L’auteur se propose d’étudier les centres municipaux de santé et leur apport en matière de santé publique sur le territoire. En nous focalisant sur l’exemple de la Ville de Montreuil, il analyse dans quelle mesure les centres municipaux de santé permettent aujourd’hui à la municipalité de développer une politique territorialisée de santé publique. Héritiers de l’hygiénisme et du communisme municipal, les centres municipaux de santé connaissent actuellement un renouveau qui résulte d’un choix politique local reposant sur l’esprit du territoire, les attentes de l’opinion publique locale, le caractère emblématique des centres, et la prise de conscience engendrée par la crise sanitaire. Les centres municipaux de santé permettent à la collectivité d’agir doublement sur l’accès aux soins en favorisant l’accès territorial et financier aux soins. Plus que l’amélioration de l’organisation des soins, ils permettent à la municipalité de mener des actions de prévention et d’éducation à la santé. En cela, ils sont un levier pour des politiques municipales intersectorielles de santé publique.
Abstract :
The author intends to study the municipal health centers and their contribution to public health in the territory. By focusing on the example of the City of Montreuil, he analyze to what extent municipal health centers now allow the municipality to develop a territorialized public health policy. Heirs to hygiene and municipal communism, municipal health centers are currently experiencing a revival resulting from a local political choice based on the spirit of the territory, the expectations of local public opinion, the emblematic character of the centers, and the awareness generated by the health crisis. Municipal health centers allow the community to act twice on access to care by promoting territorial and financial access to care. More than improving the organization of care, they allow the municipality to carry out prevention and health education actions. In this, they are a lever for intersectoral municipal public health policies.
Dotés d’une image poussiéreuse, les centres municipaux de santé sont pourtant au cœur du processus de territorialisation de la santé publique. Dépassant la simple offre de soins, ils sont un levier des municipalités pour mener des actions de prévention et d’éducation à la santé adaptées au territoire. Centres de santé, maisons de santé, centres municipaux de santé, dispensaires… les dénominations sont confuses, les salles de consultation peuvent se ressembler, mais les logiques divergent. Les centres municipaux de santé se distinguent notamment par une gestion directe par la collectivité territoriale et le salariat des professionnels de santé.
Pour certains, les centres municipaux de santé sont les reliquats des dispensaires d’un autre temps, celui de l’hygiénisme et du communisme municipal. Pour d’autres, ils sont une réponse aux enjeux contemporains auxquels est confronté notre système de santé. Etudier les centres de santé, et leur forme municipale, revient à se pencher sur l’intervention d’une collectivité territoriale, en dehors de ses compétences strictes, et dans le champ de la santé publique.
La période actuelle est marquée par l’intervention croissante des collectivités territoriales en matière de santé. Confrontées à la faiblesse de l’offre de soins sur leur territoire, elles cherchent à agir en favorisant notamment l’implantation de formes groupées d’exercice médical à l’instar des centres et maisons de santé. Les municipalités sont également en première ligne face aux inégalités d’accès aux soins. Le rôle croissant des collectivités territoriales se manifeste aussi en matière de santé publique dans le cadre du phénomène de territorialisation de la santé publique. La territorialisation de la santé publique vise ainsi à déployer une action publique sur le territoire pour résoudre les problèmes sanitaires auxquels il est confronté. Ne se limitant pas au seul développement d’une offre de soins à destination des habitants, elle suppose la création de réseaux de partenariats sur le territoire.
S’ils sont une offre de soins, les centres municipaux de santé s’inscrivent dans une ambition de santé publique. La possibilité de mener des actions de santé publique, inscrite dans le code de la santé publique, distingue en effet les centres de santé d’autres formes d’organisation des soins. Dès lors, la question se pose du rôle des centres municipaux de santé dans le développement d’une politique territorialisée de santé publique.
Le centre municipal de santé entre héritage historique et choix politique local
Le centre de santé, formé au début du XXème siècle, porte dès cette période une vision populationnelle et environnementale de la médecine. Il se distingue ainsi du dispensaire, centré exclusivement sur l’offre de soins, et s’inscrit dans une perspective de santé publique intégrant la prévention, la promotion de la santé et l’environnement du patient. Développés sur les territoires par le municipalisme ouvrier, et notamment le communisme municipal, les centres municipaux de santé entament une période de ralentissement de leur développement voire de recul à partir de 1960. La période actuelle est marquée par un renouveau des centres municipaux de santé concordant avec la territorialisation de la santé publique. Cette réémergence des centres de santé s’illustre par exemple à Montreuil (93) avec l’ouverture en 2019 d’un centre présenté comme le plus grand d’Europe.
L’importance de la path dependence (ou dépendance au sentier) dans la présence actuelle des centres municipaux de santé sur les territoires est indéniable. Les effets d’auto-renforcement forment ainsi des obstacles au changement et favorisent la linéarité des processus institutionnels. Cependant, cette politique de santé facultative se trouve aujourd’hui sous la pression de restrictions budgétaires s’imposant aux collectivités territoriales. Dès lors, le choix de développement des centres municipaux de santé est constitutif d’une décision politique des exécutifs municipaux. Le choix politique de maintien et de développement des centres municipaux de santé est le résultat d’une confluence de facteurs. Dans le cas de Montreuil, trois éléments participent au choix de développement des centres municipaux de santé : une identité revendiquée de ville engagée, une forte attente de l’opinion publique locale en faveur de la santé, et la dimension emblématique des centres municipaux de santé dans la compétition politique locale. La crise sanitaire de la Covid-19 a renforcé l’engagement des décideurs publics locaux en faveur des centres municipaux de santé. L’intervention de la collectivité territoriale dans le champ de la santé publique ambitionne ainsi en premier lieu d’améliorer l’organisation et l’accès aux soins.
Un outil des acteurs publics locaux pour renforcer l’offre de soins dans les territoires à faible densité médicale
Nombre de territoires sont confrontés à une offre médicale insuffisante et inégalement répartie engendrant une difficulté d’accès aux soins. Face à cet enjeu les politiques territorialisées de santé publique cherchent à agir sur le renforcement de l’offre de soins. Cette action se matérialise notamment par l’implantation de formes groupées d’exercice médical, plus attrayantes pour les jeunes professionnels. Les centres municipaux de santé sont particulièrement attractifs grâce au salariat et à la variété des missions proposées en matière de santé publique. Ils permettent ainsi une offre de soins importante et pluridisciplinaire. Cette offre est territorialisée dans la mesure où elle concerne en grande majorité les habitants du territoire. A Montreuil, 78 à 86 % de la patientèle des centres est domiciliée dans la commune.
Par ailleurs, les centres municipaux de santé répondent davantage à l’inégalité d’accès territorial aux soins. En raison du contrôle direct de la collectivité gestionnaire, l’implantation des centres municipaux correspond aux attentes des décideurs publics locaux. Ils sont ainsi plus situés dans les zones à offre primaire déficitaire, les quartiers populaires et les zones prioritaires SROS, que les maisons de santé pluriprofessionnelles. Les centres municipaux de santé favorisent ainsi l’accès territorial aux soins en suivant des dynamiques d’implantation divergentes de celles des maisons de santé.
Un instrument pour lever les barrières financières à l’accès aux soins au-delà des obligations tarifaires
Si les centres de santé disposent encore parfois d’une image erronée de dispensaires, leur patientèle est effectivement davantage précaire. Les centres de santé se singularisent en effet par la pratique obligatoire du tiers-payant et de tarifs secteur 1. Cependant, ces seules obligations ne semblent pas à même de lever l’ensemble des barrières financières à l’accès aux soins. En effet, une personne ne disposant pas de droits à la couverture maladie ne bénéficie pas de la possibilité de tiers-payant.
Dans le cas des centres municipaux de santé de la Ville de Montreuil, des moyens ont été mis en place pour diminuer le renoncement aux soins pour raisons financières : une offre importante de médecine de spécialité, le large conventionnement avec les organismes complémentaires, et la mise en place d’une PASS territorialisée en lien avec l’hôpital. Ces dispositifs se retrouvent d’ailleurs dans un certain nombre de municipalités gestionnaires de centres de santé. Au-delà des obligations tarifaires, les centres municipaux de santé sont donc un instrument mobilisable pour lever les barrières financières à l’accès aux soins. En cela, ils permettent à la collectivité territoriale d’agir doublement sur l’organisation des soins. Ils sont une réponse de la municipalité à la faiblesse de l’offre médicale et facilitent l’accès financier aux soins
Des acteurs centraux de la prévention et de l’éducation à la santé sur le territoire
Si l’amélioration de l’organisation des soins est une composante de la santé publique, cette dimension ne suffit pas à caractériser le rôle des centres municipaux de santé dans la territorialisation de la santé publique. Etudier les centres de santé sous le prisme de la santé publique implique d’analyser leur action en matière de prévention des risques et d’éducation à la santé notamment. Ainsi, le modèle de financement des centres de santé, reposant principalement sur la tarification à l’acte, pourrait mener à une marginalisation des actions de santé publique. Cependant, les centres municipaux de santé apparaissent comme un outil des municipalités pour mener des actions de prévention et d’éducation à la santé, tout en se positionnant au centre d’un réseau territorial d’acteurs de la santé publique.
Notre étude a montré que, dans le cas montreuillois, les centres municipaux de santé développent de multiples actions de prévention et d’éducation à la santé. Il n’existe pas de frein budgétaire ni d’incitation à faire davantage de consultations rémunératrices. De même, de larges marges de manœuvre sont octroyées aux professionnels, y compris dans la proposition de nouvelles actions.
Les centres municipaux de santé sont ainsi au cœur d’un réseau territorialisé de santé publique centré sur la prévention et l’éducation à la santé. De nombreux programmes de santé publique sont en effet le résultat d’une coopération entre les centres municipaux de santé et les autres acteurs territoriaux de la santé publique : hôpital, associations, département, et agence régionale de santé notamment. Plus que des actions de prévention et d’éducation à la santé sur le territoire, les centres municipaux de santé participent à la construction de projets de santé publique territorialisés en ce qu’ils reposent sur des partenariats avec les acteurs du territoire. Un programme de vaccination à destination des enfants fera par exemple intervenir à la fois les professionnels des centres et le département, tandis que des actions de prévention et d’éducation à la santé dans les écoles se réaliseront en coopération avec le ministère de l’Education nationale. La territorialisation permise par l’outil des centres municipaux de santé s’exprime également par la multiplication des actions visant à « aller vers ». La participation de soignants exerçant sur le territoire permet ainsi de renforcer la connaissance et la prise en compte des spécificités des habitants dans le cadre des programmes de santé publique. Cela favorise ainsi la création d’un fort lien soins-santé publique.
Des leviers pour des politiques intersectorielles de santé publique
Si la tendance est à la multiplication des acteurs et partant à la complexification de l’action publique, la santé publique nécessite une inscription dans des politiques transverses. Le fait pour une collectivité territoriale de gérer de façon directe un service public peut permettre de développer des politiques publiques transversales et intégrées à l’instar des régies publiques de l’eau. L’internalisation par la collectivité territoriale de la santé, via l’instrument des centres municipaux de santé, présente ainsi un effet levier pour des politiques transversales de santé publique originellement cloisonnées.
Les dispositifs de sport-santé révèlent la richesse des apports des centres municipaux de santé en matière de santé publique. Ces projets prennent notamment la forme du sport sur ordonnance. La construction du programme et sa réalisation reposent ainsi sur une coopération très forte entre centres municipaux de santé et directions en charge des sports. D’une part, la participation des professionnels des centres permet d’apporter une expertise complémentaire à celles des professionnels du sport. D’autre part, le rôle des centres municipaux de santé est aussi central dans l’orientation et l’accompagnement des patients dans le cadre du projet. Ils apportent ainsi une plus-value méthodologique et opérationnelle en permettant un parcours intégré du patient entre le centre de santé et les ateliers sport-santé.
Au-delà de l’effet levier dans la mise en place et la réalisation du dispositif, cette dynamique s’inscrit dans la tendance au décloisonnement des professionnels permise par les centres de santé. Dès lors, ils apparaissent comme des facilitateurs de politiques de promotion de la santé transverses aux délimitations administratives classiquement en vigueur au sein des collectivités territoriales. Les centres municipaux de santé sont ainsi une ressource pour mener nombre de politiques publiques. L’exemple de Montreuil illustre cet apport en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
Les centres municipaux de santé participent à la politique municipale de lutte contre les violences faites aux femmes en agissant à de multiples niveaux et en coordination avec les acteurs du territoire : mise en place de passerelles visant à coordonner le parcours des femmes victimes de violence, accueil d’une permanence juridique, programmes de sensibilisation des professionnels de santé… Ils sont ainsi mobilisés dans leurs différentes facettes dans le cadre de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes : service public du territoire, offre de soins pluridisciplinaire, et acteurs de projets de prévention et d’éducation à la santé. Ces différents rôles révèlent ainsi la palette et la richesse des possibilités offertes par les centres municipaux de santé aux collectivités gestionnaires. Ils sont ainsi un atout mobilisable par les municipalités dans le cadre de politiques publiques étant, comme le sport et la lutte contre les violences faites aux femmes, traditionnellement rattachées à des champs sectoriels différents.
Centres municipaux de santé et centres ressources de santé publique
A l’issue de cette analyse, il peut être préconisé de renforcer la transversalité de l’apport en santé publique des centres municipaux de santé par la constitution d’un pôle de santé publique au sein des directions municipales de la santé. Les directions de la santé, en s’appuyant sur l’expertise des centres municipaux de santé, pourraient être placées en directions conseillères des communes sur les questions de santé. Orienter les centres municipaux de santé en centres ressources de santé publique pour le territoire permettrait ainsi de renforcer leur impact en faveur de la territorialisation de la santé publique. Plus généralement, il apparait nécessaire de repenser les modalités de financements des actions d’éducation à la santé et de prévention des centres de santé afin que leur développement ne s’accompagne pas d’une édulcoration de leur spécificité en la matière.
Si nous avons abordé les aspects d’organisation des soins, de prévention et d’éducation à la santé, l’action des centres municipaux de santé face à l’épidémie de la Covid-19 doit aussi être soulignée. La lutte contre les épidémies est en effet un élément de la santé publique. Bien que nous manquions de recul pour mener une étude approfondie, les centres municipaux de santé ont été fortement mobilisés en matière de permanence des soins, de dépistages hors les murs, de suivi Covidom, et à présent de vaccination. Par ailleurs, l’épidémie a été l’occasion de tisser des liens renforcés avec les structures hospitalières qui pourraient mener, à l’avenir, à davantage de territorialisation des projets de santé publique. Il serait ainsi intéressant qu’une prochaine étude soit conduite sur les centres de santé et la crise sanitaire.
Cet article est issu d’un mémoire de recherche en politiques publiques soutenu en mai 2021 à l’Ecole d’Affaires Publiques de Sciences Po Paris et s’intitulant « Les centres municipaux de santé et la territorialisation de la santé publique : l’exemple de la Ville de Montreuil ». Le mémoire ainsi que la bibliographie complète sont disponibles sur demande par email à maximin.wion@sciencespo.fr .
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