NDLR : Nous donnons ce courrier «pris sur le vif». Richard Lopez, membre de notre comité de rédaction est en mission à Mayotte pour y implanter des centres de santé. Son expérience illustre la situation locale qui risque d’être oubliée…
Depuis mon arrivée comme médecin consultant à plein temps dans le centre de santé Onakia à Kaweni, j’ai pu constater qu’entre 30 à 40% de mes patients souffraient de troubles de différentes natures chez des patients n’ayant pas ou peu d’antécédents du type:
– Troubles du sommeil,
– Difficultés relationnelles intra familiales,
– tension au travail,
– eczéma chez des personnes n’ayant pas fait de poussée depuis plusieurs années où de formes étendues chez des patients ayant des formes mineures ou très localisées
– de troubles digestifs variés sans élément clinique objectif
– troubles respiratoires à type d’oppression, réveillant la nuit
– de troubles cardiaques avec sensations de palpitations obligeant à s’arrêter dans son activité ou à sortir du lit lorsque la sensation réveillait
– troubles gynécologique avec des retard de règles inexpliquées ou des déséquilibres menstruels.
Invariablement l’échange guidé avec le patient permettrait de dater le début de ces problèmes à Chido, et lorsque la mise en évidence de l’impact du cyclone sur leur santé était évoqué, j’assistais à une parole plus dense, fournie, comme libérée décrivant toute la violence subit tant par des éléments dont personne n’avait imaginé qu’elle puisse atteindre une telle intensité, que par les conséquences sur leur quotidien, biens détruits, vécu ou sentiment d’isolement dans les jours qui ont suivi, précarité de logement et alimentaire, écrasement face au comportement de certains trouvant l’occasion pour se faire de l’argent sur leur mal vivre, renchérissement des loyers chez ceux devant prendre une location le temps de la remise en état de leurs logement.
Cette réalité concerne tous les patients, qu’ils maîtrisent le français ou non (1/3 de mes consultations sont accompagnées avec une médiation en santé ethno linguistique), qu’ils aient des droits sociaux ou non.
J’ai pris conscience aujourd’hui que ces troubles qui, pour moi n’impactaient que les adultes, pouvaient également concerner les nourrissons. C’est une jeune mère qui m’a décrit cet après-midi, avec ses mots, la perte d’appétit de son enfants de 18 mois depuis Chido, qui ne voulait plus de biberon, ne voulait manger qu’avec ses parents et ce qu’ils mangeaient, son comportement moins enjoué, j’ai constaté une cassure de la courbe de poids, aucun élément clinique le justifiant à l’examen. Rétrospectivement j’ai fait le lien avec tous ces enfants que je voyais à ma consultation (près de 25% de mes patients ont moins de 10 ans) qui présentaient une symptomatologie proche sans être aussi nette, ces enfants qui avaient une courbe de poids qui stagnait, qui ne supportaient plus l’examen médical les séparant des bras de la mère ou du père, ou à l’inverse ces parents qui s’amusaient avec moi de l’étrange passivité de l’enfant, aréactif à l’examen, mais surtout les pleurs de peurs, véritables cris de terreur suspendant tout geste médical.
Le syndrome de stress post traumatique, puisqu’il faut le qualifier, nécessite une prise en charge adaptée avec une place prépondérante à la psychothérapie de soutien, avec 15 psy de ville (pas tous à plein temps) pour 320 000 habitants selon l’INSEE, psy qui sont pour les 2/3 des Mzungus (européens) ne parlant pas le shimaoré, donc pouvant difficilement susciter le lien et la parole libre. Leur nombre et leur disponibilité très réduite rendent obligatoire le traitement anxiolytique et anti dépresseur, mais là c’est pour les adultes.
Comment intervenir pour des nourrissons dans le temps d’une consultation médicale ? Le soutien aux parents et certes la première étape mais nous retombons dans la situation précédente, la chimie en moins. Chido fera des dégâts encore dans 20 ans.
31 janvier 2025.