L’auteur, répondant aux articles de Frédérick Stambach et Julien Vernaudon publiés dans le numéro précédent des Cahiers, tout en soulignant son accord, propose une réflexion sur ce que devrait être le service public de santé. Elle conteste la notion de service public implicite et met en garde contre les dénaturations langagières du pouvoirs et de certains syndicats médicaux. Elle insiste particulièrement sur la nécessité des luttes pour atteindre une véritable refondation de l’Assurance maladie et du système de santé.
Abstract :
The author, responding to the articles by Frédérick Stambach and Julien Vernaudon published in the previous issue of Cahiers, while emphasizing his agreement, offers a reflection on what the public health service should be. She challenges the notion of implicit public service and warns against the language distortions of the authorities and of certain medical unions. She particularly insists on the need for struggles to achieve a real overhaul of health insurance and the health system.
Les articles de Frédérick Stambach et Julien Vernaudon publiés dans le numéro précédent des Cahiers présentent, au terme d’articles très documentés une vision concrète de ce que pourrait être un service public de soins de proximité, qu’ils appellent, fort justement, service public de santé territorial. Et si on peut épiloguer sur certains détails, c’est de fait la seule possibilité pour amortir la catastrophe sanitaire en cours.
Mais deux observations me semblent nécessaires :
1° la notion qu’actuellement les professionnels de santé de premier recours constituent un service public implicite en s’appuyant pour le dire sur le remboursement par la Sécurité sociale me semble dangereuse dans la situation politique actuelle.
- Vis à vis du pouvoir en place qui n’hésite pas à utiliser un vocabulaire progressiste pour le dénaturer. Sur l’utilisation du terme de service public, il suffit de lire par exemple le rapport de Dominique Libault, conseiller d’État, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale et ancien directeur de la Sécurité sociale, “Vers un service public territorial de l’autonomie” pour se rendre compte que dans les arcanes du pouvoir actuel, un service public peut être une coquille vide, simple guichet d’orientation s’appuyant sur des ressources numériques. Le déploiement du SAS (service d’accès aux soins) annoncé, s’appuyant sur les CPTS, critiquées à juste titre dans ces articles, pourrait de même être appelé service public. Cela n’arrangera ni la situation des médecins, ni celle des populations !
- Vis à vis de certains syndicats de médecins ! Rappelons que les relations entre les syndicats de médecins libéraux et la Sécurité Sociale n’ont jamais été simples, que tous ces syndicats ne sont pas forcément progressistes, et l’article le dit d’ailleurs en rappelant leur rôle dans le maintien du numerus clausus. Au moment où l’UFML prépare des « assises du déconventionnement » sans doute est il plus utile de présenter les propositions de la troisième partie, de nature à redonner de l’espoir, de faire des propositions pour une amélioration des relations entre médecins libéraux et Sécurité sociale avec, en particulier, un retour à des pratiques plus démocratiques, que d’accentuer faussement dans le verbe une dépendance dont ils ne veulent pas ! La Sécurité sociale est en grand danger, à travers la mainmise de l’État sur elle, les évolutions de son financement vers toujours plus de fiscalisation au détriment de la cotisation, la volonté du secteur assurantiel d’en prendre une partie … en attendant d’avoir le tout. N’en rajoutons pas. Certains médecins n’hésitent pas à dire qu’ils en ont marre d’être des fonctionnaires de la Sécurité sociale (qu’ils ne sont pas !). N’utilisons pas le même langage ! D’autant plus que le service public dont nous rêvons serait autrement plus démocratique.
Car n’oublions pas quand même qu’à défaut de véritable service public, même la mission de service public n’est remplie actuellement que là où les professionnels s’en sentent volontairement investis. A Paris et sans doute dans d’autres grandes villes, il est quasiment impossible de trouver un médecin généraliste en secteur 1. Et la continuité des soins n’est assurée que dans les territoires où volontairement, les médecins s’y engagent, dans des conditions souvent très difficiles, un engagement qu’il faut d’ailleurs saluer et l’on ne peut qu’approuver quand les auteurs disent qu’« aucune réforme ambitieuse ne peut se faire contre les professionnels de terrain » du fait de leur souffrance actuelle. Ajoutons aussi que le financement à l’acte est très contradictoire avec la notion de service public, même remboursé par la Sécurité Sociale.
2° L’analyse des causes de la situation actuelle, en lien avec l’idéologie ultralibérale, est tout à fait juste. On peut comprendre que ces articles écrits pendant les séquences électorales du printemps insistent sur la nécessité de changements structurels. Mais cela ne doit pas engendrer une résignation où l’on ne ferait rien en attendant une VIème république ! Avec en tête ce projet de service public territorial de santé (éventuellement amendé, car il devrait être construit collectivement), il y a des batailles à mener. Certains départements (la Saône et Loire), certaines régions (Occitanie, Centre-val de Loire) s’engagent – et d’autres collectivités – dans la construction de centres de santé et le recrutement de médecins généralistes salariés. Comment est-ce que l’on soutient ces projets et contribue à leur généralisation ? Comment on rassemble aussi pour que les centres de santé ne deviennent pas des structures à but lucratif ? Ramsay s’est lancé dans l’ouverture de centres de santé : ce n’est sans doute pas là qu’il fera le plus de profit, mais cela contribuera à l’orientation vers des établissements d’hospitalisation privés et à la mainmise du secteur capitalistique sur l’offre de soins en ville. Sans oublier évidemment des batailles plus globales : pour la formation de professionnels en nombre – rappelons que pour l’instant, la suppression du numerus clausus n’est que virtuelle et que sans véritable volonté, la pénurie se poursuivra au-delà de 2040 – mais aussi pour l’hôpital public, pour la Sécurité sociale, pour une loi de financement de la Sécurité sociale qui réponde aux besoins, en attendant sa suppression, pour la démocratie politique et sociale, pour faire connaître les vraies valeurs du service public … Car, comme écrit par les auteurs, le gouvernement cherche à opposer médecins libéraux et hospitaliers : il faut de fait une alliance entre eux mais aussi, sans attendre, travailler avec la population pour exiger des moyens pour un accès aux soins de toutes et de tous dans la proximité. C’est à quoi s’emploie la Coordination Nationale des Comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.
Car je serais encore plus pessimiste que les auteurs en l’absence de lutte ! J’ai déjà parlé des menaces sur la Sécurité sociale. La casse volontaire de l’hôpital public, comme dit dans les articles, au-delà de favoriser le développement du privé, c’est aussi, comme on le voit cet été une justification pour faire travailler à l’hôpital en dehors de tout statut de la Fonction Publique Hospitalière ou du statut des praticiens hospitaliers, en fonction des besoins les plus criants. C’est bien payé, incitant au départ de ceux en place. C’est l’aggravation de la casse des équipes et la remise en cause de la notion même de service public. Et le rêve en ville, cela pourrait être la télémédecine et quand vraiment cela ne suffit pas, un médecin X, désigné par une plateforme ou une infirmière Y, payés à la tache, service de télémédecine et plateforme étant bien sur gérés par quelques grands groupes privés, éventuellement en lien avec le monde assurantiel. Et on pourrait dire qu’ils ont une délégation de service public par la sécurité sociale, ou ce qui en restera ! Adieu la relation humaine, adieu la qualité des soins ! Les risques sont trop grands pour que l’on se permette d’attendre ou des approximations sur ce qu’est un service public !