Résumé :
Cet article vise à retracer comment, depuis plus de 40 ans, s’est opérée progressivement la destruction du service public de psychiatrie adulte et infanto-juvénile. Il revient sur les recommandations préconisées par le dernier avatar élaboré par le Ministère, à savoir le projet territorial de santé mentale ou PTSM. Il montre la discordance entre la gravité de la situation réelle et la médiocrité des mesures préconisées par nos gouvernants. Enfin l’auteur fait des propositions et cite également celle du Pcf, du Ps et du Collectif du Printemps de la Psychiatrie.
Abstract :
This article aims to retrace how, for more than 40 years, the destruction of the public adult and infant-juvenile psychiatry service has gradually taken place. It returns to the recommendations recommended by the latest avatar developed by the Ministry, namely the territorial mental health project or PTSM. It shows the discrepancy between the seriousness of the real situation and the mediocrity of the measures recommended by our leaders. Finally the author makes proposals and also cites those of the Pcf, the Ps and the Collectif du Printemps de la Psychiatrie.
Cet article vise à retracer comment, depuis plus de 40 ans, s’est opérée progressivement la destruction du service public de psychiatrie adulte et infanto-juvénile. Nous reviendrons ensuite sur les recommandations préconisées par le dernier avatar élaboré par le Ministère, à savoir le projet territorial de santé mentale ou PTSM ; nous montrerons la discordance entre la gravité de la situation réelle et la médiocrité des mesures préconisées par nos gouvernants.
Enfin, nous soulignerons l’intérêt d’élaborer une loi cadre spécifique en vue du renouveau de la psychiatrie. Cette loi doit s’établir en concertation avec des représentants d’associations ou de collectifs regroupant patients, familles et professionnels, mais aussi avec des syndicalistes et des politiques impliqués dans la défense d’une psychiatrie humaine et universelle. Pour être efficiente, elle doit être accompagnée d’une loi pour un financement de la Sécurité sociale à la hauteur des enjeux du XXIe siècle.
Le constat est unanime : la psychiatrie et la pédopsychiatrie sont des disciplines sinistrées en France, voire exsangues.
En quelques mots, rappelons l’état des lieux catastrophique :
- des délais sans fin de prise en charge aussi bien pour les consultations ambulatoires que pour les hospitalisations en services spécialisés, liés aux suppressions de lits publics mais aussi aux fermetures de services de soins extra hospitaliers,
- le recours, faute de moyens humains, à l’isolement et à la contention des patients dans les services, pratiques dénoncées à de multiples reprises par le contrôleur général des lieux de privation de liberté,
- la souffrance des malades et de leurs familles qui se sentent abandonnés,
- le désarroi des soignants usés, désabusés, malgré des luttes nombreuses et diverses, notamment au cours de l’année 2018.
Et pourtant, entre les années 1960 et 1980, l’organisation de notre système de santé psychiatrique était remarquable et bon nombre de pays nous l’enviait. Discipline aux confins de la médecine, de la philosophie, de la psychologie, de l’éducation et du juridique, la psychiatrie connaît tour à tour progrès et régressions selon le contexte politique de la société. En effet, l’histoire de la psychiatrie en France suit les soubresauts de l’histoire politique : périodes d’avancées, mais aussi phases de régression, voire de déclin.
La période de 1945 à 1983
La période de l’après guerre fut favorable à une politique de « désaliénation ». Les témoins et notamment les professionnels avaient été indignés par ce qui fut nommée plus tard « l’hécatombe des fous ». En effet, pendant l’occupation de la France par les nazis allemands, sous le régime de Vichy dirigé par Pétain, on estime que 40 000 à 45 000 malades psychiatriques sont morts de faim et de froid dans les asiles. Ce n’était pourtant pas une fatalité et l’hôpital de Saint-Alban, en Lozère, avait connu une toute autre situation. A partir de 1942, cet asile avait bien porté son nom. En effet, il avait accueilli, sous la responsabilité de Lucien Bonnafé, psychiatre militant antifasciste, adhérent au Parti communiste français, nombre de réfugiés : des républicains espagnols, tels que François Tosquelles, psychiatre, anarchiste combattant du POUM, des résistants, comme Georges Canguilhem, Paul Éluard et Nusch son épouse, des juifs, à l’instar de Denise Glazer.
Sous l’influence de ces intellectuels progressistes, naît un groupe de travail collégial la « société de Gévaudan ». On applique à la maladie mentale le principe humaniste du cristal freudien selon lequel il n’existe pas de différence structurale entre patients et soignants ; chacun est situé sur une ligne de crête qui va de la norme à la psychopathologie, sans rupture de continuité. On adapte également un concept emprunté à la psychanalyste Mélanie Klein, celui de partie saine : toute personne humaine possède un côté sain sur lequel s’appuyer avec l’aide du thérapeute pour guérir de sa maladie mentale. Ainsi, dans cette période de l’occupation, certains patients ont été autorisés à sortir de l’hôpital pour participer à des activités socialement valorisées (travaux artisanaux et ruraux). De cette façon, ils ont contribué de cette façon à l’approvisionnement de tous, évitant aux plus dépendants la mort par inanition. Rappelons que pas un seul malade n’est mort de faim à Saint-Alban.
Les bases de la psychothérapie institutionnelle ont ainsi été fondées. Georges Daumezon a désigné de ce terme en 1952 ces pratiques innovantes. L’institution est thérapeutique, mais elle n’est thérapeutique que si elle est organisée en lieu de parole et si le patient est pris dans un réseau relationnel. Par l’intermédiaire des clubs thérapeutiques, sous le contrôle relatif des soignants, les patients concourent à leur propre prise en charge en devenant acteurs de l’organisation de leur vie quotidienne.
Des groupes de travail enthousiastes et militants luttant contre le « renfermement asilaire » vont se constituer autour de dizaine de praticiens hospitaliers ralliés à la psychothérapie institutionnelle. Aux journées psychiatriques nationales de 1947, de nombreux psychiatres, de pratiques et d’horizons divers, se réunissent pour élaborer ensemble les conditions d’un renouveau institutionnel et thérapeutique. Le mot « secteur » est prononcé pour la première fois. Les principes fondateurs sont énoncés : c’est la nécessité de mettre en place une psychiatrie à visage humain, communautaire, s’écartant du modèle centré sur l’hôpital, au service des patients et de leur famille, dans la cité. Une équipe de psychiatrie doit suivre les patients qui en ont besoin tout le temps nécessaire grâce à des outils de soin spécifiques.
Dans cette période, des découvertes majeures de molécules chimiques innovantes vont bouleverser le traitement des symptômes de la pathologie mentale. Trois classes de médicaments psychotropes sont introduites successivement: les neuroleptiques qui calment agitation et délire, les benzodiazépines qui agissent sur les angoisses et les insomnies et enfin les imipraminiques, antidépresseurs majeurs. Ces nouveaux produits ont très certainement favorisé, il faut le souligner, la généralisation de la politique de secteur et l’ouverture des établissements psychiatriques sur la cité.
C’est en mars 1960 qu’est promue la circulaire de l’organisation du secteur, lequel regroupe 70000 habitants en moyenne. Dans les années qui vont suivre le secteur s’étoffera ; le modèle le plus accompli comportait des lits d’hospitalisation temps plein, un centre médico-psychologique pour les consultations ambulatoires, un CATTP (centre d’accueil thérapeutique à temps partiel), un hôpital de Jour, des appartements thérapeutiques, un accueil familial thérapeutique et un service d’hospitalisation à domicile. La même équipe médico-sociale, sous la responsabilité d’un médecin chef de Secteur, assure la continuité indispensable entre le dépistage, le traitement si possible sans hospitalisation, les soins avec hospitalisation, si nécessaire, et la postcure et ce pour tous les patients d’un territoire géographique.
Autre avancée notable obtenue en 1968-1969, la Psychiatrie est dissociée de la Neurologie et le Certificat d’Études Spécialisées de Psychiatrie est créé, ce qui favorise la formation d’un grand nombre de médecins psychiatres et la généralisation de la politique de secteur. Après la guerre, la formation des infirmiers psychiatriques s’était beaucoup perfectionnée. De gardiens des aliénés, ils étaient devenus soignants des patients. Le rôle des infirmiers a été, en effet, crucial dans le développement des soins psychiques au sein des secteurs psychiatriques. Ainsi, ils ont contribué au déploiement du soin vers la cité, ils ont ouvert les premières structures de soins ambulatoires, arpenté les rues de nos villes accompagnant les détresses sociales et psychologiques, animé des activités de médiation, se sont mobilisés dans le temps plein hospitalier pour la régulation de l’agressivité et de la violence, reléguant souvent la camisole et autres contentions au musée des vieilleries psychiatriques et, enfin, certains d’entre eux ont élaboré la théorie de leur pratique. Il demeure cependant, dans ce développement du secteur des inégalités territoriales liées à une réticence de certains médecins psychiatres, voire à une hostilité; ainsi, des services, confinés dans une médiocrité routinière et bureaucratique, restent à l’écart de cette expérience novatrice.
Le rapport Dumay 1982-1883
Ces disparités régionales ont incité Jack Ralite, ministre de la santé, à commander, en 1982-83, un rapport sur la psychiatrie. Le rapport Demay dont la lecture reste bien instructive, dessinait « une voie française pour une psychiatrie différente ». Ce médecin psychiatre de terrain préconisait une organisation du secteur psychiatrique en petites équipes travaillant dans la communauté sociale. Il recommandait, entre autres, que le diplôme d’infirmier psychiatrique acquière une reconnaissance européenne. On verra à quel point cette préconisation était visionnaire…
L’ensemble a fait dire à de nombreux professionnels, dans les années 2000, qu’il était bien dommage que ce rapport ait été « oublié ». En effet, il n’a pas été publié officiellement. Nous voyons trois raisons à ce fait : l’éviction du ministre communiste qui l’avait initié, la mise en cause du pouvoir des directeurs d’hôpitaux qu’il contenait – ce qui n’a pas plu aux hauts fonctionnaires – et enfin, le coût financier qu’aurait induit cette réforme, alors que l’on abordait le « tournant de la rigueur ». Seule, la revue des CEMEA, Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active le divulguera intégralement.
En 1983, c’est en effet un changement radical de politique économique que décide François Mitterrand après l’échec de la politique de la relance. Jacques Delors, ministre de l’économie et des finances du gouvernement Mauroy 3, met en place une politique de rigueur, voire d’austérité, qui sera poursuivie par les gouvernements socialistes successifs. C’est ainsi que les moyens financiers alloués à la politique des secteurs publics de la psychiatrie adulte et des intersecteurs publics de la psychiatrie infanto juvénile n’ont fait que décliner dans les décennies qui ont suivi. Non seulement, la psychiatrie a vu les moyens financiers qui lui étaient alloués diminuer, mais, de plus, elle a perdu les caractéristiques spécifiques qui en faisait une exception française, bien précieuse pour nos deux disciplines ; ce phénomène que nous allons décrire, a entraîné une chute des moyens humains mis à sa disposition et donc, très vite, une pénurie de soignants.
La réforme des études des médecins psychiatres
En 1983, la réforme des études des spécialités médicales introduit la nécessité d’être interne des hôpitaux universitaires pour valider son Diplôme d’Études Spécialisées en psychiatrie, comme dans toutes les spécialités médicales. En conséquence, l’internat spécifique des hôpitaux psychiatriques est supprimé ; il était distinct, jusqu’alors, du concours de l’internat de médecine, de chirurgie ou d’obstétrique, Le nombre de postes d’internes en psychiatrie diminue alors de façon drastique et de ce fait le nombre de médecins psychiatres formés.
Cette réforme est consécutive à l’affrontement idéologique qui régnait dans la commission validant le diplôme de médecin psychiatre entre les tenants d’une psychiatrie universitaire exerçant surtout dans les Centres hospitalo-universitaires ou CHU et les psychiatres non-universitaires travaillant dans les services hospitaliers psychiatriques, les anciens asiles. Les conflits se situaient, notamment, autour d’oppositions idéologiques : les universitaires censés s’intéresser à l’aspect organiciste des maladies mentales, les autres portés vers le contexte social, voire psychanalytique.
A partir de 1983, l’enseignement purement médical du Diplôme d’Études Spécialisées ou DES a fait perdre l’expérience de la psychothérapie institutionnelle et de la psychanalyse dans la formation des futurs spécialistes. Cet enseignement universitaire s’est peu à peu concentré sur les neurosciences plébiscitées au détriment des autres aspects des soins psychiques. Cette situation n’est-elle pas due à la soumission de la psychiatrie française à la domination quasi sans partage de la psychiatrie américaine ? On sait combien cette dernière s’est orientée vers les neurosciences, le cognitivo-comportementalisme, excluant de fait la psychanalyse et d’autres approches humanistes du soin psychique. Elle a conçu le Diagnostical and Statistical Manual (DSM). Là, le sujet singulier, avec son histoire, ses sentiments, son fonctionnement psychique n’existe plus ; des profils désincarnés sont définis à partir d’une classification préétablie ; ne demeurent que des symptômes, leur médication et le traitement du comportement, ce qui favorise les lobbies pharmaceutiques. En résumé, du fait de cette réforme, le nombre des médecins spécialisés en psychiatrie a fortement diminué et leur formation a privilégié plutôt l’étude des neurosciences au détriment de la psychanalyse dont l’influence commençait à régresser.
La réforme du diplôme d’infirmier
Autre coup sévère : avec l’arrêté du 23 mars 1992, on assiste à la fusion des formations d’infirmier en soins généraux et en soins psychiatriques. Et c’est la fin du diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique. La disparition de leur diplôme inflige une blessure très douloureuse à ces soignants. Cette suppression est vécue comme un manque de reconnaissance de leurs compétences. La conséquence, là encore, sera une baisse drastique du recrutement des infirmiers ; les fidéliser dans les services devient alors très difficile.
L’antipsychiatrie, allié objectif de la destruction du secteur
Et enfin, un dernier élément a joué. Celui-ci apparaît tout à fait paradoxal ; en effet, sans en avoir pleinement conscience, les adeptes de l’antipsychiatrie avec leurs attaques itératives contre les soins psychiatriques se feront les alliés objectifs des pouvoirs publics et aideront ceux-ci à achever le démantèlement du secteur.
Le tournant sécuritaire de la psychiatrie
En 2008, c’est le tournant sécuritaire qui s’amorce. A la suite d’un fait divers tragique, Nicolas Sarkozy, promu depuis peu Président de la République, lors du discours d’Antony, réalise à dessein l’amalgame entre schizophrénie, dangerosité et criminalité. Il annonce la création d’une unité fermée dans chaque établissement, recommande l’aménagement de 200 chambres d’isolement, l’ouverture d’unités supplémentaires pour malades difficiles, renforce les pouvoirs en matière de soins du Préfet et du directeur de l’établissement. Le mois suivant, une enveloppe de 70 millions d’euros est débloquée pour construire des murs, des grillages, des chambres d’isolement et installer de la vidéo-surveillance. C’est un tollé général chez les soignants qui vont organiser la riposte. Ainsi, le collectif des 39 s’est formé en décembre 2008. Ce petit groupe, constitué par 39 professionnels de la psychiatrie, éducateurs, infirmiers, psychologues, psychiatres a réagi par un appel à pétition « contre la nuit sécuritaire ». Depuis, le groupe s’est élargi, composé à présent de parents de malades et d’anciens patients.
Loi Bachelot HPST
En 2009, c’est la loi dite Bachelot, loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires (HPST) qui édicte des consignes sévères: à l’hôpital, il faut mettre au pas les médecins et au-delà tous les soignants. Le rapport Couty, conseiller maître à la Cour des comptes, provoque colère et indignation des soignants : dans ce document élaboré sans concertation avec les professionnels, le secteur psychiatrique public est pratiquement nié. On y prône la partition des soins d’hospitalisation et des soins ambulatoires et une large ouverture de ces derniers à la concurrence du privé. On ne reconnaît plus le travail des psychologues dans les services de soins. L’idéologie dirigiste et normative du soin trouve dans la conception théorique des neurosciences une facilité pour l’instrumentaliser davantage qu’un autre courant théorique. Dans cette négation de la différence des approches disciplinaires, le pouvoir médical, renforcé par l’organisation des pôles, tend à imposer l’approche psychologique par les neurosciences au détriment de l’approche psychanalytique.
Loi Touraine : Bachelot bis
Quelques années plus tard, en 2016, est promulguée la loi de modernisation du système de santé, dite « loi Touraine », lors du quinquennat de François Hollande, socialiste. On s’attendait à une rupture avec la loi HPST de Bachelot ; en fait, elle s’établit dans la continuité et même l’aggrave. Ainsi, est mis en place le regroupement des hôpitaux par l’entremise des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) avec toujours le souci de réaliser des économies d’échelle. Les hôpitaux psychiatriques publics sont concernés. Cela va de pair avec un recul de la démocratie sanitaire : ainsi, l’avis des représentants des salariés jusqu’alors consultés n’est même plus requis. Ceux-ci ne sont qu’informés. La partie consacrée à la psychiatrie occupe une place très limitée dans le projet global et reprend l’essentiel du rapport Couty, à savoir faire adopter à la psychiatrie les principes de la loi HPST!
Pourquoi ne pas avoir plutôt pris en compte le rapport d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie présenté fin 2013 par le député Denys Robiliard ? Ce rapport, rédigé à la suite de l’audition de pas moins de 178 personnes représentants d’associations d’usagers et de familles de patients, des médecins, des professionnels de santé, des chercheurs, des experts, reconnaît le secteur public psychiatrique comme le lieu optimal pour la prise en charge des patients atteints de troubles psychiques. Ce rapport très exhaustif rend des préconisations multiples et précieuses pour favoriser les soins de premier recours par les psychologues, pour améliorer les formations des différents professionnels et pour développer la recherche universitaire.
Que la ministre ait choisi le rapport Couty, très décrié par les professionnels, plutôt que le rapport Robillard établi par un député socialiste, issu des rangs de sa majorité, fut un choix politique délibéré et grave car il a remis en cause les trois principes fondamentaux de la sectorisation : continuité des soins, proximité de ceux-ci et enfin pluridisciplinarité de la prise en charge. La déception des soignants a été à la hauteur des attentes que la psychiatrie de secteur avait entretenues lors de la défaite de Nicolas Sarkozy et de la victoire de François Hollande.
Le projet territorial de santé mentale, dernier avatar pour la psychiatrie
Celui-ci émane de l’article 69 de la loi Touraine, toujours en vigueur. Élaboré par l’ensemble des acteurs du champ de la santé mentale, professionnels et établissements, sous l’autorité de l’ARS, il concerne la période 2020-2025.
D’emblée, surgit un débat sémantique : aux substantifs « psychiatrie » ou « pédopsychiatrie » est substituée l’expression « santé mentale ». Les mots ont leur importance. La psychiatrie, en référence à l’étymologie grecque « psyche » signifiant « l’âme, l’esprit » et « iatros » le « médecin », c’est la médecine de l’esprit. Cette idée d’une politique de la santé mentale, introduite par une circulaire de 1990 dépasse les seuls soins psychiatriques. Méfions-nous de terme ! H. Ey (1900-1977), éminent neurologue et psychiatre, dont le « Traité de psychiatrie » demeure une référence clinique, avait en son temps dénoncé cette extension, cette dilution du concept de psychiatrie, qui depuis n’a fait que s’amplifier.
Pour l’Organisation Mondiale de la Santé, OMS, relayée par la psychiatrie européenne (APE), il n’est plus question que de santé mentale, concept assez flou qui englobe la maladie mentale, le mal être social et le handicap. Dans « Le livre vert sur la santé mentale en Europe » il est précisé qu’une bonne santé mentale de la population européenne est l’un des moyens d’atteindre quelques-uns des objectifs stratégiques de l’Union européenne permettant « d’améliorer la disponibilité des ressources économiques » ; ce qui fait dire à certains que la santé mentale est ainsi mise en conformité avec le modèle économique néolibéral et qu’elle devient alors une politique de normalisation et de contrôle des citoyens. On entend même de plus en plus souvent l’expression « trouble de santé mentale ». Mais a-t-on déjà entendu parler de troubles de santé cardiaque ou de santé rénale ?
Introduire ce terme, c’est aussi indiquer que cette gestion médico-politique des populations peut s’effectuer par les médecins généralistes. Pas étonnant que ceux-ci soient en première ligne dans la prescription des psychotropes… D’ailleurs, c’est bien explicité dans l’article 69 du texte de loi qui nous occupe : il est dit que le médecin généraliste est le premier recours en ce qui concerne l’accès aux soins dans le parcours de soins des patients psychiatriques. Donc, d’emblée, nous sommes en désaccord avec l’intitulé du titre.
Le ministère décrit les soins, les accompagnements et les services attendus sur les territoires de santé mentale selon 6 priorités telles que fixées à l’article R.3224-5 du Code de la santé publique.
Les voici :
Priorité 1 :
Le repérage précoce des troubles psychiques, l’accès au diagnostic, aux soins et données actualisées de la science et aux bonnes pratiques professionnelles.
Le ministère organise une gradation dans l’offre de soins. Pas de guichet unique ; les dispositifs cités comme exemples par le ministère sont extrêmement hétérogènes : on y trouve pêle-mêle des consultations de médecins généralistes, de psychologues, d’infirmiers, des établissements publics ou privés de psychiatrie, des centres médico-psychologiques couplés à des centres publics de santé ou bien à des Maison de Santé Pluridisciplinaires (exercice libéral des professionnels), le recours à des Fondations confessionnelles telle celle du Bon Sauveur, au bénévolat et, bien entendu, à la télémédecine à laquelle seraient confiées aussi bien des consultations spécialisées que des expertises. Ainsi, les centres experts FondaMental sont recommandés.
Dans le prolongement de la loi HPST, il s’agit d’accélérer le transfert des activités du service public vers le privé en réduisant la politique de secteur à une série de missions segmentées pouvant être confiées indifféremment à des opérateur publics ou privés de statut associatif ou privés à but lucratif.
Priorité 2 :
Le parcours de santé et de vie de qualité et sans rupture, notamment pour les personnes présentant des troubles psychiques graves et s’inscrivant dans la durée, en situation ou à risque de handicap psychique, en vue de leur rétablissement et de leur insertion sociale.
Est prônée, l’organisation d’un suivi coordonné réalisé par des acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux de proximité. Ce suivi doit être essentiellement ambulatoire. On y lit qu’ « elle implique une fonction de case-management, réalisée par les acteurs du suivi ou selon les modalités ad hoc ». On comprend, en fait, qu’il s’agit d’instruire un dossier MDPH et de mettre au point l’organisation de l’accès à une offre de réhabilitation psychosociale. Ce dispositif vise à diminuer les incapacités et à développer ou restaurer les compétences sociales, les performances cognitives, la motivation et les capacités d’adaptation de la personne, en prenant appui sur ses aptitudes préservées. Il est à craindre que cette réhabilitation sociale soit proposée à des patients chroniques en lieu et place d’un traitement possible de la psychose auquel certains psychiatres n’ont jamais adhéré. L’idée d’aider le patient à se réinscrire dans le monde du travail est louable et préside à la notion de soins de réadaptation; il n’en est pas de même lorsque la réhabilitation prétend remplacer le soin et procéder au « délestage » des patients chroniques dans le médico-social. A aucun moment, il n’est prévu de consulter le patient pour recueillir son adhésion à ce type de démarches. Quant aux autres recommandations elles sont estimables, mais bien difficiles à mettre en œuvre, quand on connaît les difficultés du terrain : organisation du maintien dans le domicile, du maintien dans l’emploi.
Priorité 3 :
L’accès des personnes présentant des troubles psychiques à des soins somatiques adaptés à leurs besoins.
Chaque patient doit pouvoir bénéficier d’un accès à un médecin traitant ; ce généraliste, certes, s’occupera des soins somatiques nécessaires, mais aussi, il sera le recours pour le suivi psychiatrique, en dehors des crises, dans les moments où le patient est stabilisé. On note au passage la rupture dans le parcours de soin laquelle peut favoriser les rechutes.
Par ailleurs, trouver un médecin traitant peut s’avérer difficile quand on sait que 30% des Français sont touchés par la désertification médicale et particulièrement les populations vulnérables.
Priorité 4 :
La prévention et la prise en charge des situations de crise et d’urgence.
Bien difficile à organiser du fait de la pénurie de soignants. Des recettes nous sont indiquées, comme le déploiement national du plan VigilanS, dispositif de veille post-hospitalière de suicidants. A ce patient est remis une « carte ressources prévention » avec un numéro d’appel d’urgence gratuit. Les patients sont recontactés par carte postale ou, en cas de récidive, par des appels téléphoniques ou des SMS. Une évaluation en 2023 aurait montré une certaine efficacité à ce dispositif.
Priorité 5 :
Le respect et la promotion des droits des personnes présentant des troubles psychiques, le renforcement de leur pouvoir de décider et d’agir et de la lutte contre la stigmatisation des troubles psychiques.
La réduction de la pratique de la contention et de l’isolement dans les établissements a été recommandée ; il n’est malheureusement pas envisagé de formation pour les soignants leur permettant d’acquérir des techniques visant à apaiser les angoisses des patients. Un kit pédagogique d’information sur les droits des usagers élaboré par Psycom est remis aux usagers, familles et établissements.
En ce qui concerne la lutte contre la stigmatisation, le ministère se repose sur la Semaine d’Information en Santé Mentale (SISM) et les Conseils locaux de Santé Mentale (CLSM). Malheureusement, nous savons bien que ces CLSM ne sont pas présents sur tout le territoire, loin s’en faut. Pour rappel, c’est une instance de concertation et de coordination entre les élus locaux, d’un territoire, les acteurs de la psychiatrie, les usagers, les aidants, les services sociaux et médico-sociaux, et autres acteurs tels que professionnels de l’éducation nationale et des forces de l’ordre. Le CLSM vise à œuvrer au décloisonnement des pratiques professionnelles et à la définition de politiques locales et d’actions à entreprendre pour l’amélioration de la santé mentale de la population. Son efficacité dépend étroitement des relations établies entre le secteur et les élus. Ce dispositif est étroitement soumis à la personnalité des différents acteurs.
Priorité 6 :
L’action sur les déterminants sociaux, environnementaux et territoriaux de la santé mentale.
Il s’agit de promouvoir les conditions d’une bonne santé mentale dans l’ensemble de la population par des actions sur les milieux de vie et les facteurs de risque et par le renforcement des capacités des individus à développer une santé mentale positive. L’énumération de ces actions concernent le soutien à la parentalité, la promotion de la qualité de vie au travail, la promotion du bien-être de la période périnatale, d’école à l’université, la lutte contre le mal-logement, contre l’isolement social, contre le harcèlement ou les violences, et enfin la prévention des conduites addictives. C’est un fourre-tout d’actions qui ne prend pas en compte les inégalités sociales et territoriales que seules des politiques d’envergure pourraient éradiquer. Mais, le pire est à venir, il se situe dans la suite du texte. Sont données en exemple par le ministère des « interventions basées sur la pleine conscience ». Ce serait la technique à proposer aux professionnels de l’éducation nationale ou de la santé menacés par le « burn out » ou dépression d’épuisement. Grâce à cette méthode positive, ils verront s’améliorer leur santé mentale, leur empathie, leur bien-être. Dans le même temps disparaitront l’anxiété, l’épuisement émotionnel, la détresse. Alors que les professeurs manquent de formation pour affronter les premières années d’exercice de leur métier, alors que les salariés de la santé sont épuisés par la charge des tâches à accomplir, mécontents de leurs conditions de travail, du manque de temps à consacrer aux patients, ils doivent s’évertuer à envisager cette situation de façon positive ? De qui se moque-t-on ? Ces phrases sont révoltantes. Est-ce de l’inconscience ou du cynisme ?
On l’aura compris, ce projet territorial ne réglera pas les difficultés rencontrées par les patients et par les professionnels dans la promotion de soins de qualité. Cet empilement de lois, de décrets d’application sans véritable cohérence, sinon celle d’une gestion financière des soins psychiques, ne peut nous satisfaire. Et pourtant, des projets de lois ont été régulièrement déposés à l’Assemblée nationale, comme au Sénat, par des parlementaires progressistes pour envisager, notamment, l’établissement d’une loi cadre de la psychiatrie. Ils ont tous été rejetés. Avant de détailler les propositions des uns et des autres qui, tous, revendiquent une augmentation des moyens tant humains que matériels, il est nécessaire d’évoquer la situation de la Sécurité Sociale en cet automne 2024. C’est, en effet, le budget de la Sécurité sociale qui finance les soins en santé. Il faut donc envisager une loi pour que le financement de la Sécurité sociale soit à la hauteur des besoins de la population.
La Sécurité sociale entre 1945 jusqu’à nos jours
C’est le 15 mars 1944, qu’Ambroise Croizat, ministre communiste du travail, signe les lois et les ordonnances fondatrices de la sécurité Sociale ; issue du programme du Conseil national de la résistance, CNR, la Sécurité sociale a été arrachée aux patrons qui en cette période faisaient plutôt profil bas ; nombre d’entre eux ayant collaboré avec l’occupant nazi. La Sécurité sociale couvre les risques de la maladie, de l’invalidité, de la vieillesse, les accidents et les maladies du travail. Ce fut une véritable révolution. Son financement est fondé, non pas sur le versement volontaire par les salariés, mais sur une cotisation universelle et obligatoire sur la base de la richesse créée par les salariés. Cette cotisation est donc, de fait, un salaire socialisé, en ce sens qu’il s’agit d’une part de la valeur ajoutée qui est dévolue à la solidarité pour la sécurisation de la vie de chacun. C’est mettre en œuvre un adage marxiste emprunté à Louis Blanc : « de chacun selon ses moyens à chacun en fonction de ses besoins ».
Mais cette protection sociale, le patronat et la droite ne l’ont jamais acceptée. Les attaques contre ce régime de solidarité seront itératives et incessantes. Le premier tournant, c’est en 1967 lorsque de Gaulle décide de diviser les risques, et de mettre en place une caisse par risque : une caisse maladie, une caisse retraites, une caisse allocations. C’est alors que ces caisses gérées à 75% par des salariés voient s’instaurer la parité. La parité avec un syndicalisme divisé signifie un avantage donné au patronat. La logique change alors, et l’on dérive d’une logique politique vers une logique gestionnaire, dont on ne sortira plus. C’est à ce moment-là qu’apparaît la notion de «trou de la Sécu». Cette notion est toujours mise en avant pour mettre à mal l’institution. Ensuite, on arrive au basculement des années 80, où on retire peu à peu les prérogatives des syndicats, en même temps que l’idéologie néolibérale infléchit la réflexion vers la protection individuelle plutôt que la protection collective. C’est en 1991 que Michel Rocard introduit la CSG qui se substitue aux cotisations des entreprises et pèse sur les salariés, les retraités, les invalides et les privés d’emploi. Son pourcentage dans les recettes de la Sécu ne cesse d’augmenter ; aujourd’hui, c’est 27% des recettes de la Sécu.
C’est Alain Juppé qui fait entrer la finance dans la Sécurité sociale, en refusant d’augmenter les cotisations et en jouant sur les emprunts sur les marchés. Mais aussi, il décide de réguler les dépenses de santé avec la mise en place de l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (ONDAM). A partir de cette période, le Parlement vote chaque année la loi de financement de la Sécurité sociale. En 2004, sous Jean-Pierre Raffarin, toute délégation ouvrière est évacuée du processus décisionnel : les syndicats n’ont plus qu’un avis consultatif. Depuis des années maintenant, la contribution des revenus du travail monte en flèche, cependant que celle du capital baisse, aggravant sans cesse le déficit ainsi construit. Les exonérations de cotisations sociales pour les petits salaires, très partiellement compensées par l’Etat, compriment le budget. Il faut ajouter que l’assurance-maladie et l’assurance retraite constituent un marché énorme évalué à environ 3000 milliards d’euros par an dans le monde. Cette manne n’échappe pas à l’appétit des financiers qui militent pour une privatisation, une marchandisation de la santé. D’autant qu’à l’heure des crises financières, cette aubaine constituerait un stock de capitaux stables.
Une réforme du financement de la Sécurité sociale à voter au Parlement
En cette période politique où le Nouveau Front Populaire a obtenu une majorité relative, nous pouvons espérer que des projets de lois puissent venir en débat. Avant d’envisager une réforme du système de santé, il faut impérativement modifier le financement de la Sécurité sociale.
Voici les principales propositions :
La cotisation sociale doit demeurer la clé de voûte du financement de la Sécurité sociale. En effet, elle est automatiquement affectée au financement de la Sécurité sociale, au contraire de l’impôt dont l’affectation, décidée par le parlement, peut changer chaque année. Il est impératif de conserver ces ressources sûres pour la Sécurité sociale. Les cotisations sociales ne représentent aujourd’hui plus que 59 % des recettes du régime général. Nous proposons donc une nouvelle cotisation sur les revenus financiers des entreprises et des institutions financières car ceux-ci ne sont pas soumis aux contributions sociales et se développent contre l’emploi et la croissance réelle. Ainsi, sur une base de revenus financiers de 215,2 milliards d’euros en 2020, on pourrait dégager, en soumettant ceux-ci aux taux actuels de la cotisation patronale :
28,219 milliards pour la maladie (13,1%)
17,8613 milliards pour la retraite (8,3%)
11,6208 milliards pour la famille (5,4%).
Ceci permettrait de compenser dans l’immédiat le déficit de la Sécurité sociale.
Nous demandons également la modulation des cotisations pour contribuer à une efficacité sociale nouvelle et à la hausse du niveau des ressources de la sécurité sociale. Une réforme du financement de la Sécurité sociale, qui affirmerait toujours ce financement par un prélèvement sur les richesses produites, doit donc impérativement articuler la hausse des cotisations patronales avec le niveau d’emplois dans l’entreprise. Ainsi, dans le cadre d’une hausse générale des cotisations patronales, au sein d’une même branche d’activité, les entreprises qui ont une politique de développement de l’emploi, des qualifications et des salaires, qui embauchent, se verront privilégiées par une réduction relative du niveau de leurs prélèvements sociaux par rapport aux entreprises de la branche. A l’inverse, celles qui privilégient les revenus financiers en détruisant l’emploi et en développant la précarité, celle-là seront sur-prélevées. Nous proposons ainsi de responsabiliser socialement les entreprises quant au développement de l’emploi, des salaires, pour l’enclenchement d’un nouveau type de croissance centré sur le développement des capacités humaines (emploi, salaire, formation, etc.).
Venons en maintenant à une loi cadre pour une psychiatrie humaine.
Les propositions développées par le PCF :
Nous proposons que la psychiatrie soit considérée comme une discipline à part entière, distincte, au même titre que la Médecine, Chirurgie et Obstétrique et non plus comme une discipline médicale.
Nous proposons que la psychiatrie ait les moyens de remplir sa fonction fondamentale qui est de répondre à toutes les souffrances psychiques de la plus sévère à la plus bénigne, sans restriction, ce qui nécessite la réouverture de structures ambulatoires, de lits, le rétablissement des secteurs et des inter secteurs de proximité et l’embauche massive de soignants.
Nous proposons de revenir à une approche biopsychosociale de la psychiatrie prenant en compte toute la complexité de la personne humaine, son individualité ; nous souhaitons que soient exploitées les différentes approches théoriques qui, pour nous, ne sont pas opposées, mais complémentaires.
Nous proposons que, quelle que soit la technique utilisé, le soin soit toujours fondé sur la relation ; la question fondamentale étant celle de la qualité psychothérapique de la relation entre le patient et les soignants. Cela impose un engagement individuel de chaque soignant, ce que certains nomment « transfert », même s’il n’est pas indispensable de s’inscrire dans une approche psychanalytique.
Nous proposons que le patient puisse choisir le type de prise en charge qui lui convient le mieux, adapté à son état, évidemment. Ainsi, proposer d’emblée à un adolescent en crise une psychanalyse ou une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) n’est pas la meilleure méthode. En revanche, lui proposer de commencer par un accueil de groupe informel avec demande éventuelle vers un soignant pour un espace plus confidentiel paraît plus approprié. C’est avec lui que l’on définira la méthode qui lui conviendra le mieux avec association éventuelle de plusieurs prises en charge telles que TCC, psychothérapie, psychodrame, thérapie médicamenteuse.
Nous proposons que la psychiatrie de secteur soit considérée comme un parcours de soin spécifique assurant au travers de la multiplicité de ses structures la continuité des soins c’est à dire aussi bien la prévention que la cure et que la post cure.
Nous proposons que le secteur travaille en complémentarité et en coopération avec les autres acteurs : les médecins généralistes, le médico-social, les dispensaires de PMI, les groupements d’entraide mutuelle (GEM), l’éducation nationale et les proches des patients.
Nous proposons que le patient stabilisé puisse continuer à fréquenter, s’il le souhaite, les structures de postcure qui contribuent ainsi, par leur étayage, à éviter les rechutes.
Nous proposons que les patients qui souhaitent se faire hospitaliser aillent directement dans les services et qu’une convention soit signée entre les secteurs et l’hôpital général pour que des créneaux soient dédiés aux patients pour que, accompagnés d’un professionnel du secteur, ils puissent bénéficier d’un bilan somatique dans les jours qui suivent leur hospitalisation.
Nous proposons l’interdiction immédiate des dispositifs de contention, comme c’est déjà le cas dans certains établissements. Nous proposons un plan progressif de réduction des chambres d’isolement et de structures sécuritaires pour revenir à la situation antérieure à 2008. Nous proposons, pour y parvenir, un plan pluriannuel d’augmentation du nombre de soignants par services et des formations spécifiques adaptées. Nous proposons la suppression des formations à la gestion de la violence et le remplacement de celles-ci par la généralisation de formations à l’apaisement de l’angoisse.
Nous proposons de rétablir une formation initiale spécifique pour tous les soignants exerçant en psychiatrie avec l’instauration pour les infirmiers d’un diplôme en Y et une formation complémentaire pour tous les primo-arrivants en psychiatrie. Celle-ci devra leur donner des bases théoriques issues de courants de la psychogénèse, de la sociogenèse et de la biogénèse, leur permettant d’appréhender les faits psychopathologiques dans la complexité de la personne humaine.
Lettre du collectif du Printemps de la psychiatrie aux députés du Nouveau Front Populaire
« Madame la Députée, Monsieur le Député,
Nous sommes membres du Printemps de la psychiatrie, un mouvement citoyen d’organisations politiques, de syndicats, d’associations et de collectifs de soignants, patients, familles et personnes concernées par la psychiatrie, mouvement initié en 2018 pour soutenir le renouveau des soins psychiques en France (dont vous trouverez le manifeste en pièce jointe). En mai dernier, nous avons organisé à la Bourse du travail de Paris la deuxième édition des Assises citoyennes du soin psychique, rassemblant pendant deux jours plus de 500 personnes désireuses de réinventer ensemble l’accueil de la souffrance psychique.
Forts des réflexions, débats et propositions issues de ces Assises, et après avoir publié un appel à l’élection des candidats du Nouveau Front Populaire aux dernières législatives (appel relayé par le Nouvel Observateur), nous vous sollicitons à la suite de votre prise de fonction dans cette nouvelle législature pour vous interpeller sur la situation de la psychiatrie publique et plus largement sur la dégradation des conditions d’accès aux soins psychiques publics en France.
La question de l’accès aux services publics et d’un réel accès aux soins pour tous a en effet été au cœur de ces élections législatives, et était déjà au cœur des préoccupations du Printemps de la psychiatrie dès ses origines (le soin psychique étant au carrefour de nombre d’entre eux : santé, justice, éducation notamment). Plus largement, le Printemps a émergé en réponse à l’état de catastrophe du service public de psychiatrie et du médico-social, catastrophe résultant inexorablement de décennies de détricotage politique et financier des valeurs de service public et de soin humaniste pour tous, dont la déshumanisation du soin par le recours généralisé à la contrainte et à ses contentions est la preuve.
Les solutions récemment soutenues par la majorité présidentielle, suivant notamment les recommandations tendancieuses et réductrices de la fondation FondaMental, s’inscrivent dans la lignée libérale à l’œuvre depuis de nombreuses années et mandatures, solutions qui ne font qu’accélérer la dégradation, voire la destruction, du soin psychique, psychiatrique et pédopsychiatrique :
– Accentuation de la délégation de service public au privé lucratif (cliniques privées notamment) amenant à la fermeture de lits et de lieux de soins publics, le tout avec la promulgation de la tarification par compartimentation (T2C) pour la psychiatrie, inspirée par la T2A déjà appliquée ailleurs et pourtant partout dénoncée ;
– Remboursement restreint des séances de psychologues libéraux (dispositif « Mon soutien psy », dispositif poursuivi malgré un boycott massif de la grande majorité des psychologues), au lieu d’un investissement au moins équivalent dans les consultations proposées dans les Centres Médico-Psychologiques (CMP) offrant déjà ce service gratuit et accessible à toutes et tous sans restriction ni critère de sélection ;
– Investissement dans la création de plateformes multiples (par exemple les Plateformes de Coordination et d’Orientation) qui, en multipliant les prestations de services, viennent instaurer une logique inique de tri des patients et morceler le travail de continuité des soins dans le sanitaire et le médico-social, continuité pourtant si importante face à la souffrance psychique ;
– Sous couvert d’inclusion, renvoi des patients dans leurs familles dites « aidantes », une des solutions à visée d’économie dans le « parcours de soin » du patient, alors même que lesdites familles sont ignorées et laissées à l’écart ;
– Promulgation de différentes recommandations, voire obligations, de pratiques uniques auprès de certains publics, alors que la complexité du psychisme humain requiert au contraire, pour être soigné, la possibilité d’un choix ouvert à des pratiques diverses ne correspondant pas à un modèle uniforme et uniformisant ;
– Plus généralement nous observons et dénonçons une visée strictement sécuritaire et économique des soins psychiques, rejoignant une logique entrepreneuriale de rentabilité, découlant sur un management orienté par le contrôle et l’évaluation qui dénature nos métiers, assèche les motivations et génère des départs en masse. Cette logique d’économie amène à la promotion d’applications de e-santé, basées notamment sur l’intelligence artificielle, achevant la destruction des relations humaines de soins et renforçant la solitude des patients.
Nous revendiquons au contraire un service public restauré et fort, cohérent et multiple, autour de points essentiels :
– L’accueil inconditionnel de toute personne, sans discrimination ni distinction sociale ou de pathologie, dans des délais raisonnables. Cela passe par la revalorisation de la « psychiatrie de secteur », modèle exemplaire d’un accès à des soins psychiques pour toutes et tous tout au long de la vie. Le secteur psychiatrique, au sens géographique du terme, offre en effet dans ses fondements une gamme complète de soins psychiques de proximité : urgences, soins contraints et libres, consultations, soins ambulatoires et à domicile, et d’autres encore, pour une durée non-déterminée à l’avance, en articulation avec les acteurs locaux (du social et du médico-social notamment). Ce modèle, au plus près des besoins des populations sur tout le territoire, a pourtant été trop abîmé par des décisions de mutualisations et de rationalisations budgétaires, amenant à un manque de personnel face à des besoins toujours plus grands, et des listes d’attente trop longues, requérant dès lors la réouverture des CMP fermés et l’embauche massive de soignants dans tous les lieux du soin et de l’accompagnement.
– L’absolue nécessité d’abolir les méthodes dégradantes et sécuritaires dans les lieux de soin et d’accueil. Cela passe notamment par l’interdiction de la contention, pratique qui a été fréquemment dénoncée avant tout par les patients eux-mêmes et leurs proches, et pourtant se banalise de plus en plus, que ce soit en psychiatrie, dans le médico-social, aux urgences et même pour certains enfants ; cela passe de même par la limitation des recours à l’isolement et au retour à la liberté de circulation comme norme et non comme exception. Des alternatives existent et requièrent, pour être déployées, que des moyens humains soient investis (hausse du ratio soignants pour un nombre de patients) et que les pratiques dégradantes soient interdites.
– La participation des usagers aux décisions cliniques et institutionnelles. En effet, malgré la promotion de la notion de « patient au cœur de sa prise en charge », celui-ci tend au contraire toujours à subir les décisions prises pour lui, et à ne pas avoir voix au chapitre en ce qui concerne les réflexions institutionnelles des lieux où il est soigné. L’intégration des patients et usagers dans les Commission des usagers et Commissions de vie sociales n’est souvent que très limitée, voire factice, et est fréquemment portée par les associations de familles qui, même si elles peuvent y avoir leur place, ne peuvent être considérées comme représentatives des voix de leurs proches concernés. Par ailleurs, des pratiques de soin institutionnel prenant en compte la parole des usagers existent, par le biais par exemple des clubs thérapeutiques, mais sont en danger (plusieurs clubs ont été récemment fermés sur décision administrative ou médicale, ne rentrant pas dans des logiques de rentabilité ou dans un carcan idéologique), alors même qu’elles font ailleurs au quotidien preuve de leur efficacité et promeuvent la participation citoyenne et démocratique de tous dans les lieux de soin.
– La prise en compte de la dimension spécifique des soins pour les enfants et adolescents, en repensant et renforçant le maillage entre la pédopsychiatrie et le médico-social et en mettant au travail la question de l’inclusion en milieu ordinaire. Les plus jeunes de nos concitoyens en souffrance, avec leur famille ou leurs accompagnants, se trouvent face à des listes d’attente interminables, amenant à des consultations chez des généralistes dépassés et à une vague de surmédicalisation (explosion des diagnostics, des handicaps évalués et des traitements médicamenteux), aux dépends d’une coordination assurée par le secteur entre les différents lieux de vie et de soin qui permettrait un apaisement de nombreuses situations.
– La restauration de la formation aux soins relationnels dans tous les métiers du soin. En effet, la part de la psychiatrie dans les formations initiales (infirmiers, médecins, entre autres) a été de plus en plus réduite au fil des années, le peu restant se cantonnant à des approches descriptives, classifiantes, réductrices et uniformisantes, s’éloignant du cœur du métier : le soin relationnel au cas par cas. Il nous paraît ainsi essentiel de repenser la formation à la psychiatrie dans son abord humain, de réinvestir dans les formations à la psychothérapie institutionnelle et de sortir du tout médical.
– La nécessité du soin apporté aux soignants. En effet, pour tenir dans ces métiers où le turn-over tend à s’accentuer, loin des simples mesures triviales de Qualité de vie au travail (massages et autres luminothérapies), il est essentiel pour lutter réellement contre la souffrance au travail de promouvoir à la fois la formation continue aux soins relationnels (et non pas seulement aux formations techniques), et la supervision (ou l’analyse des pratiques) permettant aux soignants de prendre du recul sur leur travail, supervision sans laquelle le risque d’usure sur le long terme est important. Le soin psychique est en effet un travail de la parole qui est essentiellement humain, partant des sujets singuliers (et non des techniciens) que sont les soignants. Il requiert dès lors de prendre soin du psychisme des soignants pour qu’ils puissent proposer en retour un soin de qualité aux patients qu’ils rencontrent. C’est aussi en réduisant le temps de travail passé devant un écran, dans une logique de traçabilité et de surveillance perpétuelle, que la favorisation de la rencontre avec les patients aura lieu.
Pour être exhaustive, je citerai également les propositions publiées en mars 2024 émanant de psychiatres et d’élus réunis autour du Pr Pelissolo, psychiatre des hôpitaux, secrétaire national du Parti Socialiste, en charge de l’hôpital. Il a soutenu le Nouveau Front Populaire pour les élections législatives de juin 2024.
Psychiatrie, santé mentale et territoires : vers un nouveau modèle.
Tout d’abord, le titre reprend « santé mentale », ce qui me paraît suspect, mais pas étonnant d’un adepte de la psychiatrie « positive », de la méditation en pleine conscience et autres thérapies cognitivo-comportementales. Ensuite, après le constat du délabrement de la psychiatrie, le territoire retenu pour le PTSM est celui du ministère, à savoir le département, et non pas le secteur. Pourtant, dans le même paragraphe, l’organisation des soins en secteur est privilégiée. Néanmoins, peu après sont envisagés, mutualisation des ressources et regroupement de deux ou plusieurs secteurs sont envisagés. Les principes sont posés d’une vision moderne et humaniste de la psychiatrie et de la santé mentale.
Le PTSM issu de la loi Touraine n’est à aucun moment remis en question. Il s’agit seulement de réclamer des financements pour les actions recommandées. Le modèle nouveau de financement de la psychiatrie, qui est en fait une T2A déguisée, n’est pas dénoncé ; on demande simplement des aménagements de ce financement.
Ensuite, le CLSM est valorisé, ainsi que le développement des infirmiers de pratiques avancées (IPA). A notre grand étonnement, retour du rapport Couty. On reprend de ce rapport,
la construction du réseau d’acteurs territoriaux, lequel fait la part belle au secteur privé. Mais aussi, l’autonomie du secteur extra hospitalier. Est donnée comme exemple l’organisation des soins au Danemark. Le secteur ambulatoire est pris en charge par la commune ; les régions, quant à elles, ont la responsabilité des soins hospitaliers avec une réduction des capacités de lits. Cet exemple est particulièrement inquiétant en terme de rupture dans la continuité des soins et la responsabilité médicale. Bref, ce texte qui promeut des « établissements ambulatoires » autonomes avec un flou de financement et d’organisation me paraît vouloir ménager des philosophies contradictoires. On y soutient à la fois la loi de modernisation de la santé de la ministre socialiste Touraine, mais aussi les préconisations des ARS pour le PTSM de 2020-2025, sans vouloir fâcher les défenseurs du secteur, souvent apparentés LFI ou PCF, les alliés d’aujourd’hui. La comparaison entre les propositions des différentes forces politiques réunies dans le Nouveau Front Populaire peut laisser présager des difficultés pour élaborer ensemble une loi cadre de renouveau de la Psychiatrie.
Il faudra pourtant y parvenir : c’est une urgence de santé publique dont nous apparaissons redevables envers les soignés.
Enfin, comme le disait Lucien Bonnafé à qui nous laisserons le dernier mot : « On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses marges, ses fous et ses déviants ».