Olivia Sarton est avocate de formation. Elle a rejoint « Juristes pour l’enfance » à l’automne 2019, en qualité de Directrice scientifique. Elle a publié dans Généthique Magazine un magnifique plaidoyer pour l’abolition de la GPA le 17 février 2021 qui fait référence.
Face au mouvement d’exploitation sexuelle de la femme à des fins reproductives que constitue la GPA[1], la France s’enfonce dans un double discours : d’un côté, l’affichage d’une interdiction avec les dispositions du Code Civil[2] et du Code pénal[3] qui prohibent et sanctionnent le recours à la GPA sur le territoire français. De l’autre côté en contrepoint la validation du recours à la GPA réalisée à l’étranger. Olivia Sarton dénonce ici la coupable tolérance du démarchage[4] de potentiels clients sur le territoire français et la régularisation par la justice française, désormais sans appréciation des moyens employés, de la situation des commanditaires français ayant recouru à la GPA à l’étranger. Elle condamne la honteuse inertie des pouvoirs publics et de la justice qui permet aux acteurs du marché de la GPA de développer en toute impunité leurs actions de promotion de cette exploitation reproductive, et aux commanditaires d’enfants de se vanter largement de leur forfait tout en se présentant comme des victimes contraintes de se tourner vers l’étranger. Les uns et les autres bénéficient du renfort complaisant et peu scrupuleux de chaînes de télévision et désormais même de grandes entreprises… Devant ces désordres juridiques et médiatiques, nombreux sont ceux qui redoutent la légalisation de la GPA en France, d’ailleurs régulièrement réclamée par une poignée de parlementaires.
Les obstacles à la réalisation effective de GPA en France
Pour Olivia Sarton la première difficulté est l’absence de choix de la donneuse d’ovocytes. Mais lorsque c’est le cas, les commanditaires sélectionnent en général soigneusement la donneuse d’ovocytes qui va transmettre son patrimoine génétique à l’enfant : outre les caractéristiques phénotypiques (ethnie, couleur des yeux et des cheveux, taille et constitution, groupe sanguin), les traits de caractère, les loisirs, les études, le métier, la réussite scolaire et sociale, l’historique médical, constituent autant de critères passés au crible. En France, le recours à un don de gamètes étant soumis aux règles de l’anonymat du don, le choix d’une donneuse d’ovocytes ne serait pas possible. Il n’est pas certain, compte-tenu de la pratique observée à travers le monde, que les candidats à la GPA se satisfassent de la loterie que constitue l’attribution des gamètes par un CECOS. Ils pourraient alors transgresser à nouveau sans état d’âme la législation française en faisant venir, de l’étranger, des gamètes sélectionnés et achetés dans une banque.
La deuxième difficulté qu’elle signale est le recrutement de la mère porteuse. Le marché de la GPA semble être un monde dans lequel « les enjeux raciaux » sont importants. Le recrutement de la perle rare de type caucasien se révèlera sans doute un défi majeur dans notre hexagone.
Elle signale également une troisième difficulté : la qualification du contrat engageant la mère porteuse. En droit français, ce contrat devrait être qualifié de contrat de travail et ce, quelle que soit la dénomination juridique que les parties tenteront de lui donner. La jurisprudence a dégagé les critères qui, réunis, permettent de caractériser l’existence d’un tel contrat : une prestation de travail, une rémunération, et l’existence d’un lien de subordination. L’existence de chacun de ces critères doit être examinée dans le cadre d’une convention de GPA.
Prestation de travail :
Dans le cadre d’un contrat de GPA, la mère porteuse s’engage à préparer son corps à l’implantation d’un embryon, puis à subir cette implantation au sein d’un centre de PMA défini par le client et à prendre les produits pharmaceutiques nécessaires à ces opérations. Elle s’engage ensuite à se prêter à toutes les opérations de suivi et de contrôle mises en œuvre dans le cadre de la grossesse, et le cas échéant aux interventions médicales nécessitées par son état ou celui du bébé. Elle ne peut en général choisir seule ni l’équipe médicale qui la suit, ni la clinique où elle va accoucher. Elle s’engage en outre à un nombre de sujétions plus ou moins importantes ayant trait à sa vie privée : interdiction de fumer, de boire de l’alcool, de prendre des stupéfiants, d’avoir des relations sexuelles dans les semaines précédant et suivant la FIV (voire même pendant la durée de la grossesse), réglementation de son hygiène de vie (type et fréquence d’exercices physiques à pratiquer, régime alimentaire, nombre minimal d’heures de repos, type de sorties autorisées etc.). Elle s’engage enfin à suivre les directives de co-contractants s’agissant de l’enfant : dépistage d’éventuelles anomalies in utero, avortement sur décision des commanditaires seulement. En dernier lieu, elle s’engage à remettre l’enfant dès l’accouchement. Sa prestation prend fin par la remise de l’enfant.
Rémunération :
Bien que certains tenants de la GPA essaient de promouvoir l’idée de GPA « altruiste », la réalité montre que les contrats de GPA donnent lieu au versement d’une somme d’argent au profit de la mère porteuse. Il ne s’agit pas seulement d’indemnisation destinée à couvrir les frais inhérents à la grossesse puisque la somme convenue est bien supérieure à ces frais.
Lien de subordination :
Sur ce dernier point, et compte-tenu des clauses habituelles des contrats de GPA, l’existence du lien de subordination pendant toute la durée du contrat semble pouvoir être retenue.
O. Sarton signale une quatrième difficulté : les conséquences de la requalification en contrat de travail. L’ensemble des heures travaillées doivent être rémunérées. Mais si la prestation de travail demandée à la mère porteuse est de porter l’enfant et de lui donner naissance, alors il faut considérer qu’a minima les neuf mois de grossesse doivent être intégralement rémunérés, y compris les heures de nuit puisque la mère porteuse ne cesse pas d’être enceinte pendant la nuit. Neuf mois de grossesse représenteraient alors 6 570 heures de travail, dont la rémunération serait soumise à cotisations sociales. Les tarifs ainsi alignés seraient bien peu compétitifs par rapport à ceux proposés dans d’autres pays par la « grâce » du tourisme procréatif. Par ailleurs, quid du congé maternité ? Toute salariée enceinte a le droit de bénéficier d’un congé de maternité pendant une période qui commence six semaines avant la date présumée de l’accouchement et se termine dix semaines après la date de celui-ci. Mais qu’en sera-t-il pour le parent commanditaire ? Puisque l’hypothèse est que la GPA serait légalisée en France, pourquoi la femme ne pourrait-elle pas faire valoir son droit à un congé à l’arrivée de l’enfant, comme c’est le cas dans le cadre d’une adoption ? L’assurance maladie devrait-elle supporter alors la prise en charge de ce double congé ? L’une pour la mère porteuse qui aura accouché mais ne garde pas l’enfant, et l’autre pour le parent qui n’a pas accouché mais auquel l’enfant a été remis ?
Quelle sera la responsabilité des commanditaires en cas d’accident de trajet ou de travail ? Il arrive que des mères porteuses meurent à l’accouchement. Dans le cadre d’un accident du travail, la responsabilité de l’employeur peut parfois être engagée y compris pénalement. Les ayant-droits de la mère porteuse pourrait poursuivre les commanditaires de la GPA. Que pourront donc prévoir les contrats en cas de malformation ou de maladie de l’enfant ? Les contrats de GPA seront donc soumis à une grande incertitude juridique, la mère porteuse pouvant décider à la naissance qu’elle établira un lien de filiation avec l’enfant…
Le seul enjeu est l’abolition universelle de la GPA
On le voit, la législation française rend quasiment impossible la réalisation de GPA en France. Aussi la légalisation de la GPA ne changera presque rien à ce qui se passe aujourd’hui : la délocalisation de la GPA, dans l’indifférence généralisée, dans des pays où l’on considère que la vie, la santé et la dignité d’une femme ne valent pas grand-chose si elles peuvent être avantageusement monnayées. Olivia Sarton montre alors que l’enjeu ne réside donc pas dans la légalisation de la GPA en France. Il est dans l’abolition universelle de la GPA, et dans la sanction pénale en France de tous les contrevenants, que la GPA soit réalisée sur le sol français ou à l’étranger. Dans le projet de loi de bioéthique examiné en France depuis 2019, les sénateurs se battent pour maintenir un article interdisant la transcription des actes d’état civil ou jugement étranger, à l’exception des jugements d’adoption, établissant une filiation fictive pour un enfant né de GPA. Cette disposition est déterminante car elle constitue une pierre de l’édifice à construire pour prohiber la GPA au niveau international. Elle doit être complétée par la création d’un délit spécifique de recours à la GPA, visant des faits commis en France comme à l’étranger en écartant l’exigence de la double incrimination et par la conclusion d’une convention internationale d’abolition de la GPA.
La conclusion de l’article est lumineuse : « Et comment pourrait-il en être autrement ? Quelle plus grande atteinte à la dignité humaine que celle de convaincre une femme de commercialiser sa maternité et de vendre, pour une poignée de billets de banque, l’enfant qu’elle porte et qui restera à jamais marqué par cet arrachement et par la marque indélébile d’avoir été livré à travers le monde comme une marchandise ? ». Cet article mérite d’être lu et connu.