir en fonction des spécialités un ratio minimal de soignants dans les hôpitaux publics. Une distinction est inscrite dans le code de la santé publique entre ratios opposables pour des questions de sécurité (ce qui concerne actuellement la réa, les maternités) et des ratios nouveaux indicatifs proposés par cette loi. L’organisation des soins au regard de ces ratios est soumise pour approbation aux commissions médicales et aux commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques. Les établissements doivent prévenir l’ARS lorsque les ratios ne peuvent pas être respectés pendant une période supérieure à 3 jours. La HAS est chargée d’engager le travail dès maintenant pour que les hôpitaux appliquent les rations au 1er janvier 2027.

b) Le cheminement de cette loi

L’initiative de cette loi revient aux socialistes poussés par des organisations comme le CIH (collectif Inter Hôpitaux initié en 2019 par des médecins de l’APHP) et le syndicat des infirmiers de la CFE-CGC. Elle avait été votée au Sénat (qui en avait amoindri la portée) avant la dissolution de l’Assemblée Nationale et un lobbying important avait été fait pour qu’elle soit votée dans les mêmes termes à l’Assemblée Nationale pour éviter une navette et permettre une promulgation rapide. Lucie Castets en avait fait un point fort de ses interventions sur la santé et elle a eu le soutien de tous les députés du NFP.

c) Commentaires

La bonne nouvelle, c’est que les parlementaires s’occupent de l’hôpital : si cela peut mettre un peu de baume au cœur de certains soignants, tant mieux ! C’est une loi inspirée par des études anglo-saxonnes de mise en œuvre de ces ratios, en particulier en Californie montrant une amélioration de la qualité des soins. L’organisation du système de santé n’y est pas la même, essentiellement privée. Imposer des normes au privé pour éviter que la recherche du profit ne se fasse sur le dos de la qualité est légitime d’autant plus que le privé peut se permettre de refuser des malades. Or là il s’agit de l’hôpital public (et même que de lui). Le service public ne peut pas refuser de malades (ou ne devrait pas pouvoir le faire, comme malheureusement il le fait actuellement) et le principe doit donc être inverse : dans le privé on adapte le nombre de malades au nombre de personnel, dans le public, il faut adapter le nombre de personnel au nombre de malades. Or la loi ne dit rien sur la nécessaire formation de soignants. L’excuse d’un article unique pour favoriser le vote d’une PPL ne tient pas.

C’est une loi au choix inefficace ou dangereuse : la distinction entre ratios opposables de sécurité et ratios indicatifs a été rajoutée par le Sénat pour rassurer les élus locaux du Sénat sur ce qui préoccupe aussi de nombreux militants, le fait que les ARS s’en servent pour fermer des services. Mais cela rend cette proposition de loi potentiellement sans effet, sauf que les ARS pourront quand même utiliser le prétexte pour des fermetures. Le débat a été passionné dans le monde de la santé et les communiqués de presse nombreux. A y regarder de plus près, ce sont essentiellement les médecins et les cadres hospitaliers qui ont défendu cette loi, la regardant comme un atout pour exiger les personnels nécessaires dans leur service. Comme les élus, les usagers s’inquiètent d’éventuelles fermetures et le « petit » personnel hospitalier attend pour voir ayant bien compris que sans recrutements cela ne changera pas grand-chose sauf quelques appels supplémentaires pour revenir sur leurs jours de congés ou des changements d’affectation, toujours déstabilisateurs.

Dernier point et pas des moindres, c’est la négation de la démocratie sociale : les ratios ne seront pas discutés avec les organisations syndicales, mais fixés par la HAS (ce n’est pas une structure très démocratique). Et cette loi ignore les CSE dans les établissements laissant la consultation locale à la main des commissions médicales et des commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques, excluant ainsi les organisations syndicales.

d) en conclusion

L’application de cette loi (si elle ne tombe pas aux oubliettes) ne dépendra que de la mobilisation des soignants et de la population. Ceux qui l’ont défendue pensent que l’on peut en faire un point d’appui : chiche ! Exigeons la formation de soignants en nombre avec des salaires pendant les études en échange d’un engagement de service public, refusons les fermetures de lits, de services, exigeons des budgets pour que les hôpitaux puissent répondre aux besoins ! Et mobilisons nous pour plus de démocratie en santé !

La proposition de loi contre les déserts médicaux, d’initiative transpartisane

Cette initiative commence à dater et a été relancée avec un nouveau texte déposé à l’Assemblée Nationale le 3 décembre enrichi par rapport au texte précédent.

a) Résumé succinct de son contenu

Le Chapitre I vise à la régulation de l’installation des médecins : une autorisation d’installation par l’ARS est instaurée, donnée automatiquement en zone sous dotée, conditionnée à un départ à la retraite. Un indicateur territorial de l’offre de Soins est créé, déterminé par les services de l’État, en lien avec les CPTS et tenant compte des particularités démographiques et sociales du territoire. On y lit avec intérêt un article sur les PADHUE et un autre visant à la  suppression du secteur 2 « hors‑OPTAM ». Cela reste timide.

Le chapitre II concerne la formation : création d’une première année d’étude (au moins) de médecine, dentaire … dans chaque département et un CHU en Corse, création d’un indicateur pluriannuel des besoins de formation en personnels médicaux, expérimentation dans 10 départements particulièrement sous dotés d’une année préparatoire à la première année de médecine. L’article 10 supprime Parcoursup pour l’entrée en IFSI et rétablit le concours antérieur et l’article 11 augmente le nombre de CESP offerts dès la deuxième année du premier cycle d’études de médecine, en fixant un seuil minimal à 25 % des étudiants au sein d’un même établissement d’enseignement supérieur.

Le chapitre III regroupe des mesures diverses : obligation de participation à la permanence des soin, suppression de la nécessité d’un arrêt de travail en cas de maladie de moins de 3 jours et d’autres plus cosmétiques, pour les centres de santé ou pour renforcer l’indépendance des médecins dans le cadre de l’exercice en société.

Et comme l’immense majorité des PPL, elle se termine par un article indiquant que la charge pour l’État ou la Sécu de l’application de cette loi est compensée par la création d’une taxe additionnelle assise sur les tabacs !

b) Commentaires

C’est un texte visant au consensus et regroupant des mesures diverses dont la mise en œuvre ne réglera pas la crise actuelle, mais qui vont plutôt dans le bon sens, sauf l’article 16 sur la suppression du certificat médical pour des arrêts de moins de trois jours : cela correspond de fait à une demande des médecins, sans doute plus globalement de la population, mais cela ne peut qu’aider un gouvernement à remettre sur la table les trois jours de carence dans la fonction publique et risque de mettre à mal les accords de branche dans le privé.

L’objet central de cette PPL, la lutte contre les déserts médicaux, nécessite deux leviers d’action, l’un essentiel : former plus et l’autre plus contingent, mieux répartir. Sur le premier, il y a un effort pour la démocratisation, mais rien sur le nombre global. Sans parler du caractère plutôt enfermant du CESP, vers des postes fléchés, comme si on interdisait à ses jeunes d’origine modeste l’évolution vers les carrières hospitalo-universitaires ! La bonne nouvelle, c’est la demande de suppression de Parcoursup pour l’entrée en IFSI … mais c’est tout Parcoursup qu’il faut supprimer !

Mieux répartir … la pénurie ! Le tabou de la liberté d’installation est levé. Les organisations professionnelles des médecins libéraux feraient bien de ne pas faire de lobbying contre cette proposition de loi. Cela montrerait leur attachement à l’intérêt général et le débat public pourrait se porter vers des thèmes plus importants ! La proposition de loi reste très mesurée, vu l’étendue des zones sous-dotées et l’importance des départs à la retraite dans l’ensemble des territoires. La mise en place de l’indicateur territorial de l’offre de soins risque de susciter des débats entre élus locaux ! Des zonages pour les aides à l’installation ont déjà été élaborés par les ARS. On les trouve sur le site https://rezonemed.ameli.fr/ de la Sécurité Sociale (il y a le même pour les kinés). Pas d’inquiétude à avoir pour les futurs médecins : dans toutes les régions, les zones d’intervention prioritaire ou d’action complémentaire couvrent pratiquement tout le territoire : pas Nice, mais Menton est en zone d’intervention prioritaire et St Raphael ou St Tropez sont en zone d’action complémentaire ! Ou, plus au nord, s’il n’est pas possible d’avoir des aides pour s’installer au Touquet, Berck plage est en zone d’action complémentaire : 16 km, la même mer, il manque juste la résidence secondaire de notre président de la République !

En guise de conclusion, ces deux textes, l’un adopté, l’autre en attente de discussion à l’Assemblée, témoignent que l’inquiétude des Français par rapport à l’accès aux soins, à la dégradation de notre système de soins, que les mobilisations, ont été entendues par les parlementaires. Il faut continuer, amplifier cette articulation entre mobilisations populaires et interventions au parlement faisant caisse de résonance. Pour aller plus loin, il faut que les députés aient la possibilité de s’attaquer aux choses sérieuses et cela dépend du budget que le gouvernement veut bien consacrer à la formation ! La balle est dans le camp des mobilisations pour une augmentation des places dans les facs, dans les écoles paramédicales, avec des étudiants payés en échange d’un engagement de service public.