Courrier de Nicole Grenier Mérico (Marsanne, Drome)
Après avoir relu attentivement le COS (Cadre d’Orientation Stratégique) de 2018 et décortiqué le projet de SRS (Schéma régional de santé) 2023/2028 de notre région Auvergne Rhône Alpes je formule de nombreuses observations sur la forme et sur le fond de ce document.
Observations de forme :
-Le vocabulaire technocratique, quelque peu abscons utilisé pour la rédaction de ce SRS n’est pas de nature à permettre un abord facile pour la grande majorité des concitoyens et c’est une vrai difficulté quand on affirme vouloir développer la «démocratie directe» et permettre à ceux qui le souhaitent d’apporter leur contribution.
-Les nombreux contournements de langage contribuent aussi à opacifier le document, Ainsi expliquer que les RH en tension obligent à «optimiser» au lieu de dire tout simplement qu’on ne prévoit pas plus de moyens en personnel, de même afficher la volonté de «redéployer l’offre» qu’on aurait plus clairement pu traduire par la volonté de développer l’ambulatoire au détriment de l’hospitalisation complète ou l’hébergement complet.
– la multiplication considérable des acronymes ou sigles, dont pour une part ne se retrouve pas la définition dans le glossaire, se surajoute aux difficultés précédentes.
-au niveau des objectifs quantitatifs en matière sanitaire (SRS volet 2) on ne trouve quasi jamais la situation existante qui seule pourrait permettre à un lecteur extérieur de se faire une idée sur ce que propose réellement le SRS…
– je m’interroge enfin sur la manière dont seront intégrées les contributions des gens qui comme moi auront pris le temps de lire tous les documents, quelle place sera faite à nos remarques?
Mes conclusions synthétiques sur le fond du projet :
Que l’on prenne ce document sous les différentes formes par lesquelles il est présenté, les grands objectifs (chapitres 1 à 4), les déclinaisons par territoire et par métiers du secteur sanitaire (chapitre 5), on peut retrouver les constantes suivantes:
– Le SRS aborde beaucoup de points, formule beaucoup de vœux mais alors qu’on serait en mesure d’attendre une concrétisation en terme de modalités et de moyens, elle ne vient quasi jamais.
– Lorsque le SRS propose des moyens ils sont le plus souvent sous la forme d’utilisation ou de création de structures aux acronymes improbables d’accompagnement, orientation, information, guidage, ressources, parfois même alors que la fonction existe déjà, et rarement en terme de création de structures ou places nouvelles. Des mesures concrètes, donc, il y en a bien peu.
-Lorsque le SRS propose des créations, il explique le plus souvent que c’est sous la forme de redéploiement de l’existant, de transfert de crédit, alors même que, la plupart du temps, la structure qu’on veut redéployer ne répond déjà pas aux besoins (parfois, le SRS fait lui-même ce constat!) On envisage donc de faire toujours à moyens constants sans prise en compte des facteurs démographiques hausse de la population, vieillissement… etc et sans tenir compte du coût des avancées technologiques et médicales qu’on prétend pourtant mettre à portée de la population.
– La présentation de la démocratie sanitaire par le SRS travestit quelque peu de ce que recouvre la notion de démocratie au sens du dictionnaire de l’académie où elle est définie comme un « Système d’organisation politique dans lequel la souveraineté et les décisions qui en découlent sont exercées directement ou indirectement, par le peuple, c’est-à-dire par l’ensemble des citoyens». Pour le SRS la démocratie sanitaire se résume à faire s’exprimer des avis au travers de commissions conférences comités divers, peuplés de personnalités désignées qui n’ont pas pouvoir délibératif.
– Une idée force traverse le SRS, le salut aujourd’hui doit venir du «virage ambulatoire» que ce soit dans le sanitaire ou le médico-social, personnes âgées ou handicapées. La foi du charbonnier dans ce nouvel Eden fait vibrer le SRS au point qu’il en oublie la vraie réalité que vivent nos concitoyens:
- Celle de notre système de soins auquel l’accès est devenu de plus en plus difficile en ville au fil des dernières décennies du fait d’une pénurie de plus en plus problématique de professionnels (pénurie elle-même organisée depuis 40 ans), du recul des obligations de la médecine libérale en matière d’urgence notamment, de la hausse des dépassements d’honoraires etc… Alors que 87 % du territoire français est considéré comme étant sous-dense, que 15 millions de Français rencontrent des difficultés pour accéder à un médecin généraliste mais aussi à des spécialistes, et aux autres professionnels de santé, c’est contradictoire et incompréhensible ou pire si ce n’est pas un «oubli» c’est cynique. Le SRS d’ailleurs n’aborde jamais de front la question de la grave pénurie de soignants que connaît notre région comme la France entière (sauf quand il s’agit de justifier, à partir de cette situation, présentée comme une donnée immuable, la réduction des services!). Il est vrai que la question si prégnante des besoins en formation, comme celle du manque d’attractivité de certaines professions de soignants, relèvent de la responsabilité principale de l’État mais on peut légitimement affirmer que le SRS, qui prétend dessiner le paysage de notre système de santé et médico-social dans la région Aura pour les 5 années à venir, doit forcément s’en préoccuper et envisager des pistes pour y faire face. Or il n’en est rien.
- Celle de notre organisation médico-sociale qui fait apparaître aujourd’hui de nombreuses insuffisances en terme de réponse quantitative et qualitative aux besoins des populations concernées qui ont été largement objectivées au cours des dernières années. Ces insuffisances laissant aux bénéficiaires et à leurs familles d’importantes charges matérielles et financières et avec elles des souffrances plus grandes dont il serait normal et urgent que les instances décisionnaires, dont l’ARS, prennent conscience. Cette idée force se traduit dans les faits par la volonté de rendre aux bénéficiaires et à leurs familles une plus grande part de la responsabilité matérielle mais également financière de leur prise en charge. On prétend le faire au nom de l’intérêt des personnes et de la nécessité de l’inclusion mais on omet d’évoquer la question des moyens, alors que, pour les personnes dépendantes ou handicapées le maintien à domicile ne peut se réaliser sans un accompagnement individuel considérablement renforcé. Faute de moyens on responsabilise, ou plutôt on culpabilise toujours plus «les aidants» alors que ceux-ci supportent déjà beaucoup s’épuisent et souffrent et on ne répond pas aux besoins. Méconnaissance, indifférence ou une fois de plus…cynisme? Ce SRS ne prend donc pas la mesure de l’énorme enjeu que représente le vieillissement accéléré de la population et l’absence de référence à des moyens supplémentaires indispensables pour répondre à cette accélération considérable est le signe fort du renoncement à affronter ce défi générationnel en abandonnant les personnes concernées à leur sort.
– Tout est fait pour éloigner le malade vieillissant des structures hospitalières notamment d’urgence le laissant aux soins de professionnels paramédicaux, comme si pour ces personnes là l’accès aux soins médicaux était devenu superflu, inutile, illégitime, comme au moment du Covid (expérience personnelle vécue…). Une vision de l’accompagnement du vieillissement problématique sur le plan éthique et à cent lieux de ce que préconise l’OMS.
– Une autre idée traverse le document, chaque fois que sont abordés les objectifs de prévention ou d’éducation ou de promotion de la santé, le SRS renvoie beaucoup à la responsabilité individuelle et/ou familiale, notamment dans l’existence de comportements à risques, ceux ci étant largement mis en exergue à de nombreuses reprises alors que les facteurs sociaux et professionnels sont négligés, oubliés…
On note par ailleurs:
– Que le SRS ne connaît et ne veut promouvoir que la médecine libérale, l’existence de centres de santé avec des professionnels salariés est systématiquement passée sous silence et le SRS fait le choix de privilégier le parcours de soins comme le suivi des malades chroniques y compris psychiatriques (!) au sein de structures ou professionnels libéraux de ville ou du secteur privé réservant l’hôpital au dernier recours, et omettant de s’intéresser à l’insuffisance de moyens dont il souffre, alors qu’il a été pendant des décennies, depuis 1945, le pivot de l’amélioration de la situation sanitaire des français (ce dernier constat étant largement documenté).
– De même en ce qui concerne la maternité la volonté de substituer de plus en plus les sages-femmes aux obstétriciens, dans le suivi des grossesses les accouchements et l’accompagnement post-natal de la mère et l’enfant pose question au moment où la mortalité néo-natale progresse et que notre pays recule derrière les principaux pays développés. Cet indicateur d’ailleurs est totalement absent du SRS… qui est donc dans l’impossibilité de l’interroger!
Ma conclusion, au regard de mon expérience professionnelle et personnelle comme celle de militante engagée dans le domaine de la santé depuis des décennies, est que ce SRS passe complètement à côté du drame sanitaire qu’est en train de vivre la plus grande partie de nos concitoyens, qu’il est «hors sol» et je souhaite attirer l’attention de l’Agence Régionale de Santé de ma région sur sa responsabilité en l’espèce.
Car oui, si le rôle affirmé de l’ARS est de coordonner les acteurs, la Sécurité sociale, les professionnels les établissements que tout le système de soins et médico-social est entre ses mains puisqu’elle en est, sous la tutelle de l’Etat, clairement le chef d’orchestre et qu’au final c’est elle qui décidera de valider un tel projet, sa responsabilité dans sa mise en place et toutes les conséquences négatives qu’elle pourrait avoir sur la santé, l’autonomie, les conditions de vie et les souffrances de nos concitoyens sera clairement engagée…
Je vous prie d’agréer, Madame la Directrice, l’expression de mes salutations distinguées.