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Faut-il un pôle public du médicament?

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L’auteur retrace succinctement l’évolution de la recherche en France en particulier à l’occasion de la pandémie de Covid 19. Il propose de repenser le rôle régulateur de l’État et de revoir le financement de la recherche pharmaceutique. La première pierre est la mise en place d’un pôle solide de recherche. Constatant la défaillance du marché, il propose la création d’un pôle public du médicament sous la forme d’un GIE regroupant l’industrie privée et les moyens de l’État. Il envisage un « Airbus » des biotechnologies de l’ARN messager.

Abstract :

The author briefly traces the development of research in France, in particular during the Covid 19 pandemic. He suggests rethinking the regulatory role of the state and reviewing the funding of pharmaceutical research. The first stone is the establishment of a solid research pole. Noting the market failure, he proposed the creation of a public drug pole in the form of an EIG bringing together private industry and state resources. He envisions an “Airbus” of messenger RNA biotechnology.

Lors de ses assises du médicament du 10 juin 2021, le Parti Communiste français a planché sur « un public du médicament pour l’en détacher de la sphère financière ». Il a vocation à en faire un bien commun universel. Pour cela, le PCF estime « qu’il faut en France, mais aussi en Europe, un maillon de plus dans cette chaine solidaire, une entreprise publique et un contrôle public ».

La crise Covid-19 a été un révélateur de la crise profonde dans laquelle se trouve notre système de santé et nos industries de santé, qui en sont une composante essentielle. La santé est en effet un bien commun dont chaque citoyen doit avoir accès dans des conditions les plus égalitaires concernant les biens et services de prévention et de soins curatifs, dont les médicaments font partie. Avant de voir en quoi le marché a été défaillant dans la crise de la Covid-19, ce qui a nécessité l’intervention de l’Etat, voyons le déclin de notre recherche et les solutions pour la redresser.

Le pôle public du médicament doit démarrer par un pôle public de la recherche solide

L’effort sur la science de la France a été sensiblement ralenti, surtout si on le compare à nos principaux concurrents. Avec 2,2% du PIB investi dans la recherche (publique et privée), la France est en deçà de la moyenne des pays de l’OCDE (2,4%) et loin des USA (2,7%), de l’Allemagne (3%) ou de la Corée du Sud (4,5%). Les trajectoires budgétaires depuis 2000 de la France et de l’Allemagne expriment bien la différence respective de performance actuelle de nos recherches. Ce désinvestissement dans la recherche a eu naturellement un impact direct sur les conditions de travail des chercheurs qui se sont sensiblement dégradées, à commencer par leur rémunération. Ainsi, un chercheur maître de stage en début de carrière gagnait  2,3 fois le Smic en 1985 contre 1,5 en 2018. Un jeune chercheur gagne aujourd’hui à peine 1,4 fois le Smic dans le public. Les efforts faits récemment ne permettront qu’un rattrapage des dernières années et pas une juste valorisation.

Le premier levier de redressement de notre recherche est budgétaire et s’applique à l’ensemble de la recherche française. L’ambition de l’année 2000, non tenue, d’atteindre les 3% de PIB en France pour les dépenses de recherche et développement (R&D) doit être tenue au cours du prochain quinquennat de 2022 à 2027. Pour la santé, les crédits publics de R&D devront doubler pour atteindre 5 Mds € en 2027.

Ce levier budgétaire est indispensable mais non suffisant pour relancer notre recherche. Nous proposons de repenser les liens et les rôles respectifs des trois instances nationales de recherche que sont l’Agence nationale de recherche (Anr), l’Inserm et le Cnrs. L’Anr doit jouer le rôle d’aiguillon pour inciter à financer les projets potentiellement les plus innovants, des « projets à risque », ce que ne peut pas faire l’Inserm. Une fois sa masse salariale (80% du budget) et les budgets récurrents de ses comités payés, l’Inserm dispose de trop peu de ressources. L’Anr permet une vision transdisciplinaire indispensable pour lancer des projets innovants en santé publique et en recherche médicale. Son budget initial de 850 M€ en 2008 a été diminué à 575M€ en 2016, ce qui a fait chuter le taux de sélection des projets de moitié à 11,5% sur la période. Cela tue fatalement l’innovation, en réduisant à néant la sélection des projets innovants. Le transfert de budget vers l’Inserm ou le Cnrs a été une erreur. Nous recommandons de faire passer le budget de l’ANR à 1,2 Md € sur le prochain quinquennat, comme il était prévu lors de la création de l’ANR, pour muscler le financement par appel à projets.

L’Anr doit être en effet une base de financement « par projets » offrant la possibilité de se doter d’un pouvoir incitatif pour faire émerger des projets innovants et assurer en ce sens un financement sélectif. Cette « Anr nouvelle version » développera de l’attractivité académique en permettant la promotion de projets de recherche sur des thématiques émergentes, à haut potentiel de recherche. Le financement sélectif allégera une évaluation scientifique jugée peu efficace. Cette dernière se fera ex ante, sur la capacité des candidats à obtenir un financement de l’Anr, ce qui réduira sensiblement la bureaucratie.

Le marché défaillant pour répondre efficacement à la crise Covid19

 Dès la prise de conscience de la gravité de la pandémie et l’obtention du génome du virus, les laboratoires pharmaceutiques – les big pharmas et les start-ups de biotechnologie – se sont massivement lancés dans la course aux vaccins, avec près de 150 projets de développement en 2020. Dix-huit mois après le début de la pandémie, seuls quatre candidats vaccins ont été lancés sur le marché en Europe et la technologie gagnante apparait être l’ARN messager. Or, les deux sociétés ayant développé les vaccins à ARN messager – BioNtech et Moderna –  ont largement bénéficié du soutien des Etats allemands et américains respectivement.

Le gouvernement fédéral américain a soutenu, pendant le programme Operation Warp Speed, la société Moderna à hauteur de 2,5 milliards de dollars et le gouvernement fédéral allemand a financé la société Curevac à hauteur de 552 millions d’euros et 375 millions d’euros pour BioNTech. Les mécanismes de marché n’ont pas permis de développer ces candidats dans des conditions adéquates dans une telle période de crise, d’où le financement par les Etats. Il en est de même dans la production des vaccins développés avec succès, qui est loin de répondre à la demande mondiale. L’extension maximale des capacités de production existantes, réalisées par les laboratoires producteurs de vaccins, ne suffira pas à répondre à la demande. C’est certes le moyen adéquat pour maximiser le profit des unités en place mais il est de la responsabilité des États de créer les conditions de répondre plus efficacement que le marché lorsque celui-ci est défaillant.

Alors que la vague de lancements des premiers vaccins anti-Covid laissait espérer une sortie rapide de la pandémie, courant 2021, les nouveaux variants du Covid-19 changent la donne. La première conséquence de l’émergence de ces variants est le maintien de l’épidémie en Europe et aux USA, malgré la vaccination.  Certains pays maintiennent les mesures sanitaires à cause des variants alpha et surtout delta, qui ont une capacité de transmission très supérieure rapport à la souche d’origine. La deuxième conséquence est plus inquiétante. La mutation E484K découverte sur les souches alpha et delta pourrait entrainer un échappement à la réponse immunitaire naturelle ou post-vaccinale.

La probabilité que ces mutations rendent caduques dans les prochains mois les effets protecteurs de la campagne vaccinale en cours (avec la première génération de vaccins) s’inscrit maintenant dans le champ des possibles. Cette nouvelle situation exige donc une recherche de solutions appropriées et proportionnées à la gravité de la menace. Sachant que certains vaccins sur le marché et en développement ne répondront pas efficacement à ces mutations, l’espoir de disposer d’une production massive de doses en s’appuyant sur plusieurs industriels s’amenuise. Or, ces mutations disséminées à différents endroits du globe démontrent la nécessité impérieuse de vacciner dans tous les pays. L’impact de ces variants sur la stratégie industrielle de vaccination est majeur. Le développement de nouveaux vaccins multivalents (la deuxième génération vaccinale anti-covid) s’imposera pour contrôler les variants émergents. Si le développement de vaccins universels reste un objectif à viser, un chemin plus rapide (quelques mois) vers des vaccins multivalents est envisageable. Or, la plateforme vaccinale la plus appropriée pour emprunter ce chemin est incontestablement celle de l’ARN messager. La perspective d’une production massive de vaccins multivalents à base d’ARNm change aussi la donne sur le plan industriel et nécessite de combler des failles structurelles actuelles en France, par l’intervention de l’État.

 Objectifs à remplir pour un pôle public du médicament

 Être capable de produire en quantité suffisante et dans un temps minimum de l’ARN messager afin de répondre à une possible demande mondiale de production de vaccins à ARNm multivalents. La perspective d’une forte expansion des virus mutants à l’international dans les prochains mois, qui échappent aux réactions immunitaires naturelles et vaccinales, conduit à viser une telle production le plus rapidement possible.

Faire des vaccins multivalents à ARNm un bien public accessible à l’ensemble des pays de la planète. Outre le modèle économique, les progrès technologiques permettant de faciliter la conservation (à température ambiante) et l’administration des produits (sans aiguille, monodose) sont aussi à mener à leur terme.

Doter la France d’un vaisseau amiral de bioproduction à court terme pour positionner le pays comme un acteur industriel et politique majeur dans la résolution de la crise Covid, et pour renforcer durablement notre secteur des biotechnologies et notre souveraineté sanitaire grâce aux grandes potentialités de l’ARN dans d’autres aires thérapeutiques comme l’oncologie.

Pour la création d’un « AIRBUS Biotech de l’ARN messager » pour faire face aux besoins de la lutte anti-Covid19 et faire de la France un acteur majeur des biotechnologies

 Le projet que je propose est de bâtir un consortium public-privé de production et de recherche en France sur l’ARNm, capable de répondre à une demande mondiale de vaccins multivalents à ARNm. Un projet similaire dans un autre pays européen pourrait aussi être lancé pour garantir les capacités de livraison des vaccins multivalents à ARN.

Trois activités distinctes de production seraient envisageables dans le consortium

  • Une unité de production sous licence de l’ARNm aussi bien pour des essais cliniques que pour la production commerciale, grâce à des réacteurs à différents volumes. Cette unité certifiée GMP assurerait la production depuis les plasmides jusqu’à la molécule d’ARN, notamment la réaction de transcription in vitro en réacteur ;
  • Des suites indépendantes à aménager sur mesure pour des formulations différentes qui peuvent être couvertes par des secrets industriels ; ces suites seraient louées à des industriels ayant développé une formulation vaccinale approuvée par les autorités sanitaires ;
  • Éventuellement une unité de conditionnement.

S’appuyant sur un partenariat public-privé regroupé dans un GIE, l’Etat français et peut-être l’Union européenne seraient partie prenante du projet ? Ce projet serait réalisé par un consortium d’industriels de la biotechnologie et de la pharmacie piloté par un comité exécutif doté des compétences industrielles et scientifiques sur l’ARN. L’État français pourrait être l’administrateur du GIE.

Afin d’aller vite, ce consortium devrait aller chercher les expertises existantes les plus pointues et matures, disposées à se lancer dans une telle initiative :

  • Pour l’expertise dans la recherche et le développement de vaccins multivalent à ARN, une ou plusieurs sociétés de biotechnologies et l’Institut Pasteur remplissent les critères ;
  • Pour le process de fabrication, une société type CMO (contract manufacturing organisation) avec une expérience dans la production d’ARN pourrait être choisi ;
  • Pour la maitrise industrielle globale, Sanofi dispose des ressources nécessaires en France.

Le modèle économique de cette entité industrielle pourrait être basé sur les revenus de la production (facturée à prix coûtants + une marge fixe) et ceux de la location des suites indépendantes. Un contrat de consortium entre l’État et les partenaires industriels pourrait lier juridiquement les différents partenaires dans un premier temps avant de constituer une société ensuite. À titre purement indicatif, le délai envisageable pour la construction de ce pôle industriel est de 6 mois pour un montant d’investissement de l’ordre de 300 millions d’euros. Il devrait être conçu à partir de la reconversion de sites industriels pharmaceutiques existants, afin de disposer déjà de la certification GMP.

Ce futur leader européen de la recherche et de la bio-production d’ARN serait le cœur d’un écosystème de recherche, de développement et de production de biotechnologie qui manque aujourd’hui à la France. La plateforme ARN disposant de potentialités dans plusieurs aires thérapeutiques, ce projet s’inscrirait sur le long terme et servirait de vaisseau amiral pour la production des biotechnologies en France.

 Le juste périmètre de l’État et son efficacité en tant que régulateur

S’il ne fait aucun doute que le marché du médicament doit être régulé pour en faire un bien commun, le défi de l’accès universel aux innovations thérapeutiques, y compris dans les pays développés, montre la pertinence de s’interroger sur le rôle de l’État. Le projet du Parti Communiste peut s’entendre de différentes façons selon le périmètre de ce pôle public. Vient-il compléter l’offre privée existante ou se substitue-t-il à celle-ci par le jeu des nationalisations ?

Le secteur du médicament, vue dans sa globalité de la recherche fondamentale à la distribution, comprend déjà un pôle public conséquent, qui pourrait être renforcé comme nous l’avons évoqué. Les établissements publics LFB et l’EFS sont des acteurs stratégiques de l’innovation thérapeutique en France, qui doivent en effet être renforcés.

Dans le modèle actuel, l’État se montre défaillant dans la régulation du médicament, que ce soit pour son évaluation médicale et médico-économique, la tarification des innovations, voir même la pharmacovigilance. Plusieurs agences (ANSM, HAS, CEPS) ont des missions que se recoupent, générant de coûts administratifs inutilement élevés et un temps d’accès au marché trop long. Il faudrait aussi penser à rendre l’État plus efficace dans sa fonction de régulateur.

Enfin, la place de la Sécurité sociale dans le pilotage d’un pôle public du médicament doit être réfléchi pour en faire un acteur à part entière. À travers la Sécurité sociale, c’est la démocratisation de la gestion du médicament qui est en cause. Face à des besoins quasi infinis, les budgets resteront finis même avec un pôle public du médicament. Il faudra réaliser des choix, en amont concernant les technologies sélectionnées pour investir, et en aval concernant les médicaments à rembourser. Le caractère démocratique de ces choix est déterminant pour qu’ils soient socialement acceptables.

On voit que la réflexion sur la politique du médicament s’entrechoque avec celle de la refonte de la Sécurité sociale, dont la gouvernance démocratique est à repenser, et de l’organisation de l’État dans la régulation. Seule une refonte systémique de notre système de santé pourra répondre à ces évolutions nécessaires. C’est ce que proposera l’Institut Santé (www.institut-sante.org) dont je suis le président en octobre 2021, après trois ans de travaux, pour reconstruire notre système de santé sur des bases solidaires.